Depuis les élections marocaines du 8 septembre, c’est le mot « remontada » qui revient le plus souvent lorsque les scores de l’Istiqlal (PI) sont évoqués. Aux législatives, le parti s’est fait une place dans le trio de tête, derrière le RNI (102 sièges) et le PAM (86 sièges), avec 81 sièges à la Chambre des représentants. Aux régionales, le PI s’est classé deuxième avec 144 sièges. Tout comme le RNI, l’Istiqlal s’est préparé à cette grande échéance électorale depuis 2017, lorsque Nizar Baraka – petit-fils d’Allal El Fassi, gendre d’Abbas El Fassi, deux leaders historiques du PI –, passé par le ministère de l’Économie sous Abdelilah Benkirane puis par la case du Conseil économique, social et environnemental (CESE), réputé pour la qualité de son travail et son intégrité, a repris les rênes du parti en 2017.
« Le coût politique d’un PI dans l’opposition serait très élevé pour le RNI »
Lentement mais sûrement, le chef du parti s’est délesté du poids du fantasque Hamid Chabat, le secrétaire général sortant, a arpenté le terrain et a concocté un programme concis en treize points, très orienté sur l’économie. Le parti a donc recueilli les fruits de ce travail de longue haleine lors des échéances électorales de début septembre. Désormais, la question qui se pose est celle de sa participation au gouvernement. Aziz Akhannouch, nommé chef du gouvernement par le roi Mohammed VI le 10 septembre, a la mission de former une coalition.
Dès le 13 septembre, ce dernier a démarré le premier round des consultations et reçu les secrétaires généraux du PAM, de l’Istiqlal, de l’Union socialiste des forces populaires (USFP), du Mouvement populaire (MP) et de l’Union constitutionnelle (UC). Cinq partis en une seule journée, car il est probable qu’une consigne royale prime : « Aller vite », et mettre sur pied une majorité avant la rentrée parlementaire du 8 octobre.
Lundi, à midi tapante donc, Nizar Baraka s’est entretenu avec Aziz Akhannouch, avant de déclarer à la presse : « L’offre présentée par le chef du gouvernement (…) sera examinée par les organes décisionnels du parti de l’Istiqlal, notamment le Conseil national. » Initialement, ce conseil devait avoir lieu le 25 septembre, il a finalement été avancé au 18 septembre.
Huit ans d’attente
Pour le politologue Mustapha Sehimi, cela ne fait aucun doute, les Istiqlaliens souhaitent entrer au gouvernement, « c’est ce qu’ils veulent depuis huit ans ». Le spécialiste estime même que c’est le RNI qui a besoin du PI : « Le parti de la Colombe [le RNI] est un parti dit administratif, il a besoin de cet allié comme de l’USFP, tous deux issus du Mouvement national, c’est une question de légitimité. Le coût politique d’un PI dans l’opposition serait en effet très élevé. Akhannouch a besoin du soutien de ce parti, au plan parlementaire, politique et populaire. »
Le RNI et l’Istiqlal voudront tous deux avoir la main haute sur l’économie et les finances
En plus de bénéficier d’une légitimité historique, d’une base d’électeurs solides et d’une force syndicale, le PI rassemble des profils compétents et expérimentés et son programme est RNI-compatible, avec une orientation axée sur la relance, la croissance, l’emploi, les réformes sociales – les deux partis ont l’objectif de sortir 1 million de Marocains de la pauvreté.
C’est là que le bât blesse : le RNI et l’Istiqlal voudront tous deux avoir la main haute sur l’économie et les finances. Pour autant, Mustapha Sehimi estime que les discussions iront vite, les deux formations étant désireuses d’appliquer leurs politiques communes. Zakaria Garti, président du mouvement MAAN souligne lui que Nizar Baraka est un « homme de compromis ». D’autant que Nizar Baraka a déjà en vue les élections législatives de 2026, où le PI a de sérieuses chances de l’emporter. Grande est donc la tentation de démontrer son savoir-faire au sein d’un gouvernement.
La tentation de l’opposition
La principale mission du nouvel exécutif sera d’entamer le chantier du Nouveau modèle de développement et d’appliquer les orientations royales. Une orientation technocratique qui semble annoncer un quinquennat apaisé. Mais dans l’hebdomadaire TelQuel, l’universitaire Youssef Belal prophétise une « réalité toute autre ».
« L’Istiqlal est à la fois le pivot de la majorité et celui de l’opposition »
« La gestion gouvernementale se fera, comme toujours, au quotidien et dans l’urgence. On entendait souvent dire que le PJD était composé d’incompétents qui n’avaient pas le profil adéquat pour gérer la chose politique. On oublie pourtant que les principaux ministres de Saâdeddine El Othmani n’étaient pas étiquetés PJD. Ils avaient des profils plus technocratiques, parfois même avec la couleur RNI », rappelle Youssef Belal. Un précédent qui pourrait pousser le PI à passer son tour et à rester dans l’opposition. Le parti pourrait même s’accorder avec le PJD pour former un groupe parlementaire, et conserver le beau rôle.
Si les attaques frontales d’Abdellatif Ouahbi contre le RNI et son rapprochement avec le PJD durant la campagne ont été remarqués, le leader du PAM ne tarit plus d’éloges vis-à-vis du parti de la Colombe et d’Aziz Akhannouch, tant il souhaite aujourd’hui que sa formation entre au gouvernement. Dans un style moins « rentre-dedans », Nizar Baraka a lui aussi indirectement pointé le RNI en évoquant les liaisons dangereuses entre le pouvoir et l’argent et le risque de conflits d’intérêts. Le PI souhaite aussi s’attaquer à l’économie de rente et s’oppose aux politiques économiques ultra-libérales. « En fait, résume Zakaria Garti, l’Istiqlal est à la fois le pivot de la majorité et celui de l’opposition. »