Serge Yotta : « Le Covid a fait resurgir les mêmes discriminations que le VIH »

Le Fonds mondial publie son rapport annuel sur les programmes de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Lutte que le Covid rend plus difficile. Le directeur du plaidoyer chez Coalition PLUS fait le point pour « Jeune Afrique ».

Serge Yotta dans la banlieue de Yaoundé. Serge Yotta walks through his local market on the outskirts of  Yaounde buying food for a lunch with friends later that afternoon. 
© The Global Fund Advocates Network

Serge Yotta dans la banlieue de Yaoundé. Serge Yotta walks through his local market on the outskirts of Yaounde buying food for a lunch with friends later that afternoon. © The Global Fund Advocates Network

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Publié le 8 septembre 2021 Lecture : 5 minutes.

Le Fonds mondial célèbre cette année son vingtième anniversaire. Lancée par le secrétaire général des Nations unies Kofi Annan lors d’un sommet de l’Union africaine à Abuja, l’idée de départ consistait à créer une organisation planétaire chargée de récolter des fonds publics mais aussi privés – c’est l’une des particularités de ce fonds – afin de lutter contre les trois plus grandes maladies infectieuses qui ravagent le monde : le sida, la tuberculose et le paludisme.

« Pour nos 20 ans, souligne le directeur exécutif Peter Sands à l’occasion de la sortie du rapport annuel de l’organisation, nous voulions raconter les extraordinaires histoires de courage et de résilience qui ont jalonné deux décennies de progrès dans la lutte contre le VIH, la tuberculose et le paludisme. Hélas, les statistiques de 2020 nous ont obligés à changer de perspective. Elles confirment ce que nous redoutions dès l’apparition du Covid-19. »

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Activités freinées

Comme dans bien d’autres domaines, les activités du Fonds et des organisations qu’il soutient ont en effet été freinées, voire suspendues temporairement par la pandémie et les chiffres s’en ressentent. Le nombre de personnes traitées a baissé de 19 % pour la tuberculose pharmacorésistante et de 37 % pour sa forme « ultrarésistante ». Les programmes de prévention du VIH ont touché 11 % de personnes en moins, le dépistage a chuté de 22 %. Seul le traitement du paludisme a résisté, avec des distributions de moustiquaires en hausse de 17 %, malgré une baisse de 4,3 % du nombre de cas suspects dépistés.

Le point sur cette année difficile avec Serge Yotta, fondateur d’Affirmative Action au Cameroun et directeur du plaidoyer de Coalition PLUS, qui regroupe des ONG communautaires de lutte contre le sida et les hépatites virales. Ancien membre de l’instance de Coordination nationale du Fonds mondial au Cameroun, il est particulièrement mobilisé dans la lutte contre le VIH.

Le confinement a donné lieu à des coming out forcés dont certains se sont mal passés

Jeune Afrique : À quel point la pandémie de Covid a-t-elle désorganisé vos programmes et de quelle façon ?

Serge Yotta : Notre action a souvent été perturbée au fil des années mais c’est vrai que le Covid a eu un impact exceptionnel sur nos opérations sur le terrain. D’abord il y a eu les mesures de distanciation, les couvre-feux, les confinements…, qui étaient nécessaires et ont eu des résultats positifs contre le coronavirus, mais des effets beaucoup plus négatifs sur les populations avec lesquelles nous avons l’habitude de travailler. Et sur les libertés et les droits humains en général. Il y a eu des flambées de violences, y compris au sein des familles. Le confinement a donné lieu à des coming out forcés dont certains se sont mal passés.

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Il y a eu aussi une poussée des sentiments homophobes et transphobes, les minorités ont souffert. Les travailleuses du sexe ne pouvaient plus exercer. Or ce sont des populations avec lesquelles nous sommes en contact régulier. Plus largement, nous avons dû fermer temporairement beaucoup de nos centres de santé dans lesquels nous proposons du dépistage et des soins portant sur le VIH, les hépatites… Là aussi, cela a eu des conséquences majeures.

Certains ont évoqué l’idée d’une « punition divine »

Apparemment, les difficultés sont aussi venues des réactions et de l’interprétation que beaucoup de gens faisaient de la situation ?

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Ç’a été frappant. Au début de la pandémie, les thèses complotistes sur le virus se sont multipliées. Certains dirigeants religieux ont fait le lien entre le Covid et les minorités qui sont déjà discriminées, en particulier les homosexuels. Certains ont évoqué l’idée d’une « punition divine ». Sans parler bien sûr de tous ceux qui prétendaient que le virus n’existait pas ou que l’Afrique n’était pas concernée… En fait, le Covid a fait resurgir les mêmes discriminations, les mêmes restrictions que le VIH il y a quarante ans. Si bien qu’une fois encore, nous avons nous battre aussi sur ce front, communiquer, déconstruire certaines idées et certains messages erronés.

Justement, qu’avez-vous mis en place pour vous adapter à ce nouveau contexte ?

Nous avons changé d’approche. Nous ne sommes pas restés dans nos centres à attendre que les gens viennent nous voir. Ils ne venaient plus, de toute façon, ou beaucoup moins. Donc nous sommes allés à leur rencontre, quitte parfois à faire du porte-à-porte pour distribuer des auto-tests, des préservatifs…

Tout ça a été rendu possible par le fait que le Fonds mondial a lancé une initiative spécifique de réponse au Covid d’un montant d’environ 3,5 milliards de dollars, ce qui a permis d’accompagner les associations qui travaillent sur le terrain, d’acheter des masques, des gels hydroalcooliques, des kits nutritionnels…

On combat les discours antivax

Et puis encore une fois nous avons communiqué pour lutter contre les théories complotistes. Nous développons des modules de formation qui s’adressent en particulier aux leaders d’opinion. On explique qu’il y a des moyens de se protéger du virus, on combat les discours antivax, on appelle à faire confiance à la science…

Pensez-vous que le moment le plus difficile est passé, que les mesures nécessaires ont été prises pour s’adapter au contexte du Covid ?

C’est difficile de faire des projections, il y a tellement de péripéties avec le Covid… En 2020, ç’a été la catastrophe, maintenant on a le sentiment que la situation est plus ou moins stabilisée, que nous avons su nous adapter. Mais le prochain gros challenge c’est l’accès au vaccin ainsi que l’adhésion des populations. Le problème est double : il y a une pénurie réelle, mais en plus on se heurte à un vrai scepticisme des populations et nous devons déconstruire les arguments complotistes un par un.

Et il y a bien sûr la question de l’approvisionnement, ce qui m’amène à saluer l’initiative de BioNTech qui parle de produire des doses au Rwanda et au Sénégal. Cela doit vraiment être une priorité, l’Afrique ne peut pas rester perpétuellement sous perfusion et dépendre de l’extérieur à chaque fois qu’il y a un problème.

Là encore, vous faites le parallèle avec les premières années de l’épidémie de VIH…

Malheureusement oui. Il faut se souvenir des débuts de l’épidémie de sida, quand les autorités sud-africaines par exemple disaient que le VIH n’existait pas. On a vu le résultat : depuis quarante ans, c’est l’épidémie la plus meurtrière que nous ayons connue, 36 millions de personnes en sont mortes, 38 millions vivent avec le virus, 6 autres millions sont contaminées mais ne le savent pas… On vit le même scénario avec le Covid.

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