Politique

Blocage à la Ceni : le dilemme de Félix Tshisekedi

Depuis des semaines, les discussions butent sur la question du futur président de la commission électorale. Le président doit-il trancher, refuser de s’en mêler ou favoriser une concertation de haut niveau ? Le choix s’avère délicat.

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Mis à jour le 7 septembre 2021 à 17:38

Des agents de la Ceni comptent les votes pendant une coupure d’électricité sous le regard d’observateurs à Lubumbashi, le 30 décembre 2018, après la clôture du vote pour les élections présidentielle, provinciales et nationales. © CAROLINE THIRION/AFP

« À l’allure où vont les choses, on peut craindre un retard dans la tenue des élections, grommelle le député André Claudel Lubaya. Et cela ne sera pas sans conséquences. » En RDC, la politique a l’habitude de prendre son temps. En 2019, Félix Tshisekedi a mis quatre mois à se choisir un Premier ministre (Sylvestre Ilunga Ilukamba), lequel a ensuite mis trois mois avant d’annoncer la formation de son gouvernement. Et lorsque Sama Lukonde Kyenge lui a succédé, en février dernier, deux nouveaux mois ont été nécessaires avant que la composition de son équipe soit officialisée.

Pas d’accord

Ce qui inquiète aujourd’hui André Claudel Lubaya, c’est le fait que le mandat de Corneille Nangaa à la tête de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a expiré depuis le mois de juin 2019 et que les représentants des principales confessions religieuses du pays, qui doivent lui trouver un remplaçant, ne parviennent pas à se mettre d’accord sur un nom.

Cela fait des semaines maintenant que la situation est bloquée et que le débat se focalise sur la présidence de la Ceni (mais le contrôle du secrétariat national exécutif de la commission est lui aussi au cœur du problème).

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Six des confessions souhaitent porter Denis Kadima à la tête de la Ceni, mais catholiques et protestants ne veulent pas en entendre parler au motif qu’il est trop proche du chef de l’État. Ils demandent même à repartir de zéro, avec de nouvelles candidatures qui seraient politiquement moins marquées. Et cette fois-ci, ce sont les six autres confessions qui refusent.

Le 30 juillet, un procès-verbal officialisant l’absence de consensus a été déposé devant l’Assemblée nationale, qui a pris acte. Son président, Christophe Mboso, tente depuis de déminer la crise, mais en vain pour l’instant. Il a mis en place une commission chargée de centraliser les candidatures mais l’initiative ne fait pas l’unanimité, loin de là : elle a déjà été rejetée par le Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila, par une partie de la coalition Lamuka (tendance Martin Fayulu et Adolphe Muzito), ainsi que par l’entourage de Moïse Katumbi.

Catholiques et protestants attendent pour l’instant que le chef de l’État tranche. Ils espèrent que Félix Tshisekedi entendra leur préoccupation comme en août 2020, lorsqu’il avait bloqué la désignation de Ronsard Malonda, soupçonné d’être trop proche du FCC.

Réformer la loi électorale

Le problème, c’est que la question de la composition de la Ceni n’est pas la seule à se poser en amont des élections. La loi électorale doit elle aussi être réformée, et il faudra notamment décider s’il faut changer le mode de scrutin pour la présidentielle (en revenant à deux tours par exemple) et pour l’élection des sénateurs et des gouverneurs. Les débats autour du seuil de représentativité et de l’éligibilité de certains candidats devront également être tranchés.

Si la Ceni n’est pas dotée d’un bureau d’ici au 15 septembre, la tenue d’élections en 2023 deviendra hypothétique

« Allons-nous avoir le temps ? s’interroge un expert des problématiques électorales selon lequel les discussions politiques ne doivent pas éluder les aspects plus techniques. Les élections ont besoin d’être préparées, et cela commence par un travail sur le fichier électoral. Cela peut prendre du temps et ce délai ne sera pas compressible, poursuit notre interlocuteur. Alors que les questions politiques, elles, sont flexibles et peuvent se régler à tout moment. »

« Si la Ceni n’est pas dotée d’un bureau d’ici au 15 septembre, si le fichier électoral n’est pas actualisé dans les temps et si on ne se donne pas les moyens de le faire, la tenue d’élections en 2023 deviendra hypothétique », craint pour sa part le député André Claudel Lubaya.

Discours présidentiel à l’épreuve

Ces derniers mois – et à chaque fois au terme d’un intense bras de fer avec son prédécesseur, Joseph Kabila –, Félix Tshisekedi a réussi à s’assurer le contrôle de la Cour constitutionnelle et des deux chambres du Parlement. Aujourd’hui, c’est la Ceni qui est à ses yeux un enjeu majeur. « S’il arrive à imposer son choix, c’est lui qui aura la main », reconnaît-on dans son entourage.

Laisser le champ libre aux catholiques et aux protestants reviendrait à donner un gage à ces deux confessions religieuses, qui sont très influentes dans la société congolaise et qui se sont battues, sous la présidence de Kabila, pour l’organisation d’élections libres, transparentes et démocratiques. Elles-mêmes sont bien conscientes qu’en demandant au président de trancher, elles engagent sa responsabilité politique et mettent à l’épreuve la cohérence de son discours.

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A contrario, appuyer la candidature de Denis Kadima ne serait pas sans risques pour le chef de l’État. Si les deux confessions les plus importantes du pays venaient à se retirer des discussions et à contester la légitimité du processus électoral dans son ensemble, ce serait désastreux, y compris en matière d’image. D’autant que certains partis pourraient leur emboiter le pas, à l’image d’Ensemble pour le changement, la formation de Moïse Katumbi. « Il faut laisser les confessions religieuses travailler sans pression, menace, intimidation ou manipulation, avait-il insisté dans l’interview qu’il nous avait accordée fin août. Et il faut tenir compte du poids de chacun des partenaires au sein de la majorité. »

« Si le président opte pour Denis Kadima, ce sera interprété comme le signe qu’il veut gouverner par défi. Cela annihilera la pertinence de la lutte de l’UDPS [l’Union pour la démocratie et le progrès social, le parti présidentiel] contre les précédents pouvoirs. Cela l’exposera aussi à la critique, y compris en interne », estime un observateur de la scène politique congolaise.

« Délais difficiles à tenir »

Le chef de l’État pourrait-il ne pas trancher et renvoyer la loi portant organisation et fonctionnement de la Ceni devant le Parlement ? Ce serait un aveu d’échec, voire une capitulation face à la fronde des catholiques et des protestants. « Cela entamerait même le crédit du président au profit notamment de Lamuka, qui exige le retrait de la candidature de Kadima et s’en trouverait renforcé dans l’opinion publique », estime un membre de l’entourage de Félix Tshisekedi.

En attendant, les esprits s’échauffent

Reste l’option d’une concertation de haut niveau, pour trouver une solution consensuelle. Mais le format d’une telle rencontre serait difficile à déterminer et elle ne pourrait être organisée ni par le président, ni par la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco), qui est partie au conflit, ni par le Sénat ou l’Assemblée, qui sont – jusqu’à preuve du contraire – acquis au chef de l’État. « En tout état de cause, conclut André Claudel Lubaya, les délais constitutionnels ont beau être contraignants, ils semblent de plus en plus difficiles à tenir. »

En attendant, les esprits s’échauffent. Lors d’une conférence de presse animée, le 7 septembre, Martin Fayulu a explicitement accusé Félix Tshisekedi de préparer un « glissement » du calendrier électoral et a appelé à manifester, le 15 septembre prochain.