L’affaire du viol mimé à la télé va-t-elle permettre un #MeToo ivoirien ?

La séquence a provoqué une vague d’indignation que les peines prononcées par la justice n’ont pas fait retomber. Elle a aussi mis en lumière l’activisme d’une nouvelle génération de féministes. Entretien avec Désirée Dénéo, secrétaire générale de la Ligue ivoirienne des droits des femmes.

Une militante féministe lors d’une manifestation contre la chaîne de télévision Nouvelle Chaine Ivorienne (NCI) au siège de la NCI à Abidjan le 1er septembre 2021. © SIA KAMBOU/AFP

Une militante féministe lors d’une manifestation contre la chaîne de télévision Nouvelle Chaine Ivorienne (NCI) au siège de la NCI à Abidjan le 1er septembre 2021. © SIA KAMBOU/AFP

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Publié le 7 septembre 2021 Lecture : 3 minutes.

Désirée Dénéo est la secrétaire générale de la Ligue ivoirienne des droits des femmes, une association créée l’année dernière qui multiplie les actions sur le terrain et les campagnes de sensibilisation aux violences faites aux femmes. Elle revient pour Jeune Afrique sur le scandale provoqué par l’affaire de la « démonstration » de viol retransmise sur les antennes de la NCI et sur la difficulté qu’il y a à faire bouger les mentalités.

Jeune Afrique : Comment expliquez-vous la mobilisation inédite qu’a connue la Côte d’Ivoire après la diffusion de cette séquence où l’on voit un invité, présenté comme un violeur repenti, mimer une scène de viol sur un mannequin en plastique ?

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Désirée Dénéo : La scène dont vous parlez a d’abord choqué pour des questions de pudeur. Nous sommes dans une société qui reste attachée à un certain puritanisme. Mais les féministes ivoiriennes ont aussi joué un rôle dans l’expression de cette indignation collective. Nous sommes de plus en plus nombreuses, nous sommes aussi mieux organisées, et nous savons donner de la voix sur les réseaux sociaux.

L’animateur de l’émission en question, Yves de Mbella, a été condamné à un an de prison avec sursis ; son invité a écopé de deux ans de prison ferme. Êtes-vous satisfaite ?

Je ne le suis qu’à moitié puisque la chaine, la NCI, n’a pas été condamnée. Nous sommes encore en train de travailler sur cet aspect avec notre avocate. Il y aura une suite. C’est pour cela que nous avons refusé de participer à l’émission d’excuses de la NCI.

Une nouvelle génération de féministes, dont vous faites partie, a émergé en Côte d’Ivoire. Quelles sont vos revendications les plus urgentes ?

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Nos revendications sont multiples, mais l’urgence aujourd’hui, c’est de mettre en place un arsenal législatif pour lutter contre les violences faites aux femmes en Côte d’Ivoire ainsi que le prévoit la Convention sur l’élimination des violences faites aux femmes que ce pays a ratifiée. Nous demandons notamment la gratuité du certificat médical pour les femmes victimes de viol et de violences. Un décret de 2016 rend ce certificat non-obligatoire pour déposer une plainte en cas de viol, mais sans ce document, la plainte n’aboutit que très rarement à une condamnation. Ce certificat est donc indispensable.

Je dis très souvent que je suis féministe pour la génération à venir

Par ailleurs, nos forces de défense et de sécurité ne sont pas suffisamment formées et il faut les sensibiliser sur cette question. Nous réclamons aussi avec insistance un véritable centre d’accueil pour les femmes victimes de violences. Le seul qui existe en Côte d’Ivoire se trouve à Abidjan : il a une capacité de sept places et ne peut accueillir les victimes que pendant trois jours. C’est très insuffisant.

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Sommes-nous à l’aube d’un mouvement #Metoo en Côte d’Ivoire et plus généralement en Afrique de l’Ouest ?

Je dirais que oui, même si l’on aurait tort de penser que tout cela est nouveau et que les féministes ouest-africaines étaient jusqu’à présent restées en marge du mouvement. En Côte d’Ivoire, la question des violences faites aux femmes est revenue sur la table et dans les médias grâce aux réseaux sociaux. Des femmes telles que Lamazone Wassawaney, avec la campagne #Brisonslesilenceduviol lancée il y a quelques années, ont participé à la libération de la parole des victimes.

Et il y a donc cette nouvelle génération de féministes à laquelle j’appartiens. Nous sommes blogueuses, web-activistes et nous avons une certaine maîtrise des médias qui nous permet de monter au créneau quand il le faut. Nous agissons collectivement. Nous avons par exemple en Côte d’Ivoire un collectif d’activistes féministes qui est accompagné par l’ONG américaine EngenderHealth. Dans la sous-région, nous avons aussi un réseau et des groupes Facebook créés pour mettre en commun nos revendications. Il y a une réelle sororité entre nous.

Se dire féministe est-il toujours aussi difficile ou bien observez-vous une évolution des mentalités ?

C’est un mouvement qui est toujours mal compris ici. Peut-être parce que les hommes sont attachés à leurs privilèges. Les petites filles sont éduquées selon la vision patriarcale et l’on apprend à tout accepter en tant que femme, à être soumise. Et dès lors que l’on s’oppose à un système qui fonctionne depuis des siècles, c’est tout à fait logique que cela dérange. Je dis très souvent que je suis féministe pour la génération à venir. J’espère que le combat que mène ma génération leur permettra de vivre dans une société juste et égalitaire.

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