Lorsqu’il a dévoilé, le 24 mai 2021, la composition du premier gouvernement de son nouveau quinquennat, Ismaïl Omar Guelleh (IOG) semble s’être appliqué à lui-même son slogan de campagne. Tout juste réinvesti, le chef de l’État a en effet décidé de « continuer ensemble », en reconduisant la grande majorité des membres de son précédent gouvernement, Premier ministre en tête. En dehors du jeu de chaises musicales pour l’attribution des grands ministères régaliens, les changements ont été rares au sein de la nouvelle équipe (qui compte 26 membres, contre 23 auparavant). Ils n’en sont que plus significatifs des directions qu’entend donner IOG à son mandat.
À commencer par le renforcement de la représentativité et du rôle des femmes dans les sphères politiques et socio-économiques djiboutiennes, qui retient l’attention du président depuis longtemps.
Ce n’est donc pas un hasard si leur nombre a triplé, passant de deux à six dans l’actuel gouvernement, nouveau record pour le pays. Il a nommé les quatre nouvelles venues à la tête de portefeuilles clés, représentatifs de ses priorités – comme les Affaires sociales et les Solidarités, confiées à Ouloufa Ismaïl Abdo, et l’Économie numérique et l’Innovation, à Mariam Hamadou Ali –, mais aussi révélateurs des changements qu’il entend insuffler dans la société, avec un ministère de la Jeunesse et de la Culture (pour la première fois émancipée de la tutelle religieuse), piloté par Hibo Moumin Assoweh. Rencontres avec trois de ces représentantes revendiquées de la « génération IOG ».
Ouloufa Ismaïl Abdo : mission sociale sensible

Ouloufa Ismaïl Abdo, ministère des Affaires sociales et des Solidarités de Djibouti. © Olivier Caslin pour JA
À 40 ans, Ouloufa Ismaïl Abdo est là où elle veut être, à proximité du président qu’elle soutient depuis sa jeunesse. Elle avoue sans peine son « émotion lors du premier conseil des ministres », mais aussi sa surprise devant l’étendue de son portefeuille. Compte tenu de son parcours, l’ancienne directrice de l’Office djiboutien de la propriété intellectuelle et commerciale (ODPIC), qui fut ensuite présidente de la Commission nationale de la communication (CNC), de 2016 jusqu’en mai 2021, « pensait [se] voir attribuer le Commerce ou la Communication ». Et la voilà à la tête du ministère des Affaires sociales et des Solidarités, fer de lance de l’action présidentielle pour les cinq années à venir en matière d’emploi, de formation professionnelle, et de développement économique et social en général.
Une promotion qui vient récompenser la carrière de cette juriste de formation, passée par les bancs de l’université de Reims (dans l’est de la France), qui a su démontrer ses capacités à diriger les institutions du pays. Défenseure de la première heure de la cause des femmes, elle se sent aujourd’hui investie d’une mission, celle « de contribuer à sortir son pays de la pauvreté ». Elle sait pouvoir compter sur le soutien d’IOG, tout en étant bien consciente que le chef de l’État attend des résultats et que son agenda s’annonce des plus chargés. « La population aussi attend », conclut Ouloufa Ismaïl Abdo.
Hibo Moumin Assoweh : la jeunesse avant tout

Hibo Moumin Assoweh, ministre djiboutienne de la Jeunesse et de la Culture. © Olivier Caslin pour JA
Elle a beau être poétesse, docteure en sciences littéraires générales et comparées, spécialiste de littérature djiboutienne, maître de conférences en littératures francophones (depuis 2004) et directrice du centre de recherche universitaire à l’université de Djibouti, Hibo Moumin Assoweh corrige : l’intitulé de son portefeuille est bien celui de la Jeunesse et de la Culture. Pas le contraire. « C’est le mandat de la jeunesse ! » insiste la ministre, comme pour rappeler le sens des priorités du chef de l’État. Et donc des siennes.
Première femme dans l’histoire du pays à occuper ce maroquin, elle voit déjà les passerelles culturelles qu’elle compte lancer « pour solliciter les jeunes, les intégrer culturellement, mais aussi économiquement, à la société ». Les jeunes Djiboutiens, Hibo Moumin Assoweh les connaît bien pour les avoir accompagnés pendant toute sa carrière d’enseignante. Du collège Charles-de-Foucauld, situé dans le quartier 7 bis de la capitale où elle a grandi, jusqu’aux hautes fonctions universitaires qu’elle occupe depuis des années. « C’est la première fois que j’arrête d’enseigner », confie-t-elle.
À 39 ans, elle n’en affiche pas moins une collection de diplômes (des universités françaises de Montpellier, de Bourgogne et de Paris-Sorbonne, où elle obtient son doctorat en 2011), mais aussi d’honneurs littéraires, pour ses recueils de poésies qui font la part belle à son pays, à ses femmes, à ses racines, à sa culture. Et que cette dernière soit pour la première fois détachée du ministère des Affaires musulmanes et des Biens waqfs (entre lesquels elle était jusqu’à présent « intercalée ») n’est pas pour lui déplaire. « Cela évite toute ambiguïté », tranche la ministre.
Mariam Hamadou Ali : l’économie sur le bout des doigts

Mariam Hamadou Ali, ministre déléguée chargée de l’Économie numérique et de l’Innovation de Djibouti. © Aboubaker Mohamed Halloyta
Mariam Hamadou Ali vient de fêter ses 49 ans, dont vingt-quatre passés au sein du ministère de l’Économie et des Finances. Une grande maison à laquelle est rattaché le tout nouveau portefeuille de l’Économie numérique et de l’Innovation, à la tête duquel elle a été nommée le 24 mai 2021. Elle n’a donc pas vraiment quitté le ministère où elle est entrée en 1997, dont, jeune cadre, elle ne s’est absentée que pendant deux ans afin de poursuivre ses études en économie du développement à l’université de Clermont-Ferrand (dans le centre de la France), avant d’y reprendre du service, en 2004, en tant que sous-directrice du Plan, puis directrice de l’Économie, à partir de 2008.
Au cours de ces années, elle participe à l’élaboration du plan prospectif « Vision Djibouti 2035 », après s’être attelée à une étude rétrospective sur son pays portant sur la période 1977-2007. Elle peut donc affirmer aujourd’hui « bien connaître les réalités économiques de Djibouti » sans crainte d’être contredite. C’est aussi l’avis de son ministre de tutelle, Ilyas Moussa Dawaleh, avec lequel elle a travaillé pendant onze ans et qui a fortement soutenu sa nomination à l’Économie numérique et à l’Innovation. Férue de données statistiques, elle avoue cependant se retrouver aujourd’hui « devant une feuille blanche ». En matière de transformation numérique des services publics, tout est à faire à Djibouti. Mais, forte de son passé professionnel, la ministre a déjà un plan. Et ce n’est pas parce que cette technicienne aguerrie sort de l’ombre et prend pour la première fois un peu de lumière qu’elle va changer de méthode.