Au lendemain de la publication du dernier rapport du Groupe d’experts de l’ONU sur le Mali, le 19 août dernier, une partie de la presse burkinabè a souligné qu’Apollinaire Compaoré, président du Conseil national du patronat burkinabè (CNPB), était désormais « blanchi » des soupçons qui pesaient sur lui dans une affaire de contrebande présumée de cigarettes dans le nord du Mali.
Une affirmation que, selon nos informations, les auteurs du rapport considèrent pour le moins catégorique, et aussi éloignée des conclusions qu’ils ont soumises au Conseil de sécurité.
Les « American Legend » de Gao
L’affaire, déjà évoquée dans le rapport 2019 du même groupe d’experts, avait fait grand bruit au Burkina, notamment après la publication d’une enquête de l’ONG Organized Crime and Corruption Reporting Project, à laquelle avait notamment participé le journal d’investigation burkinabè L’Évènement, qui qualifiait Apollinaire Compaoré de « contrebandier de cigarettes bien connu en Afrique de l’Ouest. »
Des miliciens avaient pillé l’entrepôt de la Société nationale des tabacs et allumettes du Mali
Au cœur du scandale, la saisie de 550 cartons de cigarettes « American Legend » en juin 2018 à Labézanga, à la frontière entre le Mali et le Niger. Dans les jours qui avaient suivi la saisie, Gao avait été le théâtre d’importants troubles : des miliciens de la Coordination des mouvements et fronts patriotiques de résistance, de Djibrilla Moussa Diallo, ancien chef des Ganda Koy (membres de la Plateforme, une coalition de groupes armés réputés proches de Bamako), avaient – « sur ordre des hommes d’affaires de Gao qui les avaient commandés », affirmait alors le rapport de l’ONU – pillé l’entrepôt de la Société nationale des tabacs et allumettes du Mali.
La cargaison saisie faisait partie d’un lot d’un millier de cartons – dont chacun contenait 50 cartouches de dix paquets – commandé par Albashar Soumaguel Maïga, commerçant de Gao, à la compagnie Agdal, basée à Niamey. Or celle-ci s’approvisionnait auprès de la Société burkinabè d’exportation (Soburex) que dirige Apollinaire Compaoré, le patron du groupe Planor Afrique.
Ces cigarettes, achetées à l’entreprise grecque Karelia Tobacco par la Soburex, étaient initialement destinées aux marchés ivoirien et burkinabè, à en croire un bordereau daté du 8 juillet 2019 transmis aux experts onusiens par l’entreprise burkinabè. Agdal a pour sa part affirmé que les cigarettes saisies à Gao n’étaient pas censées être revendues dans le nord du Mali mais devaient être réexportées en Algérie.
La Soburex a sciemment fourni ceux qui font de la contrebande
Les experts onusiens avaient alors émis de sérieux doutes sur la véracité de ces explications, jugeant que l’affaire prouvait que « les législations nationales [étaient] insuffisantes ou pas appliquées », ce qui permettait à « l’évasion fiscale liée au commerce de cigarettes de se perpétuer en Afrique de l’Ouest ».
Et dans leur dernier rapport, loin de « blanchir » la Soburex des soupçons dont elle fait l’objet, les experts de l’ONU précisent leur pensée. S’ils soulignent n’avoir « jamais qualifié Apollinaire Compaoré de contrebandier », ils insistent : « Lui, ou la Soburex, a sciemment fourni ceux qui font de la contrebande ». Et selon eux, la conformité légale « partielle » de la Soburex a bel et bien « permis la poursuite du transfert de cigarettes vers Markoye », située dans le nord du Burkina Faso et d’où elles étaient réexportées – sans autorisation légale – vers le Mali et l’Algérie. Deux pays où, insistent les spécialistes, la marque « American Legend » n’est pas autorisée à la vente.
En outre, ces derniers soulignent que « des formulaires de transit [utilisés en 2018] font état de représentations de l’entreprise, en dehors du Burkina Faso, qui n’existent pas ». En l’occurrence, une référence à Soburex Mauritanie, qui n’a pas d’existence légale.
La direction de la Soburex, qui a depuis assuré avoir suspendu la réexportation de cigarettes via le Mali, n’a pas donné suite à nos sollicitations.