Il devait être, aux yeux de beaucoup de commentateurs, la principale victime collatérale – si ce n’est le bouc émissaire – du volet marocain de l’affaire Pegasus. Selon l’enquête du consortium de médias et d’ONG publiée au cours de la seconde quinzaine de juillet, Abdellatif Hammouchi, le directeur général de la Direction générale de la sûreté nationale et de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGSN-DGST) marocain, aurait supervisé l’utilisation du logiciel israélien Pegasus pour espionner tout ce que le royaume compte de dissidents, mais aussi les responsables politiques, militaires et sécuritaires de plusieurs États, notamment la France et l’Algérie – y compris le président Emmanuel Macron lui-même.
Mieux : si l’on en croit les résultats de cette investigation, la machine devenue incontrôlable aurait été utilisée par le patron de la DGSN-DGST pour surveiller le roi Mohammed VI (M6) et sa famille.
Coup de sirocco
Il n’en fallait pas plus pour que nombre de médias se livrent à des rapprochements hasardeux entre le destin de ce haut fonctionnaire de 55 ans en poste depuis fin 2005 et celui des généraux Oufkir et Dlimi sour le règne de Hassan II. Au mieux, ses jours à la tête de l’appareil sécuritaire marocain étaient comptés. C’est tout le moins ce que souhaitaient, sans presque s’en cacher, ses adversaires.
Cinq semaines plus tard, le scandale, vu du Maroc, semble avoir fait pschit ! La contre-attaque organisée par le royaume – qui nie avoir acquis le logiciel Pegasus, exige des preuves contradictoires des accusations dont il fait l’objet et n’hésite pas à porter plainte en France contre ses détracteurs – a manifestement convaincu en interne et fonctionné jusqu’au sein de l’Élysée, où l’on a très tôt estimé que le jeu (des imputations invérifiables) n’en valait pas la chandelle (remettre en question la très précieuse coopération sécuritaire avec le Maroc). Quant à Abdellatif Hammouchi, à l’évidence, sa position ne ressort pas ébranlée de ce coup de sirocco.
Elle apparaît même plutôt renforcée. Dans le message de condoléances qu’il lui a adressé le 14 août à la suite du décès de sa mère, le souverain rend hommage au « patriotisme sincère » et à « l’attachement aux constantes de la nation et à ses sacralités » du patron de la sûreté. Chaque mot étant pesé, le décryptage est clair : un renouvellement de confiance.
Discours très offensif
Au terme d’un discours très offensif prononcé quelques jours plus tard, le 20 août, dans lequel il dénonce les « attaques méthodiques dont le Maroc a été dernièrement la cible », M6 revient à la charge dans une allusion claire à l’affaire Pegasus : « Les artisans de ce travail de sape ont orchestré une vaste campagne de dénigrement à l’encontre de nos institutions sécuritaires », dit-il, avant de louer l’ « efficacité » et le « niveau de maîtrise élevé » des services marocains.
Le Maroc a changé, mais pas dans le sens souhaité par ses détracteurs, a prévenu M6
Face à ce qu’il qualifie d’« agression délibérée et préméditée » de la part d’« ennemis de l’intégrité territoriale » (sous-entendu : l’Algérie et ceux qu’elle influence), mais aussi de « quelques pays européens comptant, paradoxalement, parmi les partenaires traditionnels du Maroc » (l’Allemagne, l’Espagne et la France, bien qu’il épargne de son courroux Emmanuel Macron et le Premier ministre Pedro Sanchez), le roi lance un avertissement : « les règles du jeu ont changé » et « le Maroc a changé, mais pas dans le sens souhaité par ses détracteurs », qu’il qualifie au passage d’« envieux consumés par la haine vouée à [son] pays ». Le 20 août étant le 68e anniversaire de la Révolution du roi et du peuple, l’occasion était idéale de démontrer que la « monarchie citoyenne » (dixit M6) n’avait rien perdu de ses réflexes : la meilleure défense reste l’attaque.