Un nouveau pallier a été franchi dans les tensions entre Rabat et Alger. Abdelmadjid Tebboune a présidé le 18 août une réunion extraordinaire du Haut Conseil de sécurité dont les conclusions ont abouti à une nouvelle mise en cause du Maroc. La réunion étant consacrée à l’évaluation de la situation du pays après les importants feux de forêt qui ont plongé l’Algérie dans la panique, le président algérien a soutenu l’explication donnée par son ministre de l’Intérieur, Kamel Beldjoud, qui avait assuré que les incendies avaient été déclenchés par des « mains criminelles ».
Dans un communiqué, la présidence algérienne a annoncé que l’Algérie allait « revoir ses relations » avec son voisin marocain, sans plus de précision sur ces mesures de rétorsion. « Les actes hostiles incessants perpétrés par le Maroc contre l’Algérie ont nécessité la révision des relations entre les deux pays et l’intensification des contrôles sécuritaires aux frontières ouest », a indiqué El Mouradia, sans que Rabat ne réagisse pour le moment.
La raison de cette nouvelle passe d’armes ? L’un des mouvements accusés d’être à l’origine des incendies, le MAK (Mouvement pour l’autonomie de la Kabylie) « reçoit le soutien et l’aide de parties étrangères, en tête desquelles le Maroc et l’entité sioniste », selon un communiqué de la présidence algérienne daté du 18 août. Le parti islamiste Rachad, lui aussi considéré comme terroriste par Alger, est également mis en cause dans la catastrophe qui a fait plus de 90 morts.
Ces groupes sont aussi accusés d’être derrière l’assassinat de Djamel Bensmail, lynché et brûlé à Larbaâ Nath Irathen car suspecté d’être à l’origine des feux. Les deux mouvements ont rejeté ces accusations, qu’ils déclarent « sans fondement ». Le gouvernement algérien avait fait entrer en avril dernier le MAK et Rachad dans sa liste des entités terroristes. Retour sur ces mouvements contestés.
Le MAK et le « peuple kabyle »
Le MAK a été fondé en 2001, dans le contexte du printemps noir en Kabylie, qui a fait 126 victimes entre 2001 et 2003. Après avoir prôné l’autonomie de la Kabylie, le mouvement est devenu une organisation séparatiste et milite en faveur du droit du « peuple kabyle » à son autodétermination.
Son fondateur, Ferhat Mehenni, est un ancien chanteur engagé et milite pour la cause berbère depuis les années 1970. Il a été membre actif du parti laïc d’opposition RCD (Rassemblement pour la culture et la démocratie), fondé en 1989. Depuis 2006, il est visé par un mandat d’arrêt international lancé par la justice algérienne.
Les leadership du mouvement vit en exil, principalement en France. Les militants du MAK organisent chaque année des événements commémoratifs du Printemps berbère de 1980 ou de la révolte du printemps noir de 2001.
L’Algérie a dénoncé une « dérive dangereuse »
Au moment de la reprise des manifestations du Hirak, en février 2021, après une pause imposée par la crise du Covid-19, les autorités algériennes ont changé d’approche sur le MAK. Jusque-là toléré, le mouvement a depuis lors été accusé de terrorisme, de tentative de déstabilisation et de complot contre la sûreté de l’État.
Le MAK a été récemment au centre d’une vive polémique. La note remise le 14 juillet aux États membres du Mouvement des non-alignés par Omar Hilale, ambassadeur du Maroc à l’ONU, a mis le feu aux poudre. Le représentant marocain y déclare le soutien du royaume au droit à l’autodétermination du « vaillant peuple kabyle », en réponse au soutien de l’Algérie aux revendications du Front Polisario sur le Sahara. Une sortie interprétée comme un soutien de Rabat au mouvement séparatiste kabyle par l’Algérie, qui a dénoncé une « dérive dangereuse » avant de rappeler son ambassadeur de Rabat.
Rachad, héritier du FIS ?
Fondé le 18 avril 2007 depuis Londres par cinq Algériens, le courant islamiste Rachad décrit son action comme « non violente » et se donne pour but d’apporter « un changement radical en Algérie ». Plusieurs de ses membres fondateurs sont issus du Front islamique du salut, parti interdit en 1992 et qui a ensuite basculé dans le terrorisme. Une idéologie a priori peu compatible avec celle du MAK…
Sur son site web, Rachad estime que le FIS « a été grandement lésé [durant les législatives remportées en 1991 et annulées par le coup d’État de 1992] et que cette injustice à son égard a eu des conséquences terribles pour la société et la nation ».
Rachad était accusé par des manifestants du Hirak de vouloir infiltrer le mouvement
Le parti revendique pourtant de n’adhérer ni « aux principes et au programme du FIS, ni dans les méthodes et dans les outils qu’il a utilisés » et affiche sur son site sa volonté de voir instaurer en Algérie un « État de droit régi par les principes démocratiques et de bonne gouvernance ».
Suivi par presque un demi-million de comptes sur Facebook aujourd’hui, Rachad a été accusé par certains des manifestants du Hirak, ainsi que par les autorités, de vouloir infiltrer le mouvement de contestation pacifique.