Dans ce dossier
« Wanted » : enquête sur les 20 Africains les plus recherchés
Burkina Faso – François Compaoré, mieux vaut tard que jamais

François Compaoré fut le conseiller de son frère pour les questions économiques. Ici à Paris, le 12 septembre 2017. © Vincent Fournier/JA
L’affaire date de vingt-trois ans et a rattrapé François Compaoré. Accusé d’avoir commandité l’assassinat, en décembre 1998, du journaliste Norbert Zongo, qui enquêtait lui-même sur les circonstances obscures de la mort de l’un de ses employés, le frère de l’ex-président burkinabè, 67 ans, va-t-il enfin s’expliquer sur sa responsabilité dans ce crime qui avait ébranlé le pays ?
La décision rendue le 30 juillet par le Conseil d’État français, qui valide le décret d’extradition de François Compaoré vers Ouagadougou, laisse augurer un rebondissement en faveur de ceux qui réclament justice dans le dossier de la mort de Norbert Zongo et de trois de ses compagnons, classé en 2006 après un non-lieu et rouvert à la faveur de la chute de Blaise Compaoré.
Si nécessaire, nous accompagnerons François Compaoré en zone rouge
Pourtant, le combat est loin d’être terminé : les avocats de François Compaoré, les Français François-Henri Briard et Pierre-Olivier Sur, regrettant une décision qui expose leur client à des « risques de torture, de traitements inhumains et dégradants », ont aussitôt saisi la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) « afin qu’elle fasse échec à l’extradition envisagée ». Le 6 août, la CEDH a annoncé avoir demandé à la France de suspendre l’extradition du Burkinabè en attendant qu’elle examine le dossier sur le fond. La Cour a toutefois insisté sur le fait que cette demande ne présageait pas « de ses décisions ultérieures sur la recevabilité ou sur le fond des affaires en question ».
Si les avocats de François Compaoré ont salué dans un communiqué une « décision indépendante et impartiale », le Burkinabè n’est donc pas tiré d’affaire. Fin juillet, il avait pris acte de la décision du Conseil d’État français, se déclarant « prêt à faire face, dans la dignité, l’honneur et avec responsabilité, à la justice burkinabè ». Me Pierre-Olivier Sur dénonçait quant à lui une « pression politique sur la justice en France dans cette affaire si particulière dans l’histoire des deux pays ». « C’est pourquoi nous avons saisi la Cour européenne, seule juridiction qui pourra statuer avec une juste distance dans ce dossier », ajoutait-il, avant de conclure : « Si nécessaire, nous accompagnerons François Compaoré en zone rouge pour nous assurer que les bonnes conditions d’incarcération et de jugement sont remplies. »
Nadoun Coulibaly
RDC – John Numbi, un général très encombrant

John Numbi au tribunal, à Kinshasa, en janvier 2011. © JUNIOR KANNAH/AFP
Général quatre étoiles, puissant, influent et redouté, John Numbi, 59 ans, se voit aujourd’hui rattrapé par son passé. Depuis plusieurs mois, la justice tente de rouvrir le dossier du meurtre du défenseur des droits de l’homme Floribert Chebeya et de son chauffeur, Fidèle Bazana, assassinés le 1er juin 2010 alors qu’ils avaient rendez-vous au siège de la police congolaise, que Numbi dirigeait à l’époque.
Après l’arrestation de nombreux membres du commando restés jusque-là cachés dans le Katanga, le fief de Numbi, le général congolais a finalement pris la fuite quelques jours avant la perquisition de sa ferme, en périphérie de Lubumbashi. Officiellement visé par un mandat d’arrêt daté du 14 avril et signé par l’auditeur général près la Haute Cour militaire, Likulia Bakumi Lucien René, Numbi doit « en cas de découverte » être appréhendé et traduit devant cette dernière.
Plusieurs sources officielles assurent qu’il serait passé par la Zambie, frontalière du Katanga, avant de rejoindre le Zimbabwe
Le problème, c’est qu’aucun membre des services de l’État ne semble savoir avec précision où se trouve aujourd’hui le général proche de Kabila. Si, du côté des services militaires du Katanga, on reste convaincu que John Numbi n’a pu fuir à temps que grâce à la complicité de ses réseaux au sein des forces de sécurité, sa destination reste incertaine. Plusieurs sources officielles assurent qu’il serait passé par la Zambie, frontalière du Katanga, avant de rejoindre le Zimbabwe, pays dont l’ancien chef de l’État est resté proche.
L’entourage du président congolais se refuse à parler d’éventuelles démarches entreprises pour retrouver le général, mais un intime du chef de l’État assure que la liberté de Numbi est « déjà réduite là où il est ».
Romain Gras
Mali – Karim Keïta, le « super trophée »

Karim Keïta, président de la commission Défense, sécurité et protection civile de l’Assemblée nationale malienne © Emmanuel Daou Bakary pour JA
À Bamako, pour éviter la crispation des uns et l’ire des autres, mieux vaut ne pas prononcer le nom de Karim Keïta. Élu député en 2013 alors qu’il n’avait que 34 ans, puis nommé président de la Commission de défense de l’Assemblée nationale, son ascension fulgurante avait cristallisé les critiques dans la capitale malienne.
Le 18 août 2020, le coup d’État militaire qui entraîne la chute de son père, Ibrahim Boubacar Keïta, le fauche en plein vol. Ciblé par une partie de l’opinion, recherché par la junte, Karim Keïta se cache un temps puis, avec l’aide de son ami, le Premier ministre ivoirien décédé Hamed Bakayoko, il trouve refuge en Côte d’Ivoire. À 42 ans, il coule depuis des jours tranquilles entre la capitale économique ivoirienne et la très chic station balnéaire d’Assinie.
Les juges espèrent l’entendre dans l’affaire Birama Touré, un journaliste mystérieusement disparu en 2016
À l’autonome dernier, alors que le Mali était en pleine reconstruction politique, une photo de lui déjeunant sur la plage va faire polémique, au point que le président ivoirien Alassane Ouattara mandate Bakayoko pour demander à l’intéressé de se faire plus discret. Depuis, Karim Keïta a tout verrouillé autour de lui et trie plus que jamais ses fréquentations. Mais le 5 juillet dernier, le doyen des juges d’instruction du tribunal de la Commune IV de Bamako émet un mandat d’arrêt international contre lui. Les juges espèrent l’entendre dans l’affaire Birama Touré, un journaliste mystérieusement disparu en 2016, et qui aurait été détenu des mois durant dans une « prison secrète » de la Sécurité d’État.
Auprès de ses proches, Karim Keïta évoque un complot. « Il estime que l’affaire Birama Touré est un coup monté, confie à JA un ancien cadre du régime d’IBK qui a pu lui parler. Je pense qu’il va préparer sa riposte. Mais il serait imprudent pour lui de rentrer aujourd’hui, car il sait qu’il représente un super trophée pour les militaires au pouvoir. » « Est-il conscient d’avoir une part de responsabilité dans le mécontentement populaire qui a conduit à la chute de son père ? » s’interroge un homme politique resté en contact avec lui. Parmi ses proches, ils sont quelques-uns à penser que non.
Il a rendu visite à son père à Abou Dhabi où ce dernier reçoit régulièrement des soins médicaux
Bien qu’en fuite, Karim Keïta n’a pas mis fin à ses déplacements. Ces derniers mois, il s’est rendu aux États-Unis et a même posé ses valises en France. Il a aussi rendu visite à son père à Abou Dhabi où ce dernier reçoit régulièrement des soins médicaux. S’il bénéficie de la protection des autorités d’Abidjan, il sait cependant qu’avec le mandat d’arrêt international lancé à son encontre, il doit à présent se montrer discret et organiser sa défense. Dans ce but, le fils d’IBK a engagé un tandem d’avocats expérimentés : le Français Marcel Ceccaldi et le Malien Kassoum Tapo.
Fatoumata Diallo
RDC – Kalev Mutond, maître espion en exil

Kalev Moutondo. © ROBERT CARRUBBA
Kalev Mutond affrontera-t-il un jour la justice congolaise ? L’ancien tout-puissant maître espion congolais, 64 ans, patron des renseignements pendant huit ans, est poursuivi par sept plaignants pour torture, arrestations arbitraires, menaces de mort et tentatives d’assassinat. S’il n’a comparu à aucune des audiences dans l’affaire le concernant, ni répondu à la moindre convocation de la justice, ce très proche de l’ancien président Joseph Kabila continue de suivre l’instruction de près. Convaincu qu’il s’agit d’un dossier politique, il a attaqué en retour l’ensemble des plaignants pour imputations dommageables, dénonciations calomnieuses et association de malfaiteurs.
Visé par un mandat d’amener et un avis de recherche émis le 11 mars dernier, l’ancien patron de la redoutée Agence nationale de renseignement (ANR) mène ce bras de fer judiciaire à l’étranger. Resté discret pendant plusieurs semaines, il a finalement pris la décision de quitter la RDC en avril. Entré dans la clandestinité et circulant aujourd’hui entre plusieurs pays africains francophones (sans que l’on connaisse sa localisation exacte), Kalev Mutond conserve néanmoins un contact avec l’extérieur. Utilisant plusieurs numéros immatriculés dans différents pays du continent, il transmet régulièrement à un petit groupe de personnes des publications relatant les derniers développements de son affaire.
Kalev Mutond maintient, selon nos informations, un canal de discussion avec le cabinet du président congolais
À ses interlocuteurs, Kalev Mutond assure être disposé à être confronté à ses plaignants, mais accuse ces derniers de fuir la justice. Sa défense demande au préalable que le procureur près la Cour d’appel de Kinshasa abandonne le mandat d’amener émis à l’encontre de son client afin qu’il puisse comparaître en homme libre. « Si le Parquet applique le droit, il va rentrer en RDC pour comparaître devant le tribunal », assure l’entourage de l’ex-sécurocrate.
S’il a, avant sa fuite, plaidé sa cause auprès du chef de l’État via des proches de ce dernier, comme le haut représentant Kitenge Yesu, décédé depuis, Kalev Mutond maintient, selon nos informations, un canal de discussion avec le cabinet du président congolais. En attendant de trouver une issue à son dossier, il affirme que certaines de ses résidences sont régulièrement perquisitionnées.
Romain Gras
Rwanda – Kayumba Nyamwasa, le dissident

Faustin Kayumba Nyamwasa, l'ancien chef d'état-major de l'armée rwandaise. © AFP
Longtemps il a fait partie du premier cercle du Front patriotique rwandais (FPR), puis de l’armée rwandaise, au lendemain du génocide de 1994. Mais au début des années 2000, en délicatesse avec le président Paul Kagame, Kayumba Nyamwasa, 59 ans, qui fut patron du renseignement puis chef d’état-major de l’armée, entre en disgrâce, est éloigné de Kigali pour occuper le poste d’ambassadeur en Inde, puis finit par faire défection. En février 2010, il quitte le pays discrètement et rejoint l’Afrique du Sud, où il vit toujours.
Jusque-là, toutes les tentatives du Rwanda pour obtenir son extradition sont restées vaines
Après avoir fondé un mouvement d’opposition en exil, le Rwanda National Congress (RNC) en 2010 avec une poignée d’autres dignitaires du régime en rupture de ban, il deviendra aussi l’un des fondateurs du P5 (Platform Five), deux organisations considérées par Kigali comme des mouvements terroristes. Condamné in absentia à vingt-quatre ans de prison par la justice militaire rwandaise pour désertion, diffamation et atteinte à la sécurité de l’État, il est en outre soupçonné par Kigali d’avoir joué un rôle dans les attaques à la grenade qui avaient fait plusieurs victimes dans la capitale en 2010.
Mais jusque-là, toutes les tentatives du Rwanda pour obtenir son extradition sont restées vaines. « Il n’existe pas d’accord d’extradition entre les deux pays, qu’il s’agisse de personnes soupçonnées ou condamnées, commente une source judiciaire rwandaise. De plus, l’acte d’accusation servant de base à la demande d’extradition avait été rédigé à la va-vite et n’a pas été jugé suffisamment convaincant par les autorités sud-africaines. »
D’autant que Kayumba Nyamwasa a entre-temps obtenu l’asile politique à la suite d’une tentative d’assassinat dont il avait fait l’objet en 2010 près de son domicile de Johannesburg et dans laquelle il a été blessé par balle. Son épouse mais aussi les autorités sud-africaines ont attribué la responsabilité, à mots couverts, à des agents rwandais.
Mehdi Ba
Burkina Faso – Hyacinthe Kafando, l’homme invisible
Il est insaisissable. Recherché depuis 2015 par les autorités judiciaires burkinabè pour son implication présumée dans l’assassinat de l’ancien président Thomas Sankara et de ses douze compagnons, le 15 octobre 1987, cet ancien responsable de la sécurité de Blaise Compaoré s’est comme volatilisé. Il est désigné comme ayant fait partie du commando qui a fait irruption ce jour-là dans la salle de réunion du Conseil de l’entente, où fut commis le crime. Où est-il ? Comment a-t-il pu quitter le pays ? A-t-il bénéficié de complicités ? Autant de questions restées sans réponse à quelques mois de l’ouverture d’un procès emblématique, dont la date a été fixée au 11 octobre, soit trente-quatre ans après les faits.
Selon plusieurs sources proches du dossier, Hyacinthe Kafando a quitté le Burkina Faso en 2015, lorsque les autorités de la transition ont rouvert le dossier Sankara. Une convocation avait été émise par le juge d’instruction militaire qui souhaitait l’entendre. Mais Kafando ne s’est pas présenté. C’est ainsi qu’un mandat d’amener a été délivré afin qu’il soit conduit de force devant le juge. Lorsque les gendarmes sont allés le chercher dans son village, à Boulsa, dans le centre-nord, à un peu plus d’une centaine de kilomètres de Ouagadougou, l’adjudant à la retraite avait disparu. Pourtant, celui-ci avait été placé sous surveillance, d’où l’hypothèse d’une complicité des forces de l’ordre, voire des autorités de l’époque.
Kafando aurait rejoint la Côte d’Ivoire en 2015 en passant par le Mali. Depuis, il n’aurait plus donné signe de vie et reste introuvable malgré le mandat d’arrêt international délivré par la justice militaire. L’ancien sous-officier burkinabè et ex-député du Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP) sera jugé en octobre prochain pour « assassinat ». Trois autres hommes qui faisaient partie de l’équipe de sécurité de Blaise Compaoré à l’époque des faits feront face au tribunal : Nabonsouindé Ouedraogo, Idrissa Sawadogo et Yamba Élysée Ilboudo.
Aïssatou Diallo