Politique

RDC : l’ancien rebelle Tommy Tambwe peut-il gagner le pari du désarmement ?

Attendue depuis 2019, la composition de l’équipe de coordination du Programme de désarmement, démobilisation et réinsertion des ex-combattants a enfin été rendue publique. Mais elle fait polémique.

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Mis à jour le 14 août 2021 à 10:03

Tommy Tambwe, lors de sa conférence de presse à la présidence. © DR

Mise en place par Félix Tshisekedi, la coordination nationale du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire et stabilisation (P-DDRC-S) sera donc dirigée par Tommy Tambwe Ushindi.

Ancien vice-gouverneur de la province du Sud-Kivu lors de la rébellion du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) Goma, alors soutenu par le Rwanda pour combattre le régime de Laurent-Désiré Kabila et de son fils Joseph, l’ancien rebelle est une personnalité bien connue du paysage sécuritaire dans l’est de la RDC.

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Et pour cause. Lorsque le gouvernement congolais négociait à Kampala, en 2013, un accord de paix avec le Mouvement du 23-Mars (M23), Tommy Tambwe offrait déjà ses services à la rébellion appuyée par Kigali que l’armée congolaise a défaite en novembre 2013 avec l’aide de la brigade d’intervention des Nations unies.

Controverse

Depuis 2019, le Conseil de sécurité pressait Kinshasa de mettre en place une stratégie « crédible » de désarmement, démobilisation et réintégration (DDR) pour encourager la reddition volontaire des ex-combattants et d’en désigner ses animateurs. Si c’est désormais chose faite, les premiers pas de ce nouveau programme s’annoncent délicats.

Gratifier ainsi des criminels au lieu de les traduire en justice encourage les groupes armés à attendre leur tour en brousse

Peu après la nomination de Tommy Tambwe à la tête du P-DDRC-S, plusieurs voix se sont élevées pour dénoncer le passé de cet ancien rebelle reconverti en expert des négociations de paix dans son Sud-Kivu. Dans un communiqué, le Prix Nobel de la paix Denis Mukwege a indiqué que les différents accords politiques visant à mettre fin à la violence ont planté les graines de l’instabilité et de la culture de l’impunité en intégrant des éléments des groupes armés rebelles, congolais et étrangers, au sein des forces de sécurité et de défense de la République.

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« Les processus de désarmement, démobilisation et réinsertion sous-financés et bâclés ainsi que les politiques de mixage et de brassage, souvent accompagnées de promotions, ont intégré l’indiscipline au sein des institutions et ce jusqu’au plus haut niveau de l’État, a écrit le médecin. Gratifier ainsi des criminels au lieu de les traduire en justice, cette stratégie de tireurs de ficelles tapis à Kinshasa, Kigali, Kampala et Bujumbura encourage les groupes armés à attendre leur tour en brousse.

Des communiqués d’Amnesty International et de Reporters sans frontières (RSF) rapportent notamment que Tommy Tambwe avait commandité des arrestations sans ménagements de journalistes. Et soulignent aussi ses responsabilités au sein l’Alliance pour la libération de l’est du Congo (Alec), un mouvement créé par un groupe de Banyamulenge appartenant à la diaspora.

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Par ailleurs, une source proche du Bureau des Nations unies pour les droits de l’homme a précisé à JA que, pour gagner le pari de la reddition volontaire des milliers d’ex-combattants dans l’Est, le plus important était de rendre le programme opérationnel. En effet, indiquent des sources sécuritaires, plusieurs milliers d’ex-combattants qui s’étaient rendus auprès des services de sécurité congolais après l’investiture de l’ancien opposant politique Félix Tshisekedi avaient finalement regagné le maquis en raison de défaillances dans leur prise en charge.

Les ex-combattants du M23 vivant au Rwanda et en Ouganda, dont le leadership politique a conclu en juillet 2019 à Kigali un accord avec le gouvernement congolais prévoyant leur rapatriement en RDC, continuent d’attendre la concrétisation de cet engagement.

Expert en négociations de paix

Tommy Tambwe a offert ses services, ces dernières années, dans les négociations secrètes et publiques de paix entre le gouvernement congolais et les groupes armés actifs dans le Sud-Kivu en particulier. Dans un passé récent, il a œuvré au rapprochement entre le Mécanisme national de suivi (MNS), structure technique de la présidence de la République, et l’ONG suisse Interpeace, dont est notamment membre Alan Doss, l’ancien représentant spécial du secrétaire général des Nations unies en RDC et ex-chef de la Monusco. Ce qui a donné lieu à des rencontres de haut niveau pour la promotion de la paix dans l’est du pays.

Cette collaboration a également abouti à l’élaboration d’un programme de résolution des conflits armés dans le Sud-Kivu, axé notamment sur le dialogue intra- et intercommunautaire. Une approche qui visait à rompre avec les initiatives antérieures, émaillées d’échecs en raison de tensions non seulement entre les communautés locales mais aussi en leur sein même.

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Ainsi des membres de la communauté banyamulenge (issus de Kinshasa, de la diaspora et du Sud-Kivu) se sont-ils parlé, en février 2020 à Kinshasa, avant qu’un dialogue entre Babembe se tienne à Uvira, en mars 2020. Ce processus devrait se poursuivre pour les autres communautés vivant dans les hauts et moyens plateaux de Fizi et Mwenga. Mais le confinement imposé en mars 2020 contre la propagation du Covid-19 a porté un coup dur à la mise en œuvre de cette initiative.

À l’issue du dialogue d’Uvira enclenché par Tommy Tambwe, un accord de principe assorti d’un cessez-le-feu avait été signé par des délégués des groupes armés opérant dans cette zone dans la perspective d’une réconciliation intercommunautaire. Mais la violation du cessez-le-feu n’a pas tardé. « La complexité de la situation sécuritaire, marquée par des pesanteurs de divers ordres, n’a pas permis de donner longue vie à cette initiative », analyse une source sécuritaire.

50 millions de dollars de la Banque mondiale

Alors que Félix Tshisekedi, qui a fait de la paix et de la sécurité dans l’Est du pays sa première priorité, est déjà au pouvoir depuis deux ans et demi, la coordination nationale du P-DDRC-S est tenue de remporter un lourd pari. Plusieurs partenaires extérieurs de la RDC ont promis d’appuyer le gouvernement dans ses efforts en insistant sur la nécessité du renouvellement du DDR qui, dans le passé, avait subi une suite de ratés. La Banque mondiale a d’ailleurs déjà accordé 50 millions de dollars au programme. « C’est à son œuvre que Tommy Tambwe sera jugé », tranche-t-on dans l’entourage de Félix Tshisekedi.