Dans le centre-ville de Niamey. © ISSOUF SANOGO/AFP

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Société

Niger : le foyandi, c’est exclusivement féminin

Le phénomène est né dans le pays il y a une vingtaine d’années, principalement en ville. Aujourd’hui, nombre de Nigériennes sont membres d’un foyandi. Un cercle de femmes d’une même famille, d’un même groupe amical ou professionnel qui, une ou deux fois par mois, passent une journée ensemble pour échanger, manger, s’amuser, et encaisser à tour de rôle l’argent de la tontine.

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Mis à jour le 22 août 2021 à 16:04

© DOM pour JA

Niamey, 8 août 2021. Un week-end ordinaire au quartier Madina, dans l’est de la ville. Comme chaque deuxième dimanche du mois, mères, sœurs, tantes, nièces et cousines de la lignée du patriarche Yansambou sont réunies pour leur foyandi familial. Cette fois, elles sont reçues chez Oumou Issoufou Yansambou, sage-femme de 39 ans, dont l’époux s’est éclipsé une heure plus tôt : le foyandi est exclusivement une affaire de femmes. Au menu de cette rencontre qui dure parfois toute la journée, agapes, causeries, plaisanteries et… tontine. Pour ce moment privilégié qu’elles ne louperaient pour rien au monde, les vingt-deux membres, toutes adultes, ont remis à la maîtresse de maison une enveloppe de 22 000 F CFA (une trentaine d’euros), soit 1 000 francs chacune, pour le repas et les boissons.

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Le foyandi s’est imposé au Niger dans les années 1990, principalement dans les zones urbaines. « Aucune parmi nous ne saurait dire d’où vient ce phénomène », sourit Ousseina Ali Lawali, l’infirmière de 38 ans qui assure le rôle de présidente de ce groupe constitué il y a vingt ans. « Mais désormais, il y a chez chaque Nigérienne un besoin vital d’appartenir à un voire plusieurs foyandi, pour faire corps avec les siens et consolider les liens sociaux. C’est un véritable élément de cohésion sociale », poursuit Ousseina Ali Lawali.

Contact, entraide et tontine

En effet, s’il est bien question d’argent, les femmes tiennent à souligner la différence entre le foyandi et la tontine traditionnelle nigérienne. Cette dernière est mixte et ne nécessite pas que les membres aient des affinités particulières, ni ne soient tenus de se réunir. Ils ne se connaissent d’ailleurs pas tous et le rôle des responsables se limite en général à rassembler les cotisations pour les remettre ensuite aux bénéficiaires. En revanche, dans le foyandi, il est obligatoire de se retrouver une à deux fois par mois au domicile de l’une des membres. Le contact humain, l’entraide et la solidarité priment sur toute autre considération.

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Chez les Yansambou, le montant de la cotisation pour la tontine est fixé à 25 000 F CFA mensuels. Celle qui récupère la mise du mois remporte ainsi quelque 550 000 francs (840 euros). « Le véritable enjeu, c’est l’autonomisation de la femme, souligne Aliyu Halima Mamane, ex-députée MNSD de Gouré, très impliquée dans ce combat. Lorsqu’elles se regroupent pour cotiser, c’est pour octroyer des fonds à l’une des leurs qui souhaite entreprendre quelque chose, par exemple, ouvrir un commerce. La tontine du foyandi est un substitut au microcrédit. Les femmes gagneraient à s’y intéresser. »

Parfois, une main invisible d’homme interagit. Avec le concours inavoué de son conjoint, une participante peut cotiser jusqu’à trois fois le montant fixé, ce qui multiplie d’autant sa mise. Dans la répartition des tours, on tient compte des projets et des situations individuelles. Les femmes qui projettent de se lancer dans le commerce sont les premières servies, l’idée étant qu’elles bénéficient d’un crédit à taux zéro ; celles qui doivent s’acquitter de frais de scolarité sont, elles, prioritaires entre juillet et octobre.

Des pagnes et des savons

Mais il n’est pas toujours question d’espèces sonnantes et trébuchantes. « Il arrive qu’une femme se révèle incapable d’économiser pour des projets qui lui tiennent pourtant à cœur, comme équiper sa maison ou renouveler sa garde-robe. Le produit de sa tontine est alors utilisé pour acheter à sa place ce dont elle rêve et le lui “offrir” très solennellement. Il n’est pas rare qu’elle se retrouve avec une vingtaine de nouveaux pagnes, un achat qu’elle n’aurait pas effectué si l’argent lui avait été remis. »

Pour une naissance, la jeune maman reçoit trois pagnes et un carton de savon.

Ousseina Ali Lawali participe également à un autre type de foyandi, fondé non pas sur la parenté, mais sur l’amitié. À l’origine, c’était un groupe WhatsApp, qui s’est structuré pour devenir une amicale d’anciens camarades, de la maternelle à l’université. Ici, point besoin de tontine. Les femmes versent à chaque rencontre une contribution de 2 500 francs, destinée à financer les différents ateliers artisanaux qu’elles organisent (fabrication de savon, d’encens, etc.). Elles ont aussi ouvert une caisse d’entraide dans laquelle chacune verse 500 F CFA par mois, pour soutenir celles qui en font la demande. Et quand survient un événement, heureux ou malheureux, chacune des quinze membres verse à la concernée une somme de 5 000 francs, le double si c’est pour son mariage. Pour une naissance, la jeune maman reçoit trois pagnes et un carton de savon. Elles n’ont pas souhaité fixer des montants plus élevés afin de ne pas pénaliser ou frustrer les femmes au chômage.

Pacte de confiance

S’il est très prisé, le foyandi ne fait pourtant pas l’unanimité. Enseignante-chercheuse à l’université de Niamey, Élisabeth Shérif Siddo estime qu’il y d’autres manières de s’impliquer socialement. Certaines femmes transforment les foyandi en haut lieu de commérages, où elles se livrent une concurrence malsaine, où c’est à celle qui exhibera les plus beaux atours… Une dérive particulièrement marquée dans les groupements qui fédèrent parfois plusieurs foyandi n’ayant pas toujours les mêmes intérêts.

Certaines femmes en font un haut lieu de commérages, où elles se livrent une concurrence malsaine.

Bien qu’elle reconnaisse au foyandi plus de vertus que de défauts, Élisabeth Sherif Siddo s’interdit d’y participer. Il devient de plus en plus un marqueur social. Les membres des foyandi s’assistent les unes les autres au cours des grandes cérémonies. Plus leurs rencontres sont courues, plus elles sont respectées. Et voir s’y presser trois ou quatre groupes différents de foyandi (identifiables à leurs uniformes) témoigne du statut social de leurs organisatrices. L’universitaire tient aussi à alerter sur les risques de surendettement. « On a vu des femmes adhérer à six foyandi et, donc, à autant de tontines, ce qui est contre-productif », souligne-t-elle. Quelques-autres ont disparu dans la nature après avoir reçu leur tontine, laissant des ardoises. Heureusement, ces défaillances sont rares, les participantes se sentant liées par un pacte de confiance. Et les indélicates qui prennent la clé des champs reviennent presque toujours au bercail, incapables de vivre en marge de la société. Et de leur foyandi.