Tesla démarre en trombe

En lançant une sportive aussi performante que ses pendants à essence, la start-up californienne prouve qu’il est possible de combiner plaisir de conduire et respect de l’environnement.

Publié le 9 octobre 2006 Lecture : 5 minutes.

Le véhicule électrique aurait-il enfin un avenir ? Alors que les rapports de la communauté scientifique soulignent à l’envi l’ampleur et la gravité du phénomène de réchauffement climatique provoqué par les rejets de gaz à effet de serre dans l’atmosphère, la question peut sembler incongrue. Pourtant, si le concept de voiture totalement non polluante est de plus en plus pertinent, jamais les moyens industriels mis au service de cette technologie n’avaient paru si faibles. La faute n’incombe pas tant à la recherche qu’aux constructeurs, dont certains sont toujours aussi réticents à se lancer dans l’aventure, quand d’autres, qui ont allègrement franchi le pas, ne se remettent toujours pas de cuisants échecs commerciaux. C’est que la production et le succès de ces automobiles – à ne pas confondre avec les hybrides, qui allient moteur électrique et thermique – semblent aller de pair avec la fibre écologique d’un pays, ses infrastructures, ou la fiscalité que les pouvoirs publics sont susceptibles d’offrir pour les généraliser. Rien d’étonnant, dans ces conditions, que les plus avancés dans ce domaine soient le Canada, l’Allemagne, ou encore le Japon, pays actuellement confronté à un sérieux problème de pollution urbaine.
Premier consommateur mondial d’énergie et plus gros pollueur de la planète, les États-Unis ne sont pas en reste. Ils pourraient même créer une petite révolution grâce à un roadster électrique (une puissante sportive de deux places). Le mérite de cette innovation en revient à Tesla Motors, firme californienne fondée en juillet 2003 par Martin Eberhard et Marc Tarpenning. Premier modèle de ce type à pénétrer le segment haut de gamme, le Tesla Roadster rompt radicalement avec ses semblables : il ne s’agit plus d’une énième voiturette au look improbable, comme celles qu’on utilise sur les parcours de golf ou pour livrer le lait, mais d’un cabriolet capable de passer de 0 à 100 km/h en 4 secondes – mieux qu’une Ferrari – et de développer 248 chevaux pour une vitesse de pointe de 210 km/h.
Réalisés en juillet dernier sur le tarmac de l’aéroport de Santa Monica devant 350 invités triés sur le volet, les premiers essais se sont révélés plus que concluants. Au volant, des personnalités aussi diverses que le gouverneur de la Californie Arnold Schwarzenegger, le comédien Ed Begley Jr., ou l’homme d’affaires Michael Eisner. Le modèle a été présenté pour la première fois au grand public du 17 au 20 août, lors du concours d’élégance de Pebble Beach, aux États-Unis, devant des visiteurs conquis.
Le Tesla a, il est vrai, de quoi séduire même les plus réticents au tout-électrique. D’autant que, grâce à des batteries dernier cri conçues au cur de la Silicon Valley, il a réussi à lever le principal obstacle à l’expansion de ce type de véhicule : l’absence d’autonomie. D’une durée de vie estimée à 161 000 km, ces batteries permettent de parcourir plus de 400 km sans avoir à recharger. La réalimentation prend quatre heures tout au plus, autant qu’un téléphone portable. Pour réaliser cette performance, la start-up américaine s’est appuyée sur la technologie combinant une batterie lithium-ion et l’Energy Storage System (ESS). Un procédé qui stocke l’énergie avant qu’elle ne soit à nouveau réinjectée dans le moteur lors des démarrages et des freinages, grâce à un Power Electronics Module (PEM).
Autre atout : le design. Celui-ci n’a rien à envier aux principaux concurrents, qu’ils se nomment Porsche, Ferrari ou Lamborghini. Il ne s’agit plus ici d’une esthétique sommaire, voire franchement repoussante, mais d’une ligne racée et galbée de 3,95 mètres de longueur obtenue à partir d’une carrosserie légère en fibre de carbone. Son concepteur n’est autre que Barney Hatt, principal designer de la marque Lotus.
S’il a tout pour plaire, le roadster s’adresse d’abord aux plus fortunés, avec un prix de vente compris entre 85 000 dollars en entrée de gamme et 100 000 dollars. Rien d’exceptionnel cependant pour une sportive de ce type. D’autant que le coût à l’achat sera largement compensé par une dépense énergétique dérisoire : 1 euro tous les 100 kilomètres ! Un argument de poids, qui a convaincu de nombreux investisseurs de s’associer à ce projet. Car rien n’aurait pu se faire sans le solide soutien financier de sociétés comme Draper Fisher Jurvetson ou VantagePoint Equity Partners, ou des fonds d’investissements tels que Bay Area Equity Fund de JP Morgan. À cette liste s’ajoutent des privés, en tête desquels Jeff Skoll, premier président du site de vente aux enchères eBay, ou encore les fondateurs du moteur de recherche Google, Larry Page et Sergey Brin. Mais la clef de voûte aura été Elon Musk, président de SpaceX et Paypal, spécialisés respectivement dans l’aérospatial et le paiement électronique.
Porté à la tête de Tesla, Musk, originaire d’Afrique du Sud, a réuni les 60 millions de dollars nécessaires après trois tours de table. Pourquoi un tel engouement autour d’une entreprise aussi audacieuse ? « Tesla Motors bouleverse les technologies propres en proposant de vrais nouveaux concepts pour les consommateurs, souligne Jim Marver, président de VantagePoint Venture Partners, autre partenaire de référence. Cette société devrait être déterminante dans la façon de percevoir les automobiles électriques à l’avenir puisqu’elles associeront le style et la vitesse tout en étant bénéfiques à l’environnement. »
Plus d’une centaine de modèles ont déjà été commandés. Les moteurs seront fabriqués à Taiwan. L’assemblage se fera au sein de la filiale britannique de Tesla. Une fois le roadster disponible sur le marché, la firme poussera ses recherches. Car s’il apporte d’importantes évolutions, ce modèle ne règle pas définitivement la question de l’autonomie : 400 km, c’est encore insuffisant. À l’étude, des batteries encore plus perfectionnées, l’amélioration de technologies comme les panneaux photovoltaïques appliqués à l’automobile ou, à l’instar du groupe français Bolloré (voir encadré), la sortie de familiales électriques en série, non sans quelques arrière-pensées géopolitiques. « Nous sommes tous d’accord, souligne-t-il, pour considérer que notre dépendance [celle des États-Unis, NDLR] vis-à-vis du pétrole devient dangereuse et coûteuse ; 58 % de notre consommation provient de l’extérieur, alors que le seul secteur des transports absorbe 68 % de nos besoins. Même les hybrides continuent d’émettre du dioxyde de carbone. Les véhicules libérés du pétrole sont la solution idéale pour régler la question de cette dépendance. »
L’avenir donnera-t-il raison aux dirigeants de Tesla Motors ? À l’heure ou « Les Big Three », les trois firmes historiquement dominantes sur le marché américain (General Motors, Ford et Chrysler), connaissent une crise sans précédent en raison des récentes flambées des cours du pétrole et une demande en pleine évolution, ce type d’initiatives est vu du meilleur il. Et Elon Musk de préciser : « Tesla a les capacités de devenir l’une des plus importantes compagnies du XXIe siècle. Notre sportive n’est qu’un point de départ. »
En attendant la phase de commercialisation, prévue au début de 2007, Tesla Motors peut déjà savourer deux victoires majeures : avoir prouvé que plaisir et respect de l’environnement pouvaient se rejoindre en matière automobile ; et avoir poussé la recherche de pointe en la matière, dans un État certes acquis aux énergies du futur, comme en témoigne la plainte déposée le 20 septembre par le procureur de Californie contre six firmes automobiles pour « réchauffement climatique ».

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