Le 29 juillet, lorsque la laiterie Soummam, leader national pour la production de lait et de yaourts, fait part publiquement de sa volonté de financer 10 générateurs d’oxygène médical au profit des établissements hospitaliers à travers le territoire national, le standard de l’entreprise, sise à Akbou, petite ville industrielle à 150 kilomètres d’Alger, est aussitôt bloqué par des centaines d’appels désespérés. Certains font même le déplacement au siège de l’usine dans l’espoir de rencontrer Lounis Hamitouche, le directeur général de l’entreprise, afin de lui arracher une promesse d’aide.
Le variant Delta du Covid-19 provoque une flambée de cas graves à travers tout le pays. Les hôpitaux croulent sous le nombre des malades nécessitant une prise en charge médicalisée et des milliers de patients ou de parents se lancent dans la quête désespérée d’un concentrateur ou d’une bouteille d’oxygène qui peut prolonger de quelques heures le fil ténu de la vie.
Discrète générosité
Trois jours seulement après son offre, Soummam annonce que l’opération de financement est clôturée avec un total de 22 générateurs d’oxygène offerts à des établissements hospitaliers à travers 13 wilayas du territoire national. En tout, Lounis Hamitouche aura sorti de sa poche près de 44 millions de dinars (environ 275 000 euros). Sur les réseaux sociaux, ils sont des milliers à saluer la générosité de l’homme. Ce n’est pas la première fois que le fondateur de Soummam met la main à la poche pour aider un secteur de la santé bien dépourvu.
En novembre 2020, il avait déjà offert 28 ambulances médicalisées et divers équipements médicaux à la santé publique. Interrogé sur cet élan de générosité envers ses compatriotes, Lounis Hamitouche soutient qu’il ne fait que leur rendre un peu de ce qu’ils lui donnent chaque jour en consommant ses produits.
La parole donnée, c’est plus important que le capital
Une prise en charge des frais d’hospitalisation d’une opération lourde par ci, un logement à une famille sans toit par là, un financement d’un projet culturel ou d’une infrastructure sportive dans un village de sa Kabylie natale… Lounis Hamitouche est toujours disposé à aider. Discrètement, sans le claironner sur tous les toits. Une réputation d’homme de cœur qui lui vaut d’être surnommé « El Hadj Soummam ».
Bourreau du travail
C’est dans un petit village sur les hauteurs du Djurdjura, au sein d’une modeste famille de paysans que le petit Lounis voit le jour, le 3 décembre 1946. En 1954, il est obligé de déserter les bancs de l’école, lorsque la révolution algérienne éclate. À l’indépendance, il a 16 ans et se voit contraint de se tourner vers le commerce pour nourrir sa famille.
C’est dans cette école qu’il développe ses talents de négociateur. C’est elle qui va lui apprendre également que la confiance et l’éthique de travail, davantage encore que la force de frappe financière, sont le nerf de la guerre. « La parole donnée, c’est plus important que le capital », abonde-t-il.
En 1969, Lounis Hamitouche décide de tenter sa chance à Alger. Avec pour toute fortune, 50 dinars en poche, il fait du stop et tombe sur une connaissance qui lui offre le voyage et sa première embauche en tant que chauffeur. En 1974, il s’associe avec un ami pour acheter son premier camion. Âpre au gain, le jeune montagnard travaille de jour comme de nuit. Tant et si bien qu’en 1982, il possède déjà quatre camions. Toujours à l’affût d’une bonne idée, il achète à crédit une machine de textile et créé sa première entreprise.
Aujourd’hui, la Soummam, c’est plus de 2 000 emplois directs et des milliers d’emplois indirects
L’affaire est prospère mais l’arrivée massive du tissu chinois l’oblige à mettre la clé sous la porte. Qu’à cela ne tienne, ce bourreau du travail n’est pas homme à baisser les bras aussi facilement. Son neveu lui souffle à l’oreille l’idée d’investir dans l’agroalimentaire, secteur alors presque vierge en Algérie, et donc prometteur. Ensemble, ils montent une petite fabrique de yaourts, produit auquel ils ne connaissent absolument rien. « Nous étions obligés de jeter nos premières productions tellement elles étaient ratées ! », se souvient-t-il avec le sourire.
Géant de l’agroalimentaire
Le succès met du temps à se dessiner mais fin 1993, la laiterie Soummam compte déjà 20 ouvriers et produit 20 000 pots par jour. Et la demande est de plus en plus forte. Lounis Hamitouche emprunte 20 millions de dinars (125 000 euros) auprès d’une banque et investit dans de nouvelles machines.
En 1996, sa petite laiterie emploie 60 ouvriers et produit 120 000 pots par jour. La machine est lancée. En 2000, il monte une nouvelle usine, puis une autre qui s’étend sur 17 hectares pour la production de fromage et de lait stérilisé pour un montant de 180 millions d’euros.
Pour diminuer sa dépendance au lait en poudre qu’il importe à coups de devises fortes, il se lance dans la collecte de lait frais en offrant des milliers de vaches aux agriculteurs en échange de leur lait puis en lançant ses propres fermes d’élevage. Lounis Hamitouche offre également à crédit des centaines de camions frigorifiques à des jeunes désireux de distribuer ses produits à travers l’Algérie. Aujourd’hui, la Soummam, c’est plus de 2 000 emplois directs et des milliers d’emplois indirects. À ce rôle économique de premier plan, Lounis Hamitouche a donc joint une œuvre d’utilité publique. Cette fois totalement désintéressée.