Frappée de plein fouet par la pandémie, la Tunisie s’est dotée de différentes structures pour parer aux urgences qui en découlent, sur tous les fronts. Un comité technique est dédié aux vaccins tandis qu’un comité scientifique émet des recommandations afin de gérer l’évolution de l’épidémie. C’est notamment sur la base de leurs recommandations que les principales décisions stratégiques sont prises par le comité national, directement piloté par le chef du gouvernement, Hichem Mechichi.
Multisectoriel, il doit composer avec les impératifs sanitaires, mais aussi les conséquences économiques, sociales et psychologiques d’un contexte d’urgence qui dure. Un équilibre délicat. Des chercheurs et médecins de haut rang y sont régulièrement consultés.
Jeune Afrique a sélectionné cinq de ces Tunisiens qui ne comptent plus leurs heures pour servir leur pays. Tous sont sur-diplômés, impliqués sur la scène scientifique internationale et ne vivent plus qu’au pouls de la pandémie. Sortis des murs de leurs laboratoires et de leurs services hospitaliers, ils sont désormais connus du grand public.
• Hechmi Louzir
Il est devenu le visage de l’Institut Pasteur de Tunis qu’il dirige depuis 2007, et a su mettre cette institution dynamique (elle fabrique notamment le vaccin BCG et des sérums antirabiques et anti-scorpioniques) sur le devant la scène depuis le début de la pandémie. Hechmi Louzir fait entendre sa voix aussi bien dans sa gestion quotidienne du comité de pilotage de la vaccination en Tunisie qu’il préside que dans la promotion de potentiels partenariats publics privés pour fabriquer des vaccins contre le Covid-19.
Il a d’ailleurs fait partie de la délégation du chef de gouvernement, Hichem Mechichi, à Genève début juin pour plaider la cause du pays sur ces deux volets. Très impliqué, il est également membre du conseil scientifique de lutte contre la pandémie.
Les exigences de la science l’ont fait renoncer à sa passion pour le volley-ball
Né à Tunis en 1958, ce spécialiste en immunologie est devenu professeur à la Faculté de médecine de l’université Tunis El Manar et a rejoint l’Institut Pasteur de Tunis en 1988. Hechmi Louzir y a consacré une grande partie de ses recherches à la protection vaccinale face à la leishmaniose et a d’ailleurs dirigé le Centre dédié à cette maladie chronique, viscérale ou cutanée, transmise par des piqûres de parasites, en collaboration avec l’OMS.
Il a également acquis une visibilité au-delà des frontières tunisiennes grâce à ses recherches et ses fonctions de coordinateur du réseau international des Instituts Pasteur de la région euro-Méditerranée. Il a aussi été membre du conseil scientifique de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) de Marseille en 2012 ainsi que de l’Agence universitaire de la francophonie, réseau de promotion scientifique présent dans près de 120 pays.
Les exigences de la science l’ont fait renoncer à sa passion pour le volley-ball. Il jouait en effet à la fin des années 1970 au sein de l’Avenir sportif de la Marsa puis au sein de l’équipe de l’Institut pasteur de Paris qu’il a même entraînée durant son année sur place en 1986. Autre respiration : le jazz. Il aime écouter Coltrane, Mingus, Davis mais aussi du free jazz. Ses voyages sont autant d’occasion de s’offrir des CD, loin des copies gravées qui inondent le marché tunisien.
• Nissaf Ben Alaya
Son visage a fait le tour des plateaux télévisés depuis le début de la pandémie. Si bien que même masquée, elle est désormais reconnaissable à la simple apparition de ses lunettes mouchetées. Originaire de Kelibia (Nord-Est de la Tunisie), Nissaf Ben Alaya était pourtant loin des projecteurs jusqu’à sa nomination comme porte-parole du ministère de la Santé, en septembre 2020. À 52 ans, elle a également été membre du comité scientifique de la lutte contre le coronavirus.
Celle qui a notamment fait ses gammes en biostatistiques et essais cliniques à l’université Pierre et Marie Curie de Paris et à l’université Victor Segalen de Bordeaux est devenue professeure agrégée en médecine à la faculté de Tunis.
Elle coordonne depuis 2016 la stratégie de prévention du ministère de la Santé
Souvent présentée sous sa casquette de directrice (depuis 2015) de l’Observatoire national des maladies nouvelles et émergentes (Onmne), elle coordonne en outre depuis 2016 la stratégie de prévention du ministère de la Santé. Passée durant plusieurs années par l’Institut Pasteur de Tunis, elle a aussi bien travaillé sur la leishmaniose, les hépatites virales et les maladies cardiovasculaires.
À l’échelle internationale, elle est l’interlocutrice des centres européen et africain de contrôle des maladies. Elle a également été consultante pour l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) autour du VIH Sida et du tabagisme, ou encore sur les maladies émergentes pour la Banque africaine de développement (BAD).
En dehors de la médecine, les livres d’histoire et les romans philosophiques ont sa préférence. Mais elle se ressource surtout grâce aux marches en montagne et forêt. Elle pratique aussi la danse orientale, qu’elle affectionne particulièrement en temps que spectatrice.
• Jalila Ben Khelil
À 57 ans, Jalila Ben Khelil est porte-parole du comité scientifique de lutte contre le coronavirus. Depuis 2020, elle ne vit plus qu’au rythme de la pandémie. Elle a été membre de la commission de gestion des lits mais aussi du comité chargé de définir les circuits des patients atteints par le Covid-19 au sein de l’hôpital Abderrahmen Mami à l’Ariana (banlieue Nord de Tunis).
Professeure au service réanimation de cet établissement hospitalo-universitaire depuis 2013, elle est passée chef de service en juin dernier. Sa spécialité, qu’elle représente comme présidente de l’Association tunisienne de réanimation, est en première ligne face à la crise sanitaire, tout comme le service des urgences dont elle a été responsable de 2002 à 2011.
Elle a participé à plusieurs commissions nationales, notamment au sein du ministère de la santé
Réflexion sur les urgences, les vaccins ou les antibiotiques, surveillance et prévention de la grippe… elle a aussi participé par le passé à plusieurs commissions nationales au sein du ministère de la Santé. Elle a, entre autres, également co-fondé en 2019 le réseau Afrique et Moyen-Orient des parties prenantes face à la grippe.
Comme beaucoup de ses confères, ses études ont conduit cette tunisoise en France, où elle a été résidente à l’hôpital Henri Mondor de Créteil, puis stagiaire au Plessis Robinson, en région parisienne. Elle s’est plus tard formée au management de la santé à l’université de Washington, en décembre 2016.
Ses bols d’air ? Le pilates qu’elle pratiquait avant que la pandémie ne l’accapare, mais aussi les voyages, le théâtre et la musique. Elle écoute en particulier des chansons françaises à texte ainsi que les classiques arabes : Oum Kalthoum, Asmahan, Nazem Al Ghazali…
• Mustapha Ferjani

Le docteur Mustapha Ferjani, général de brigade regarde les officiels se rassembler pour l'arrivée du vaccin Sinovac COVID-19 à l'aéroport de Tunis-Carthage à Tunis, Tunisie, le 25 mars 2021. © MOHAMED MESSARA/EPA/MAXPPP
Natif de la capitale tunisienne et diplômé de la faculté de médecine de Tunis mais aussi de l’Institut de défense nationale (depuis 2012), Mustapha Ferjani, 60 ans, possède la double casquette de médecin et de militaire. Est-ce ce second habit qui le maintient sur la réserve ? Récemment gradé général de division, cet homme affable n’aime pas parler de lui.
Il a géré l’équipe ayant pris en charge feu le président Beji Caïd Essebsi
Directeur général de la santé militaire depuis 2017, il est devenu président du collège national d’anesthésie réanimation en sa qualité de chef de service (depuis 2002) au sein du prestigieux hôpital militaire de Tunis. Il a à ce titre géré l’équipe ayant pris en charge feu le président Beji Caïd Essebsi en juin et juillet 2019.
Ce professeur aurait pu faire partie de la longue liste de ministres de la Santé qu’a connu le pays depuis la révolution. Désigné à ce poste en 2020 par Habib Jemli, il se heurtera à la défiance des députés face à ce gouvernement mort-né.
De son perfectionnement à la Pitié Salpêtrière à Paris entre 1993 et 1995 à la présidence de groupes régionaux maghrébin et panarabe de médecine militaire, Mustapha Ferjani s’est également engagé au sein de l’association tunisienne de sensibilisation au don d’organe et de la Société tunisienne d’anesthésie d’analgésie et de réanimation qu’il a toutes deux présidées.
Son principal hobby en dehors de ses activités professionnelles ? Êcouter de la musique. S’il dit apprécier aussi bien le classique occidental qu’arabe, cet ex-élève du conservatoire jusqu’à sa majorité préfère garder pour lui ce pan de sa vie personnel.
• Mohamed Hédi Loueslati
À 66 ans, Mohamed Hédi Loueslati est loin de couler une retraite tranquille. Il préside le comité scientifique de lutte contre le Covid-19 depuis mars dernier, après l’avoir intégré comme rapporteur en août 2020. Celui qui se destinait à devenir médecin de quartier comme son oncle qui sillonnait les régions tunisiennes pour ses consultations s’est peu à peu tourné vers la pédagogie et la surveillance des médicaments.
Il a co-fondé en 2003 la Société internationale francophone d’éducation médicale
Au point de co-fonder le centre national de pharmacovigilance. Sa connaissance des vaccins et médicaments sont ses points forts face à la pandémie : il été membre du comité technique de surveillance des premiers et a dirigé le laboratoire de contrôle des seconds avant la révolution. Professeur en pharmacologie à la faculté de médecine de Tunis depuis 2001, il a en outre été chef de service hospitalo-universitaire du centre national de pharmacologie (1997-2007).
Il n’a quitté sa blouse que pour gérer des dossiers. Chargé du brûlant serpent de mer de la télé-médecine au ministère de la Santé où il a fait une partie de sa carrière, il s’y est hissé directeur général de Santé durant un an à partir de 2019. Il avait aussi dirigé à partir de 2015 l’unité de développement des capacités professionnelles de ses personnels, assurant par ailleurs la direction par intérim du centre national de pharmacovigilance et de l’unité centrale de formation des cadres.
Doctorat en médecine en poche à Tunis, c’est à Bobigny qu’il s’est formé à la pédagogie des sciences de la santé en 1983, puis à l’hôpital Bicêtre à Paris (1986-1987) comme résident. Il a par ailleurs été membre de la société internationale de pharmacovigilance et a co-fondé en 2003 la Société internationale francophone d’éducation médicale. Ces domaines très chronophages occupent depuis le début de sa carrière le plus clair de son temps.