• Macron et lui
En juillet 2019, quand le président français reçoit à l’Élysée plus de 300 représentants de la diaspora africaine, Achille Mbembe s’insurge, reprochant à Emmanuel Macron de chercher à éviter « de se mesurer à de véritables intellectuels africains critiques » qui risqueraient « de lui poser toutes les questions qui gênent » et « de remettre publiquement en cause les trois piliers de la politique française en Afrique : le militarisme, le mercantilisme et le paternalisme mâtiné, comme toujours, de racisme. »
Il a visiblement été entendu puisque, quelques mois plus tard, Emmanuel Macron le sollicite pour intervenir lors du sommet Afrique-France de Montpellier, qui se tiendra au mois d’octobre.
• Ni philosophe ni décolonial
Enseignant à l’université du Witwatersrand, en Afrique du Sud, il se défend d’être un philosophe, bien qu’on le présente souvent comme tel. Il dit aussi ne pas être un théoricien de la pensée décoloniale. Son domaine est celui de la pensée critique, fondée sur la quête d’un monde commun par-delà les différences.
Il voyage avec un passeport diplomatique sénégalais gracieusement délivré par Macky Sall
• Dissident
C’est au sein de la Jeunesse étudiante chrétienne (JEC) qu’il forge sa conscience politique. À tout juste 20 ans, rédacteur en chef de leur journal, Au Large, il publie des textes très critiques envers l’Église catholique camerounaise, dont il dénonce la collusion avec l’État. Dans ses articles, il défend des thèses proches de la théologie de la libération, et s’attire les foudres de l’archevêque Jean Zoa.
• Blacklisté
En 1980, il consacre son mémoire de maîtrise d’histoire au thème de la violence dans l’ancienne région de la Sanaga-Maritime. Parce qu’une partie importante de ce travail est consacrée à l’Union des populations du Cameroun (UPC, parti indépendantiste), les autorités universitaires, prises de panique, interdisent la soutenance du mémoire.
• Um Nyobè
Son oncle, Pierre Yem Mback, a été assassiné le 13 septembre 1958, en compagnie du leader nationaliste Ruben Um Nyobè, avec lequel il avait pris le maquis. En 1984, il rassemble les écrits de Nyobè et les publie (Écrits sous maquis, éditions de L’Harmattan). L’ouvrage est interdit au Cameroun. Recherché par les services de renseignement, Mbembé est placé sur la liste des indésirables.
Ce n’est qu’en 1992, au moment des grandes luttes pour le multipartisme, qu’il est autorisé à rentrer. Aujourd’hui encore, en froid avec les autorités de son pays, il voyage avec un passeport diplomatique sénégalais gracieusement délivré par Macky Sall il y a deux ans.
Il est le chercheur africain le plus cité au monde. Ses textes sont traduits en 14 langues
• Prolixe
Auteur de 8 ouvrages et de près d’une centaine d’articles et chapitres dans des revues et ouvrages académiques, il est le chercheur africain le plus cité au monde. Ses textes sont traduits en 14 langues et son œuvre figure dans de nombreux programmes d’enseignement à travers le monde.
• Ni voiture, ni maison
Sa seule aspiration, répète-t-il, c’est de n’être esclave de personne, ni de rien – argent, biens matériels, honneurs ou réputation. Il ne possède ni voiture ni maison. Ni exilé ni nomade, il se considère comme un éternel passant toujours pressé d’aller ailleurs, au loin. Il affirme jouir d’une « radicale liberté intérieure ».
• Maîtres à penser
On le dit inspiré par Frantz Fanon, Aimé Césaire, Jean-François Bayart (qui l’introduisit dans les cercles de la revue Politique africaine) ou encore Julius Nyerere et Hannah Arendt, mais il n’a pas de « maître à penser » en tant que tel. En revanche, sa grand-mère, Suzana Ngo Yem, est sans doute la personne qui a forgé sa sensibilité intellectuelle. Combattante pour l’indépendance (Nkaa Kunde), elle était, dans le maquis, experte en divination. Il garde encore en souvenir sa voix chantant les tjembi di lon, les chants patriotiques accompagnant la lutte.
Il n’exclut pas d’écrire avec son ami Lilian Thuram un livre sur le football
• Réseaux
Ses réseaux intellectuels sont basés pour l’essentiel aux États-Unis et en Europe. Depuis quelques années, ils s’étendent au Brésil, en Argentine et au Mexique. Membre de l’Académie américaine des arts et des lettres, il dirige une collection aux Presses universitaires de l’université de Duke et publie dans de prestigieuses maisons d’édition des universités de Californie, de Duke et Columbia. Il entretient des liens d’amitié avec l’Africain-Américain Henry Louis Gates, de l’université Harvard, et des penseurs de la diaspora, tel l’afro-britannique Paul Gilroy. Après la mort de Jean-Marc Ela et Fabien Éboussi Boulaga, l’économiste Célestin Monga reste l’un des rares intellectuels camerounais avec lequel il est en relation.
• Fan de…
Plus jeune, il se rêvait footballeur professionnel ou musicien. Aujourd’hui, il se dit sensible au « contenu intellectuel » du travail musical de Richard Bona et voit dans le football une « forme avancée de gymnastique intellectuelle ». Il en discute souvent avec son ami Lilian Thuram et ils n’excluent pas d’écrire un jour un petit livre sur ce sujet.