Culture

Algérie : un livre rend hommage aux femmes illustres du pays

Dans « Figures algériennes », Halima Guerroumi met en lumière celles qui ont compté à différentes époques, dans le pays mais aussi hors de ses frontières.

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Mis à jour le 4 août 2021 à 15:12

« Figures algériennes », un livre riche de 70 planches illustrées. © Halima Guerroumi/Orients editions Figures algériennes

Comment raconter l’Algérie à un enfant de trois ans ? C’est la question que s’est posée Halima Guerroumi lors du premier confinement, en mars 2020. « Cette période a eu pour moi un effet d’introspection et la réflexion a mûri durant le temps que je passais avec ma fille, confie la quadragénaire. Je lui lisais des livres sur Frida Kahlo, mère Teresa ou encore Marie Curie, mais je ne trouvais pas de livres adaptés sur des femmes algériennes pour lui raconter une part de l’histoire souvent passée sous silence », regrette-t-elle.

L’ex-professeure d’arts appliqués, aujourd’hui inspectrice de l’Éducation nationale en design et métiers d’art à Créteil (Val-de-Marne), profite de cette parenthèse forcée pour ressortir ses crayons et réparer ce manque.

Née en France de parents algériens, elle s’est construite au sein de cette double culture. Habituée des voyages au « pays » pour retrouver le reste de la famille (issue d’un côté de Kabylie, dans l’est du pays, de l’autre de Mostaganem, dans le Nord-Ouest), elle mesure tôt l’importance de la place des femmes, dont l’écho dans l’espace public reste, selon elle, « encore à interroger ».

Certaines ne sont évoquées qu’au détour d’ouvrages historiques ou d’articles

Elle se lance en parallèle dans des recherches pour retracer les faits saillants de la vie de ces personnages marquants. De l’Antiquité à la décennie noire, en passant par les cabarets orientaux à la mode dans le quartier Latin parisien dans les années 1930… Elle fouille dans un passé plus souvent oublié que célébré. « Certaines ne sont évoquées qu’au détour d’ouvrages historiques ou d’articles et les ressources les concernant sont quasi inexistantes », déplore-t-elle.

Elle en tire en tout plus de 70 planches illustrées. Au départ, loin d’elle l’idée d’en faire ce qui deviendra le livre paru le 4 juin 2021 chez Orients Éditions. « Je postais ces portraits sur Instagram et les réactions m’ont convaincue d’aller plus loin », raconte-t-elle avec amusement. L’ouvrage réunit désormais 43 de ces morceaux choisis, illustrés d’aquarelles aux couleurs vives et accompagnés de courts textes destinés aussi bien aux adultes qu’aux plus jeunes. Avec l’ambition de réaliser une « histoire qui coule comme une histoire d’enfant, sans amertume ».

Leur point commun : la rébellion contre les rôles établis

La reine matriarche Tin-Hinan (IVe ou Ve siècle), considérée comme la fondatrice du peuple touareg, ouvre le bal. Guerrières, artistes, médecins, combattantes du FLN, s’y côtoient aux côtés de rares héroïnes de fiction (telle Nedjma de Kateb Yacine). Leur point commun : la rébellion contre les rôles établis. « Cela m’a aussi forcée à me demander ce que l’on pouvait considérer comme des modèles, confie Halima Guerroumi. J’ai essayé de sortir des seules visions historico-politiques du territoire et de rendre hommage aussi à des artistes qui nous renvoient en miroir les moeurs et coutumes de leur époque. » En voici quelques figures clefs.

  • Les guerrières

La reine berbère Dihya parvient au VIIe siècle à unifier les tribus d’Afrique du Nord pour organiser la résistance aux armées arabes. Surnommée Kahina (devineresse), elle est finalement battue par les Omeyyades, mais son image reste gravée dans les mémoires comme celle d’une combattante et d’une stratège. Douze siècles plus tard, la kabyle Lalla Fatma N’Soumer, fille d’un chef de confrérie, refuse de se marier et rejoint la résistance contre les colons français. Capturée, elle meurt en détention. Au coeur de la guerre d’Algérie, d’autres figures de la lutte pour l’Indépendance, de part et d’autre de la Méditerranée, sont décrites dans cet ouvrage, comme Zina Harraïgue, ouvrière, agent de liaison du FLN en banlieue parisienne dont l’évasion spectaculaire de la prison de La Roquette, en 1960, a marqué les esprits.

  • Des métiers d’homme

Quelle trempe fallait-il à la fin du XIXe siècle pour devenir reportrice de guerre ? La vie d’Isabelle Eberhardt en offre une illustration. Née à Genève de mère russe, rien ne la prédestinait à s’installer en Algérie à 20 ans et à sillonner le pays pour ses écrits. Sauf peut-être son apprentissage des langues (elle en parle six), dont l’arabe. Non contente de se convertir à l’Islam et de devenir soufie, elle se déguise en homme et se fait appeler « Mahmoud Saadi » (au grand dam des administrations française et russe). En 1946, Aldjia Benallegue-Nourredine révolutionne à son tour l’étiquette des professions genrées, en devenant la première femme médecin d’Afrique. Défenseure du développement de la pédiatrie en Algérie, elle est la première africaine élue à l’Académie nationale de Médecine de France, où elle s’était exilée durant la guerre.

  • Donner de la voix

Née au début du XXe siècle, Reinette l’Oranaise, transforme sa cécité en force. Elle retranscrit en braille un répertoire de chants traditionnels et se fait le porte-voix de la musique haouzi, genre arabo-andalou. Sa comtemporaine Cheikha Rimitti, invente, quant à elle, un nouveau genre aujourd’hui répandu : le raï. Formée à la musique soufie, elle est également la première à aborder le tabou de la virginité dans une chanson Charrag, gatta, qui fait scandale. Une autre diva, Warda, s’est emparée des classiques du Maghreb et du Machrek. Un temps contrainte de mettre fin à sa carrière sous la pression de son mari, elle redevient une célébrité d’envergure internationale après leur divorce.

Figures algériennes, de Halima Guerroumi, Orients Éditions, 96 pages, 20 euros.