Pas moins de 110 000 F CFA, soit environ 167 euros. C’est ce que les Camerounais devront débourser à compter du 1er juillet pour obtenir un passeport. Cela correspond à une augmentation de 46 % par rapport au tarif actuel, et en fera le document d’identité le plus cher d’Afrique. La raison invoquée pour justifier cette hausse aussi soudaine qu’importante – le passage au biométrique – peine d’autant plus à convaincre l’opinion publique que le pouvoir de ce sésame délivré par Yaoundé reste très faible au regard de celui d’autres pays.
Et sur le continent, le cas est loin d’être isolé. En RDC, le passeport coûtait jusqu’en novembre 2020 pas moins de 185 dollars (environ 155 euros), et les conditions d’attribution du marché de sa fabrication à la société Semlex ont donné lieu à un scandale de corruption présumée impliquant des agents de l’entreprise belge et des proches de l’ancien président Joseph Kabila.
Et votre passeport, combien coûte-t-il ? Est-il « puissant » ? Et qui le fabrique ? Jeune Afrique fait le point en infographies.
Selon le classement des passeports les plus puissants* « Passeport Index 2021 » dressé par Arton Capital, une firme financière canadienne, aucun pays africain ne figure dans le top 10 mondial. Seuls trois pays du continent proposent en effet un document permettant de visiter plus de 100 destinations sur la planète. Parmi eux, les Seychelles, toujours en tête de peloton (22e au plan mondial), avec 105 pays accessibles, suivis de Maurice (99) et de l’Afrique du Sud (82).
*Réalisé en fonction du nombre de pays qui les acceptent sans visa préalable et avec visa à l’arrivée
Les Belges et les Français « tout puissants »
Sur le continent, une poignée de pays seulement possèdent les infrastructures nécessaires pour fabriquer les fameux passeports. Conséquence : le marché reste très largement dominé par les Occidentaux, Français et Belges en tête.
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Passeport pour un scandale
La confection de ces documents constitue pourtant un réel enjeu de souveraineté et pose de nombreuses questions quant à l’usage des données personnelles des ressortissants des pays qui ont recours à des entreprises étrangères. Ces contrats particulièrement juteux présentent également de lourds enjeux politiques et sont souvent signés dans la plus grande opacité, débouchant sur de multiples scandales. Voici les principaux.
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Devant le tollé provoqué par ce contrat léonin, Félix Tshisekedi promet de ne pas le reconduire après son expiration, en juin 2020. Il sera tout de même prolongé de six mois pour finalement passer, en novembre, aux mains de Locosem, une filiale de… Semlex. Le prix, lui, est abaissé à 99 dollars.
Aux Comores, la même société belge Semlex a conclu un contrat de fourniture de passeports et autres documents en 2007. Son patron, Albert Karaziwan, est accusé d’avoir fait jouer ses relations avec le gouvernement pour obtenir certaines largesses.
À cette époque, Karaziwan avait même été nommé conseiller spécial et ambassadeur itinérant par l’ancien président Ahmed Abdallah Mohammed Sambi. Depuis 2008, des centaines d’étrangers auraient également reçu des passeports diplomatiques comoriens fabriqués par Semlex. Parmi eux, des proches de Karaziwan, des cadres de l’industrie pétrolière et minière, dont au moins deux sont accusés par les autorités américaines d’avoir enfreint les sanctions contre l’Iran.
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En septembre 2020, l’Organized Crime and Corruption Reporting Project (OCCRP) révélait comment la société belge Semlex, toujours elle, avait versé au moins 122 000 euros à un ancien haut fonctionnaire du gouvernement malgache, Lucien Victor Razakanirina, en « frais inexpliqués » entre 2007 et 2009. Le but était, selon l’OCCRP, d’obtenir un contrat lucratif de production de passeports.
Dans l’enquête « Business, famille, patrie », publiée le 24 juin, Jeune Afrique a révélé comment Jean-Yves Le Drian, le ministre français des Affaires étrangères, a, en 2015, influencé l’obtention du marché de la fabrication du passeport biométrique malien par la société française Oberthur Technologies, devenue Idemia.