Comme attendu, le Conseil national de transition (CNT) devrait se prononcer sur un projet de loi d’amnistie pour les auteurs du coup d’État du 18 août 2020, au premier rang desquels Assimi Goïta, actuel président de la transition, ainsi que plusieurs de ses ministres et de membres du CNT. Celui-ci a été transmis en mai dernier par le gouvernement du Premier ministre déchu Moctar Ouane.
Alors que la presse malienne avait annoncé le vote du projet de loi pour ce jeudi 24 juin, une source au sein du CNT a assuré à Jeune Afrique que la commission des lois de l’organe législatif de la transition, dirigée par le professeur de droit public Souleymane Dé, ne compte finalement plus la faire passer à cette date.
« Comment un tel document peut déjà se retrouver entre les mains des journalistes alors que la commission des lois n’a pas statué pour fixer la date ? », s’interroge, agacé, un membre de la commission. Et d’asséner : « Tous ceux qui écrivent sur ce projet sont dans la spéculation. »
Au sein du CNT, d’autres membres jouent la prudence, parmi lesquels Issa Kaou Djim, 4e vice-président, qui affirme ne pas même avoir été saisi. « Je ne gère pas les rumeurs. La conférence des présidents, dont je suis membre, n’a pas encore été formellement saisie. Ce sont des supputations », lâche l’ancien bouillant bras droit de l’imam Mahmoud Dicko.
Une amnistie prévue par la Charte
L’hebdomadaire Azalaï Express, qui en a fait sa une le 21 juin, a pu consulter le projet de loi. Si le texte est adopté en l’état, les auteurs du putsch du 18 août dernier contre Ibrahim Boubacar Keïta (IBK), bénéficieraient d’une amnistie pour toute une série de crimes et délits commis pendant ces journées agitées. Sont notamment concernés les faits de mutinerie, d’atteinte à la sureté intérieure de l’État, d’atteinte à la sureté extérieure de l’État, d’opposition à l’autorité légitime, de rupture de l’ordre constitutionnel et d’atteinte aux institutions de la République.
Le projet de loi, qui devra être approuvé par les 121 membres du CNT avant d’être promulgué par le colonel Assimi Goïta en sa qualité de chef de l’État, concernerait aussi les « personnes ayant apporté un concours » aux auteurs du coup de force.
Cette future loi d’amnistie est tout sauf une surprise. Elle était en effet prévue par la Charte de la transition : « Les membres du Conseil national pour le salut du peuple et tous les acteurs ayant participé aux évènements allant du 18 août 2020 à l’investiture du président de transition bénéficient de l’immunité juridictionnelle [et] ne peuvent être poursuivis ou arrêtés pour des actes posés lors desdits évènements », peut-on ainsi lire dans la charte, qui précise qu’une « loi d’amnistie sera adoptée à cet effet » sans préciser de calendrier.

Des manifestants saluent un convoi de militaires, le 19 août 2020 à Bamako, au lendemain du coup d'État. © /AP/SIPA
Une source au sein de la commission des lois précise cependant à Jeune Afrique que, si le projet de loi existe bien, l’amnistie envisagée ne couvrirait que la période allant du 18 août au 25 septembre 2020, date de l’investiture du président Bah N’Daw, démis de ses fonctions en mai 2021 par son vice-président Assimi Goïta.
« Une amnistie est un oubli collectif. Cela signifie que les actes amnistiés ne peuvent pas faire l’objet de poursuite et qu’il n’est pas possible d’intenter une action en justice en lien avec le coup d’État », précise un membre de la commission des lois. Mais il refuse de préciser qui bénéficierait de cette amnistie. « La loi est toujours de portée générale », insiste notre source.
Une « autoamnistie » ?
La perspective de cette loi d’amnistie taillée sur mesure pour les putschistes a fait ressurgir une autre polémique, qui avait éclaté il y a quelques mois mais qui est, depuis, retombée : l’arrêt de la Cour constitutionnelle rendu en décembre déniant aux membres du CNT la qualité de député.
Les sages avaient alors souligné que seuls pouvaient être qualifiés de députés ceux élus au suffrage universel, et avaient exigé que l’appellation « député de la transition » soit abandonnée au profit de « membre du Conseil national de transition ». Cela n’empêche cependant pas, selon notre source au sein de la commission des lois, que le CNT soit investi de tous les pouvoirs d’un organe législatif.
Ce n’est pas la première fois qu’un projet de loi d’amnistie sera soumis au Parlement. Les auteurs du coup d’État du 22 mars 2012 contre Amadou Toumani Touré (ATT), avaient bénéficié d’une loi d’amnistie votée le 18 mai 2012 à l’Assemblée nationale. Le « projet de loi d’entente nationale », qui prévoyait l’amnistie pour des auteurs de crimes commis pendant le conflit armé de 2012, avait suscité une levée de boucliers de la part des organisations de défense des droits humains. Celles-ci avaient demandé le retrait du projet de loi, qui a cependant fini par être adopté et dont ont même bénéficié tout récemment Amadou Aya Sanogo et ses coaccusés.
Une prime à l’impunité
Pour le Dr Bouréma Kansaye, maître de conférences à l’Université des sciences juridiques et politiques, le texte qui sera bientôt présenté devant le CNT est « une sorte d’auto-amnistie, mise en place par des personnes qui sont elles-mêmes concernées par cette mesure ». Il juge en outre que de telles amnisties sont « le fait de gouvernements faibles » et peuvent être vues, au sein de l’opinion publique, comme « une prime à l’impunité, car on pardonne a priori des faits qui sont jugés impardonnables. »
Avec un CNT dirigé par l’un des membres emblématiques de l’ex-junte militaire, le colonel Malick Diaw, et composé de membres tous désignés par le colonel Assimi Goïta, qui a mené les deux coup d’État en moins d’un an, personne ne se fait cependant d’illusion : le projet de loi d’amnistie passera comme une lettre à la poste.