Tourner la page des manifestations du mois de mars à grand renfort d’inaugurations et de bains de foule. Fragilisé par la mobilisation massive des Sénégalais après l’étincelle qu’a constitué l’arrestation de l’opposant Ousmane Sonko, Macky Sall a initié début juin une série de « tournées économiques » à travers le pays.
Officiellement, le chef de l’État compte faire le tour du Sénégal pour y « évaluer les investissements publics réalisés » et « engager de nouveaux programmes de développement territorial ». Nombre d’observateurs y voient néanmoins une sorte de pré-campagne, alors que se profilent les élections locales, prévues début 2022. « Cela n’a rien à voir avec une tournée électorale », rétorquent ses équipes, qui rappellent que le président a en partie bâti et structuré sa politique sur ces visites de terrain, loin de la capitale, que celles-ci étaient programmées depuis le début de l’année 2020, et avait été décalées en raison du Covid-19.
Courir la campagne
La première fois qu’il avait ainsi sillonné le pays, les choses étaient bien différentes. Macky Sall, ancien ministre d’Abdoulaye Wade et ex-président de l’Assemblée nationale, n’était alors plus « que » le maire de Fatick, sa ville natale. Sa rupture avec son mentor, le chef de l’État, l’avait forcé à abandonner la place qu’il occupait au sein du Parti démocratique sénégalais (PDS) pour créer en décembre 2008, avec une poignée de dissidents, sa propre formation : l’Alliance pour la République (APR).
Dans la foulée, l’ingénieur géologue se lance dans une série de voyages à travers le Sénégal. Deux ans de tournées, 86 000 km parcourus, avec une idée en tête : renforcer son assise locale, alors cantonnée à Fatick et au Fouta, et se construire un réseau de responsables politiques dans les zones les plus reculées du pays.
Cette stratégie politique, il l’avait élaborée en même temps que son parti. « Ce n’est pas en restant à Dakar que nous allons conquérir le pouvoir », confie-t-il alors à ses proches. Son programme de campagne sera fondé, expliquent aujourd’hui ses équipes, sur ce qu’il retiendra de ces visites de terrain. Appuyé par la coalition Benno Siggil Sénégal, avec laquelle il a raflé plusieurs communes lors des élections locales de 2009, il finit par ravir à Abdoulaye Wade son fauteuil à la tête de l’État, en 2012.
Lorsqu’il remet sa place en jeu lors du scrutin de 2019, Macky Sall parcourt à nouveau le pays. Une campagne électorale qu’il orchestre lui-même, minutieusement. Là encore, le président se livre à un véritable marathon de meetings départementaux. Sauf que cette fois-ci, il compte certaines réalisations à son actif… et un budget bien plus important que celui dont il disposait lorsqu’il était dans l’opposition. Bien plus important aussi que celui de ses adversaires.
Le chef de l’État s’offre également les services d’experts ayant travaillé sur les campagnes de Barack Obama ou d’Emmanuel Macron. Près de 4 500 militants sont mobilisés dans une campagne de porte-à-porte, qui permet au candidat de réajuster son programme en fonction des discours qui lui sont rapportés. Les efforts du camp présidentiel payent : le sortant remporte le scrutin du 24 février en un « coup K.O. », dès le premier tour.
« Président bâtisseur »

Macky Sall lors de l'inauguration de l'hôpital Amath Dansokho, à Kedougou, le 31 mai 2021. © Photo : DR / Présidence RDC
Aujourd’hui, le patron de l’APR n’est pas – officiellement – en campagne. Il n’a même pas dit s’il briguerait un troisième mandat en 2024. Et 2024, c’est déjà demain. S’il a décidé de repartir en tournée, c’est uniquement pour « vérifier que les chantiers et les travaux lancés sont réalisés » et « mesurer par lui-même l’écart entre ce qui est fait et ce qui reste à faire », à en croire l’un de ses conseillers.
Début juin, il est allé dans le centre du pays. Puis dans le nord, du 12 au 19 juin. De Saint-Louis à Podor, en passant par Dagana ou Matam, où il a choisi de délocaliser le conseil des ministres, y convoquant la quasi-totalité de son gouvernement, le 16 juin.
Il était également accompagné par ses deux directeurs de cabinet, Mahmoud Saleh et Augustin Tine, par le patron de l’Agence nationale chargée des grands projets, Mountaga Sy, par plusieurs conseillers spéciaux, dont son ministre-conseiller chargé de l’Éducation, Boubacar Siguiné Sy. À Linguère, il a aussi rendu visite à son ancien ministre de l’Intérieur, Aly Ngouille Ndiaye.
Partout où il passe, le président « bâtisseur » veut montrer qu’il tient ses promesses. À chaque tournée, chaque visite, le même scénario : des bains de foule, des inaugurations (tronçons routiers, ponts, centres de santé…) et des rencontres avec des responsables politiques locaux, bien sûr.
Au-delà de ces inaugurations, le président a également annoncé l’instauration d’une indemnité mensuelle de 50 000 FCFA (environ 76 euros) pour les chefs de village. Un avantage qui existait déjà sous Abdoulaye Wade et qui fut remis en cause par… Macky Sall lui-même.
Dans le Fouta, le président n’a pas rencontré que des visages amis. À Ourossogui, des militants du mouvement Fouta Tampi (« le Fouta souffre », en pulaar), l’ont accueilli avec des pancartes et des brassards rouges – cette fameuse couleur dont Macky Sall lui-même disait il y a quelque mois « qu’il ne la voyait pas ».
Nervis et mauvais souvenirs
La présence de nervis recrutés par le pouvoir à ses côtés et les débordements qui ont émaillé certains de ses déplacements, ont également rappelé à ses adversaires les mauvais souvenirs des émeutes de mars, qui ont coûté la vie à au moins 14 personnes.
Plutôt qu’une tournée électoraliste, ses proches défendent la volonté de leur président d’aller à la rencontre des populations. Ils rappellent sa formation d’ingénieur, habitué à se confronter aux réalités, et ses origines modestes. Macky Sall, l’enfant de Fatick au « cœur de campagnard », a grandi loin de la capitale. « Ce n’est pas un petit bourgeois urbain », insiste son conseiller El Hadj Hamidou Kassé. Ancien ministre-conseiller en charge de la Communication, ce proche de Macky Sall, présent lors de la tournée dans le nord, a également participé à ses campagnes électorales.
Ce « pulaar de culture sérère », comme il se définit lui-même, a su ancrer son parti dans le territoire
Son ancienne Première ministre Aminata Touré l’avait elle aussi accompagné en 2012 et en 2019. Elle décrit un « stakhanoviste », infatigable lors de ces journées à rallonge. « Pour Macky Sall, l’expression “time is money” pourrait se traduire par “time is voters”, explique-t-elle. Qu’il s’agisse de rencontrer des porteurs de voix ou de galvaniser des foules lors de grands rassemblements, il va à la recherche de son électorat à la force du poignet. »
Éviter les clashs dans la coalition
Ce « pulaar de culture sérère », comme il se définit lui-même, maîtrisant trois langues nationales (wolof, serere et pulaar) en plus du français et de l’anglais, a su au fil des ans et du terrain, ancrer son parti dans le territoire. Surtout, il a su s’entourer, au sein de la tentaculaire « coalition de coalitions » Benno Bokk Yakaar, de personnalités politiques de premier plan, au fort enracinement local : Aïssata Tall Sall dans le Fouta, Idrissa Seck à Thiès ou Oumar Sarr à Dagana.
Mais cette pluralité des profils ambitieux peut s’avérer dangereuse à l’heure de constituer les listes des élections locales. Déjà, dans plusieurs localités, certaines ambitions semblent s’affronter. À Kaffrine, celle du maire socialiste Abdoulaye Wilane se heurte à celle d’Abdoulaye Sow, ministre de l’Urbanisme (APR). La coalition présidentielle risque-t-elle de se fissurer ?
« Bien sûr que les ambitions se révèlent au fur et à mesure dans certaines localités. Mais ces responsables ne doivent pas oublier qu’ils ne sont pour l’instant que des candidats à la candidature, tempère Luc Sarr, conseiller politique du président. L’important, c’est de tout faire pour minorer les dissidences et éviter les listes parallèles. »
Charge à Macky Sall, en derniers recours, de savoir « prévenir les clashs » et d’arbitrer dans le choix des têtes de listes. « Ces choix définitifs ne sont pas pour aujourd’hui et devraient se faire dans quelques mois », affirme encore Luc Sarr.
D’ici là, le président dit se concentrer sur sa tournée qui doit le mener dans les 45 départements du pays. Prochaine étape : Thiès, où il devrait se rendre mardi prochain. Et son nouvel allié Idrissa Seck, qui avait réalisé le meilleur score de la présidentielle dans la région, devrait de toute évidence être de la partie.