À l’approche de la conférence de Berlin sur la Libye et alors que les mesures préparatoires pour l’élection présidentielle du 24 décembre prochain peinent à être mises en œuvre, le maréchal Khalifa Haftar, commandant en chef de l’Armée nationale libyenne, coalition de milices contrôlant l’Est et une partie du Sud libyen, a tenté se rappeler au bon souvenir des acteurs internationaux impliqués dans la résolution de cette crise, en s’attaquant à l’Algérie.
Interprétation hâtive
Le 19 juin, la chaîne de télévision libyenne pro-Haftar, Libya Al Hadath, lance un pavé dans la mare en annonçant, à grand renfort d’images de véhicules militaires, la prise du poste-frontalier d’Issine, point de passage au Sud entre la Libye et l’Algérie.
Quelques instants plus tard c’est le général Ahmed al-Mismari, porte-parole de l’ALN qui annonce « le début d’une opération anti-terroriste dans le Sud libyen », sans préciser la région où elle se déroulera. S’ensuit une interprétation précipitée d’autres médias pro-Haftar, annonçant la fermeture de la frontière entre les deux pays.
L’information est reprise par des médias étrangers, notamment Al Jazira, et devient une quasi-vérité, y compris en Algérie où elle provoque l’émoi de l’opinion. Face aux silences des autorités algériennes, certains estiment alors Alger incapable de répondre aux provocations de Haftar.
La zone-tampon créée par les brigades touareg sous la houlette d’Ali Kana, tiennent toujours la zone
D’autres n’hésitent pas à pointer la responsabilité de l’Égypte dans cette manœuvre militaire, et en veulent pour preuve la rencontre, deux jours auparavant, entre des émissaires de Haftar et le patron des services égyptiens au Caire.
Calme plat
En réalité, c’est le calme plat sur la frontière. L’ALN a bien participé à un regroupement à Sebha et Tamenhint dans le Centre-Sud, et à des opérations de poursuite de groupes annoncés comme appartenant à l’État islamique un peu plus au Sud.
Mais du côté de la frontière algérienne, la zone-tampon créée par les brigades touareg sous la houlette d’Ali Kana, tiennent toujours la zone et les localités proches comme Ghat, Mourzouk et Ubari. De multiples sources de cette zone ont confirmé à Jeune Afrique l’absence des forces de l’ALN dans la région.
Contacté par nos soins, le chercheur au Global Initiative Jalel Harchaoui, spécialiste de la Libye, indique que « cette opération médiatique est un coup de bluff du camp de Haftar dirigé contre l’Algérie ».
L’Algérie était disposée à user de tous les moyens pour empêcher le maréchal d’atteindre Tripoli
Le chercheur confirme un renforcement des troupes de l’ALN au Sud, avec l’arrivée de plusieurs brigades dans la région de Sebha, mais confirme aussi l’inexistence d’une action sur la frontière avec l’Algérie.
Guerre psychologique
Selon certains, la fausse annonce constitue un acte de guerre psychologique, en réponse à l’interview accordée par le président Abdelmadjid Tebboune à Al Jazira, durant laquelle le président algérien a rappelé que l’Algérie avait considéré début 2020, l’éventualité d’une prise de Tripoli par l’ALN comme une ligne rouge à ne pas franchir par Khalifa Haftar.
Un message qui, selon Tebboune, a été bien compris comme un avertissement de l’Algérie, qui était alors disposée à user de tous les moyens, y compris militaires, pour empêcher le maréchal de parvenir à son objectif.
Si Alger n’a pas officiellement réagi à l’annonce de la prise d’Issine par les forces de Haftar, les prochaines semaines promettent de nouvelles tensions entre le maréchal et l’Algérie.