Politique

Libye – Aref Ali Nayed : « Le nouveau gouvernement a déçu les attentes des Libyens »

À quelques mois de l’élection présidentielle prévue en décembre, le diplomate Aref Ali Nayed donne le coup d’envoi de sa campagne. Entretien.

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Mis à jour le 22 juin 2021 à 17:20

Ali Aref Nayed © DR

Proche du maréchal Khalifa Haftar, Aref Ali Nayed ambitionne depuis plusieurs années de devenir chef de l’État libyen. Président du mouvement Ihya Libya (Faire revivre la Libye), il s’est présenté pour la première fois en 2017, avant de réaffirmer son ambition à la suite des accords de Paris en 2018. Alors que le pays peine à conduire sa réunification, Ihya Libya mène une campagne marquée par son opposition aux Frères musulmans.

Face à ses futurs concurrents à la présidentielle, Aref Ali Nayed pourra faire jouer son entregent

Mais la tenue du scrutin le 24 décembre semble plus qu’incertaine, tandis qu’Aref Ali Nayed met un point d’honneur à ce qu’il se déroule en temps voulu. De son côté, le gouvernement d’Abdelhamid al-Dabaiba estime que les délais pour son organisation sont trop courts, tandis que le patron de la Chambre des représentants, Aguila Saleh, milite pour une révision constitutionnelle au préalable. Aref Ali Nayed ne manque d’ailleurs pas de fustiger le chef du gouvernement, qu’il accuse d’avoir « installé des copains comme sous-secrétaires ».

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Face à ses futurs concurrents, Aref Ali Nayed pourra faire jouer son entregent. Théologien de formation, il s’appuie sur ses think tank, le Libyan Institute for Advanced Studies (LIAS) et Kalam Research and Media, basés respectivement à Tripoli et Dubaï. Il est d’ailleurs fortement connecté aux Émirats arabes unis, parrain de Khalifa Haftar, où il a été ambassadeur de la Libye de 2011 à 2016. Au niveau local, il peut compter sur son assise dans l’Est, dont il est natif, et sur deux importantes tribus, auxquelles il appartient, Warfalla par son père, et Tarhuna de par sa mère.

En amont de la conférence libyenne de Berlin, le 23 juin, chapeautée par la mission des Nations unies en Libye, Aref Ali Nayed livre à Jeune Afrique ses attentes et sa vision du plan de sortie de crise du pays.

Qu’attendez-vous de la deuxième conférence libyenne de Berlin, organisée le 23 juin sous l’égide des Nations unies ?

Avec notre mouvement Ihya Libya, nous espérons que la conférence de Berlin II réaffirmera les résultats de la conférence de Berlin I. C’est une occasion importante de vérifier les progrès réels sur la feuille de route établie lors de la première conférence. Nous attendons également qu’elle permette de réaffirmer les dernières résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU concernant la Libye et visant à acter le départ des forces étrangères et la tenue des élections.

Que pensez-vous de la proposition d’Emmanuel Macron concernant le retrait des forces étrangères de Libye ? Ce plan n’évoque pas les forces syriennes qui ont participé aux combats aux côtés de Khalifa Haftar. Dans ces conditions, l’acceptation d’un cessez-le-feu entre les deux camps rivaux est-elle cohérente ?

La proposition française est très appréciée. Elle est juste par rapport à toutes les forces sur le terrain, régulières et mercenaires, sur tous les territoires libyens.

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Quelles conclusions tirez-vous des quatre mois de mandat du gouvernement d’union nationale ?

Malgré les accusations de corruption qui ont entaché sa création, de nombreux Libyens considéraient avec optimisme ce gouvernement, perçu comme un mécanisme temporaire d’unification nationale censé préparer les élections présidentielle et parlementaires de décembre. Malheureusement, le nouveau gouvernement a déçu de nombreuses attentes pour plusieurs raisons.

Un président et un Parlement dûment élus pourront entreprendre l’unification des institutions libyennes

D’une part, il a agi au-delà de son mandat en réaffirmant et en signant des traités et des accords avec des pays étrangers. D’autre part, il a organisé des défilés militaires avec des terroristes connus. Aussi, il n’a pas agi pour arrêter les attaques terroristes des milices de Zawiyah dont les chefs ont même été honorés.

De telles violations ont profondément déçu et rendent encore plus urgentes les demandes de respecter la date des élections. Ce gouvernement ne doit pas être autorisé à tergiverser un seul jour après l’expiration de sa légitimité le 24 décembre 2021.

Le processus de réunification des institutions patine. Selon vous, quelles sont les raisons de ce blocage ? Et quelles seraient les solutions à  mettre en œuvre ?

Il est très clair que la majorité de la classe politique dirigeante profite de la richesse et du pouvoir qu’elle a accumulés au cours de la dernière décennie. Malgré toutes les divisions, il y a une unité parmi les corrompus, à travers le pays.

Cette situation inacceptable ne peut être rectifiée que si la volonté directe du peuple libyen est respectée lors des élections présidentielle et parlementaires. Un président et un Parlement dûment et directement élus seront en mesure d’entreprendre l’unification véritable de toutes les institutions libyennes. L’unité ne devrait pas être une condition préalable aux élections, car elle sera en fait le résultat de ces élections.

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Dans ce contexte, pensez-vous que les élections puissent avoir lieu en décembre ?

Oui, et elle le doivent ! Après une décennie de dépossession et de marginalisation, les Libyens doivent pouvoir choisir leurs propres dirigeants et représentants. La « tyrannie de la minorité » (référence aux islamistes, ndlr) qui a fait de la Libye un État défaillant et un guichet ouvert pour les islamistes dans toute la région doit cesser.

J’ai soutenu systématiquement (…) l’Armée nationale libyenne légitime, dirigée par le maréchal Khalifa Haftar

Nous sommes encouragés par le consensus international dont nous sommes témoins pour la première fois sur l’impératif d’élections présidentielle et parlementaires à temps. Nous sommes également encouragés par les résolutions du Conseil de sécurité.

Vous êtes candidat à l’élection présidentielle. Quelles sont vos ambitions pour le pays ?

Maintenant qu’il existe un consensus local et international sur la tenue de l’élection présidentielle le 24 décembre 2020, j’ai à nouveau réaffirmé mon intention de briguer la présidence libyenne. Mes ambitions pour la Libye sont celles de plus de 70 jeunes technocrates et experts libyens, femmes et hommes, qui se sont réunis au Libya Institute for Advanced Studies (LIAS) pour formuler une Vision 2030 globale pour la Libye.

Quelle relation entretenez-vous avec Khalifa Haftar ?

Par principe, j’ai toujours soutenu le Parlement libyen dûment élu depuis sa création en 2014, et soutenu toutes les institutions qui en découlent. Par conséquent, j’ai également soutenu systématiquement et avec diligence le gouvernement libyen légitime, dirigé par Abdallah al-Thani (non-reconnu par l’ONU, ndlr), et l’Armée nationale libyenne légitime, dirigée par le maréchal Khalifa Haftar.

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Que ce soit en tant qu’ambassadeur, conseiller à la sécurité nationale du Premier ministre ou émissaire du chef du Parlement libyen, je me suis toujours efforcé de remplir pleinement mes fonctions nationales. J’ai toujours soutenu les institutions dont la légitimité repose sur des élections directes libres et équitables.

Quel est l’avenir de Khalifa Haftar dans le processus de sortie de crise ?

Il est vital pour les Libyens de renforcer leur souveraineté et la légitimité de leurs institutions par des élections présidentielle et parlementaires le 24 décembre 2021. C’est la seule véritable façon de mettre fin à notre crise actuelle, qui est une crise artificielle, causée par la « tyrannie de la minorité » dont souffre la Libye depuis une décennie.

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Un président dûment élu et un Parlement dûment élu, tenus pour responsables par un système judiciaire indépendant et des médias indépendants, peuvent transformer la Libye en un pays unifié, souverain et prospère. Nous avons une vision claire pour cela, et nous sommes confiants dans nos chances de réussite lors des prochaines élections.