Dans les couloirs de la Banque ouest-africaine de développement (BOAD), nombreux sont ceux qui ont entendu le mantra du chef : « Le développement, c’est l’affaire d’une génération. »
Aux commandes de l’institution publique commune aux huit pays de l’Uemoa depuis août 2020, le financier béninois Serge Ekué a passé l’essentiel de sa carrière au sein du secteur privé, pilotant plusieurs divisions de la banque d’investissement français Natixis, en Asie notamment. Et c’est avec une approche hautement concrète et réaliste qu’il aborde sa mission au siège de Lomé.
« Être le plus technique possible »
« Dans sa conception, le développement, à la base, c’est un sujet technique. Il s’agit d’apporter l’eau, l’électricité, les routes, les logements, la nourriture, les soins et l’éducation. En une génération, tout cela peut être réglé », décrypte un investisseur proche du patron de la BOAD, qui rapproche son pragmatisme de celui d’Akinwumi Adesina, le patron de la Banque africaine de développement (BAD).
« L’idée est d’être le plus technique possible, pour éviter de tomber dans divers travers », poursuit notre source. Autrement dit : identifier les problèmes, sélectionner les projets qui permettent de les résoudre, « structurer » le projet, mobiliser le financement, s’assurer de son exécution, mais aussi évaluer son impact.
Accroître l’activité de 50 %
C’est la « méthode » qu’entend suivre la BOAD pour son plan stratégique 2021-2025, dénommé Djoliba, le nom mandingue du fleuve Niger. « L’objectif global est d’augmenter le capital de 1,5 milliard de dollars pour accroître l’activité de 50 % sur la période », explique une source impliquée dans les négociations.
L’idée est aussi de « décorréler » l’activité de la banque de son actionnariat, explique Lucie Villa, chargée de crédit senior à l’agence de notation Moody’s. La BOAD est détenue à 93,4 % par la BCEAO (47 %) et les huit pays de l’Uemoa, contre 6,6 % pour des investisseurs institutionnels (dont la BAD, la Banque européenne d’investissement, ainsi que la Belgique, le Maroc et la France).
Or plus de 70 % de son portefeuille de crédit est composé de prêts aux États. « Cela signifie qu’il existe une forte corrélation entre la qualité de crédit de ses emprunteurs et la capacité des actionnaires à fournir un soutien en cas de besoin », complète l’analyste. L’augmentation de capital permettra d’accroître la part détenue par les investisseurs non régionaux, voire admettre des actionnaires privés.
Une longueur d’avance
« La levée de fonds peut aller très vite, pour un bouclage avant la fin de l’année », complète un cadre de la banque. Cette dernière mise sur une carte maîtresse : les droits de tirage spéciaux, ces nouvelles ressources financières que va émettre le FMI et dont 35 à 100 milliards de dollars pourraient aller aux pays africains. Pour accéder à ces fonds, les récipiendaires doivent pouvoir justifier de leur utilisation, de leur « fléchage » vers des projets spécifiques, pour accompagner entre autres la relance post-Covid-19.
Qui mieux que la BOAD peut justifier le fléchage des fonds ? »
Et sur ce créneau, les équipes de la BOAD estiment avoir une longueur d’avance, prise dès l’émission de 750 millions d’euros d’obligations dédiées spécifiquement aux projets « verts et sociaux », en janvier 2021. Le plan d’investissements, certifié par le spécialiste français Vigeo, a été plébiscité par les investisseurs, avec un carnet d’ordres supérieur à 4 milliards d’euros.
« Qui mieux que la BOAD peut justifier le fléchage des fonds ? Dès l’opération de janvier, nous nous étions engagés dans le reporting de tout ce que nous comptions faire avec les ressources allouées. Quel est l’impact pour les femmes, les hommes, les emplois ? La finance et le développement, c’est cela », assure-t-on dans l’entourage de Serge Ekué.