Dérapage incontrôlé. Parmi les secteurs les plus touchés par les effets de la pandémie de Covid-19 sur le continent, la distribution automobile figure en bonne place.
Hors Afrique du Sud, Égypte et Maroc, le marché africain aura plongé de quelque 48 % en 2020, avec seulement 124 989 nouvelles immatriculations, selon l’Organisation internationale des constructeurs automobiles (OICA).
Avec des entreprises fortement contraintes par les restrictions sanitaires, le marché business to business a sombré. À cela s’ajoutent des gouvernements devenus impécunieux qui ont retardé le renouvellement des flottes de leurs administrations. En témoignent les décisions des pouvoirs publics au Sénégal, en Côte d’Ivoire, au Ghana ou au Gabon.
La location en plein boom
Si, à la fin de mai, dans de nombreux pays, la relance était de mise (+ 40 % en Afrique du Sud, + 12 % au Maroc…), les distributeurs accusent encore le coup.
« En Afrique de l’Ouest, le segment des véhicules vendus aux entreprises a été fortement impacté par ce fort recul du marché l’an dernier et jusqu’au début de 2021, car il concentre traditionnellement environ les trois-quarts des ventes de véhicules neufs », commente Marc Hirschfeld, directeur général de CFAO Motors, qui distribue Toyota – une des marques stars sur le continent –, mais aussi Suzuki, Mitsubishi ou Peugeot dans une vingtaine de pays.
Nous connaissions avant la crise une croissance de 7% à 8% sur le LLD. Nous mettons tout en œuvre pour retrouver ce niveau
Le retournement a été aussi ressenti par l’activité de location longue durée (LLD) aux entreprises, dont le taux de pénétration varie de 5 % à 20 % des véhicules d’entreprise sur le continent. « Nous connaissions avant la crise une croissance de 7 % à 8 % sur la LLD, et nous mettons tout en œuvre pour retrouver ce niveau. Ce qui devrait être le cas assez rapidement », estime Marc Hirschfeld.
Propriété de Toyota Tsusho Corporation, CFAO Motors a développé une filiale consacrée à Loxea, en partenariat avec Avis. Affichant une flotte de 5 000 véhicules d’entreprise, en bonne partie des pick-up, Loxea a créé ces dernières années des agences de location longue durée au Sénégal, au Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Gabon ou encore au Kenya.
Concurrence sur les prix
De quoi peser sur ce marché face aux acteurs traditionnels tels que les banques – comme la Société générale, qui possède le leader européen ALD Automotive. Présent au Maroc, ALD affiche un parc d’environ 10 500 véhicules avec des clients comme OCP, l’Onee ou les Chemins de fer du Maroc (ONCF).
« Au Maroc, le marché des PME a nettement ralenti pendant les confinements les plus stricts. Celui des grands comptes a résisté. Mais nous avons pris peu de nouvelles affaires. Nous avons mis en place des prolongations de contrats pour certains grands comptes. L’important est de s’adapter aux réalités des clients dans des périodes comme celles-ci », témoigne Tachfine Bekkari, directeur général d’ALD Maroc.
Et aujourd’hui ? « Même si la reprise est perceptible, la concurrence sur le prix entre acteurs reste très rude au Maroc », indique pour sa part Madani Kabbaj, directeur général adjoint du marocain Locafinance, qui exploite la marque Avis, notamment en LLD, avec un parc de 4 000 véhicules et des clients comme Saint-Gobain, Total ou Fedex.
« Nous sommes repartis à la conquête du marché car le potentiel est là : le taux de pénétration de la LLD, même s’il a progressé ces dernières années, reste plus de deux fois inférieur à celui de l’Europe », poursuit-il. Pour doper sa croissance, Locafinance a repensé son offre avec des packages sur mesure, une amélioration de l’expérience client, une réflexion sur l’électromobilité ou encore de nouveaux services ; notamment le fleet management ou la télématique embarquée.
De la géolocalisation au fleet management
« Nous avons lancé en pleine crise, l’an dernier, une offre dénommée Avis Connect, conçue avec un prestataire marocain. Au-delà de la simple géolocalisation, l’idée est bien sûr de fournir quasi en temps réel des outils de mesure sur la sécurité, la maintenance, la consommation de carburant et le contrôle de vitesse des conducteurs. »

Les acteurs du numérique se sont lancés dans la télématique embarquée, comme Océan, filiale d'Orange. © ORANGE
Que ce soit en location longue durée ou en gestion interne, la télématique émerge sur le marché africain comme la grosse tendance du moment pour la gestion des flottes automobiles et de ses usages grâce à la magie de la connexion à internet mobile des bus de données CAN (boîtiers électroniques) des véhicules.
« Nous avons lancé ce service il y a deux ans avec une offre spécifique Loxea développée avec différents prestataires. Déjà un tiers de nos véhicules en LLD en sont équipés, accessibles avec un léger surcoût pour le client, indique Marc Hirschfeld. Ce service est en perpétuelle évolution car la technologie progresse très vite. Parmi les indicateurs plébiscités par les gestionnaires de flottes figurent le geofencing (délimitation de zone de circulation), l’analyse de conduite, les alertes sécurité ou encore la gestion du carburant. »
Plusieurs acteurs numériques et start-up – telle la dakaroise Fleeti (lire ci-dessous) – se sont lancés en Afrique sur ce marché du fleet management et de la télématique embarquée. Orange Business Services entend bien faire partie des gagnants. Océan, sa direction consacrée à la télématique automobile, se développe fortement sur le continent avec une présence dans 15 pays francophones.
« Mobility as a service »
Au menu, une multitude d’indicateurs accessibles aux gestionnaires de flottes : contrôle du carburant, blocage des véhicules aux frontières ou sur une zone, score d’écoconduite, contrôle de vitesse, alerte sur l’intégrité du véhicule… « Nous développons une plateforme dédiée pour l’Afrique avec des équipes de développement connaissant bien les contextes locaux, ce qui est essentiel pour des pays immenses comme la RDC », explique Stéphane Chaussat, chargé du développement international, notamment Afrique, chez Océan.
Selon lui, si l’intérêt est d’abord venu des groupes internationaux, avec des clients comme Wafa LLD, Spie Schlumberger ou Total, les grandes entreprises locales et même les PME sont de plus en plus séduites. « Nous touchons aussi des transporteurs routiers africains car nos services sont déployés sur les véhicules légers ou les poids lourds », poursuit Stéphane Chaussat.
Cette vogue des services entraîne en Afrique comme ailleurs une réflexion sur la notion d’usage des véhicules professionnels, dont une partie pourrait à terme basculer dans une approche dite « Mobility as a service » (Maas, la mobilité comme service). C’est déjà la voie choisie par une multinationale industrielle européenne au Congo-Brazzaville. « Nous avons renoncé à la possession pour la plupart de nos véhicules. Ce n’est pas notre métier d’être mécanicien », témoigne un de ses dirigeants.
Flottes externalisées
Le groupe a externalisé une partie de sa flotte locale en LLD, mais il a aussi mis en place un service de mobilité à la demande avec un prestataire et… certains garde-fous. « Le gros enjeu, poursuit ce dirigeant, est de s’assurer de la sécurité technique des véhicules et de la conduite des chauffeurs. »
Marc Hirschfeld indique avoir également développé une approche Maas avec une marque spécifique : Loxea Drive, notamment en Côte d’Ivoire.
Habituée aux pas de géant dans le numérique, l’Afrique pourrait-elle réellement voir ses entreprises renoncer à la détention, voire à la location ? Un sacré challenge pour la filière automobile, aussi bien pour les marques que pour les distributeurs spécialisés.
Sénégal : la start-up Fleeti facilite la circulation
Ancien de Jumia, le Français Iban Olçomendy a créé à Dakar la société Fleeti. En plein essor, l’entreprise est déjà présente dans une demi-douzaine de pays ouest-africains et vient de s’implanter à Maurice. « Nos systèmes se connectent à tous types de véhicules modernes.
Le savoir-faire de Fleeti repose sur les algorithmes de traitement de données car celles-ci deviennent vite ingérables. Notre interface permet aux gestionnaires de paramétrer le tableau de bord selon ses besoins, de créer des alertes », détaille Iban Olçomendy, dont le fer de lance est son système d’optimisation de consommation de carburant.