Le 8 juin, face à l’envoyé spécial d’Al-Jazira, Abdelmadjid Tebboune a décoché une flèche sibylline : « Certains ont dit qu’après la Syrie viendrait le tour de l’Algérie », en référence à la vague des Printemps arabes entre 2011 et 2012. Le journaliste de la chaîne qatarie joue alors la carte de l’humour pour cacher sa gêne… C’est Hamad ben Khalifa Al Thani, ancien émir du Qatar, qui est ainsi visé.
Quelques minutes plus tard, sur le chapitre libyen, Tebboune se félicite du fait que l’Algérie a été entendue, en particulier lors de l’offensive de Haftar en 2019 contre la capitale libyenne. La présidence algérienne avait alors déclaré : « Tripoli est une ligne rouge ». Le président indique même que l’Algérie était prête à intervenir chez son voisin « d’une manière ou d’une autre ».
Coup de canif
Tripoli était sur le point d’être la « première capitale arabe et maghrébine occupée par des mercenaires », justifie Tebboune, qui apporte son soutien en creux à la Turquie – et à son allié qatari – dont l’intervention en Libye a sauvé le gouvernement Sarraj. Le président algérien prend ainsi le contre-pied de plusieurs puissances, dont certaines, comme la Russie et les Émirats arabes unis (qui soutiennent Haftar), sont pourtant des partenaires importants d’Alger, tant sur le plan économique que politique. Le chef de l’État a mis là un discret coup de canif dans l’un des dogmes de la diplomatie et de l’armée : le refus de toute intervention militaire extérieure. D’autant que la réforme constitutionnelle de novembre 2020 prévoit la possibilité d’engagements extérieurs.
Le président Tebboune juge inefficace le G5 Sahel sur le plan militaire
Autre sortie fracassante du président, sur le Mali cette fois, lors de l’interview qu’il a accordée le 3 juin au magazine Le Point. S’il affirme qu’une intervention militaire algérienne dans le Nord-Mali « n’est pas la solution », il assure que son pays ne laissera « jamais le nord du Mali devenir un sanctuaire pour les terroristes ». Encore moins si cela devait impliquer une « partition du pays ». Message fort à destination de l’ensemble des groupes non-signataires des Accords d’Alger, appelés à rentrer dans le rang. D’autant que Tebboune juge inefficace le G5 Sahel sur le plan militaire.
L’annonce par le président français Emmanuel Macron, le 11 juin, de la fin de l’opération Barkhane dans le Sahel et du probable retrait partiel des troupes françaises du Nord Mali pourrait finir de convaincre Alger d’opter pour une telle solution.
Plusieurs options au Mali
Hasard du calendrier, l’annonce française est intervenue à la veille des élections législatives en Algérie sous une constitution nouvelle, qui prévoit la possibilité pour les parlementaires de discuter de l’envoi de troupes à l’étranger, après proposition du président.
Certains estiment que les propos de Tebboune sont une façon de préparer l’opinion à une opération extérieure
Selon une source militaire, plusieurs pistes s’offrent à l’Algérie au cas où elle céderait à la tentation de l’envoi de troupes. Intégrer la Minusma au Nord-Mali en est une, malgré des prérogatives très limitées en matière de droit de poursuite et de règles d’engagement. Autre option, la participation à une nouvelle coalition internationale en cours de constitution. Enfin, l’Algérie pourrait relancer le Comité d’état-major opérationnel conjoint (Cemoc) et créer une force regroupant les armées de la région pour combattre le terrorisme au Nord-Mali et surtout faire face à l’implantation durable de l’État islamique dans la région des Trois frontières (Burkina Faso, Mali, Niger).
À Alger, certains observateurs estiment que la sortie de Tebboune sur la Libye est une façon de préparer l’opinion publique algérienne à une opération extérieure de son armée, après plusieurs décennies de politique de non-intervention.