Politique

RDC : la loyauté à Tshisekedi, une question de survie pour les gouverneurs

Les gouverneurs des provinces congolaises multiplient les efforts pour plaire au chef de l’État. Car ces derniers mois, plusieurs d’entre eux ont été déchus…

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Mis à jour le 10 juin 2021 à 18:10

Fifi Masuka Saini (à gauche) avec Tshisekedi© Twitter Fifi Masuka © Twitter Fifi Masuka

En ce 13 mai, Fifi Masuka n’a pas ménagé ses efforts. Gouverneure intérimaire de la province du Lualaba, dans le sud-est de la RDC, elle a tout fait pour que ses administrés réservent un accueil enthousiaste au chef de l’État, Félix Tshisekedi, et au Premier ministre, Sama Lukonde Kyenge. Bien que le Lualaba soit issu du démembrement du Katanga, réputé acquis à Joseph Kabila et à son ennemi juré, Moïse Katumbi, le président et son chef du gouvernement doivent s’y sentir en terrain conquis.

Alors Fifi Masuka, qui est pourtant proche de Jaynet Kabila, la sœur jumelle de l’ancien président, s’est assurée que les deux hommes pourraient parader dans les rues de Kolwezi et qu’une foule nombreuse assisterait au grand meeting donné ce jour-là. Quelques jours plus tôt, elle a même tenté de faire de ce 13 mai un jour férié mais, devant l’ampleur du tollé, elle s’est finalement ravisée.

« On exige beaucoup de nous »

S’est-elle rendu coupable d’excès de zèle ? Autorité morale du Front des indépendants de la démocratie chrétienne (Fidec), qui faisait partie du Front commun pour le Congo (FCC) de Kabila avant de rejoindre l’Union sacrée, Fifi Masuka « était dans l’obligation de prouver sa loyauté au chef de l’État », reconnaît un membre de l’entourage de ce dernier. Au même titre d’ailleurs que le gouverneur du Haut-Katanga, Jacques Kyabula, province dans laquelle les deux têtes de l’exécutif congolais avaient fait escale la veille.

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« Il fallait absolument qu’ils parviennent à mobiliser pour le président de la République, poursuit notre source. S’ils ne réussissaient pas, la suite était connue. » « Aujourd’hui, pour rester en poste, il faut montrer sa loyauté, mais aussi prendre en charge [financièrement] certaines personnalités et leurs déplacements, ajoute un gouverneur qui tient à conserver l’anonymat. On exige beaucoup de nous. »

L’importance de l’enjeu n’a échappé ni à Jacques Kyabula ni à Fifi Masuka. « Nous sommes avec le président Tshisekedi Béton jusqu’en 2023 et après 2023 », a lancé le premier face à la foule, à Lubumbashi. « Jusqu’en 2028, le Lualaba et l’ensemble du grand Katanga seront derrière le chef de l’État », a renchéri la seconde à Kolwezi. Et de poursuivre, sur son compte Twitter : « J’exprime mes remerciements à toute la population de la ville pour cette forte mobilisation unique et historique ».

En font-ils trop ? En décembre dernier, alors que le chef de l’État cherchait encore à constituer autour de lui une nouvelle majorité parlementaire et que les preuves de loyauté étaient scrutées, les gouverneurs de province se sont fendus d’une « motion de soutien » destinée à rassurer Tshisekedi sur le fait que « [ses] instructions seraient toujours exécutées et relayées par [chacun] dans [ses] entités respectives ».

Pour ceux qui ont renâclé ou refuser de signer la motion de soutien à Tshisekedi, la sanction ne s’est pas faite attendre

Destitutions en série

Pour ceux qui ont renâclé ou refuser de signer le texte, la sanction ne s’est pas faite attendre : Richard Muyej, le gouverneur du Lualaba (celui dont Fifi Musuka assure l’intérim) est bloqué à Kinshasa depuis le début du mois d’avril. Le gouverneur de l’Ituri, Jean Bamanisa, a été déchu le 13, et son homologue du Maniema, Auguy Musafiri, a connu le même sort un mois plus tard. Début mai, visé par une motion de censure signée par treize députés provinciaux qui l’accusaient de mauvaise gestion et de détournement, Zoé Kabila, le frère cadet de l’ancien président, a été destitué de son poste de gouverneur du Tanganyika. Il était le dernier des 26 gouverneurs du pays à ne pas avoir rallié l’Union sacré.

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De fait, la rupture de l’alliance qui unissait le FCC de Kabila et le Cap pour le changement (Cach) de Tshisekedi depuis le début de l’année 2019 a été la source de fortes turbulences politiques au niveau national, mais a aussi eu des répercussions sur des institutions provinciales instables et fragilisées par des querelles permanentes entre les assemblées provinciales et les exécutifs locaux. Ces différends existaient déjà sous la présidence de Joseph Kabila, mais la grande verticalité du pouvoir qu’il exerçait permettait en partie de les contrôler.

Plusieurs des gouverneurs déchus ces derniers mois ont déposé des recours devant la Cour constitutionnelle, espérant être rétablis dans leurs fonctions. Mais début mai, Félix Tshisekedi a donné des instructions pour que de nouvelles élections soient organisées en vue de leur remplacement. Les discussions sont en cours et les dossiers des potentiels candidats sont, selon nos informations, scrutés par l’entourage politique et familial du chef de l’État.