La cheffe Georgiana Viou met Cotonou au goût du jour

Georgiana Viou distille les saveurs du Bénin dans son nouveau restaurant du Sud de la France et dans un livre gastronomique. La cheffe assure ainsi à son pays d’origine un rayonnement international tout en lui rendant une partie de son histoire.

Georgiana Viou à Nîmes, le 8 juin 2021 © Helene Jayet pour JA

Georgiana Viou à Nîmes, le 8 juin 2021 © Helene Jayet pour JA

leo_pajon

Publié le 4 août 2021 Lecture : 5 minutes.

Le sourire est large, mais le regard reste sévère. « Non ça ne va pas, il faut insister plus longtemps sur le poisson », lance Georgiana Viou à une jeune fille de sa brigade, chargée de griller des filets de lisette (un petit maquereau) au chalumeau. Chacun des poissons est recouvert d’une poudre écarlate qui dégage à la cuisson un enivrant parfum d’épices. « C’est une préparation à base de gingembre, de laurier, d’arachide, de piment, qui ressemble à celle que les vendeurs ambulants de tchatchanga mettent sur leurs brochettes », confie la cheffe.

Un ingrédient de snack bon marché dans un resto haut de gamme. Un peu des rues de Cotonou en plein cœur du Midi. Dans son tout nouveau restaurant, Rouge, à Nîmes, la virtuose des fourneaux compose des assiettes qui brouillent les lignes et s’affranchissent des frontières. Les filets de poisson pêchés au Grau-du-Roi, à une cinquantaine de kilomètres, saupoudrés de préparation pour tchatchanga voisinent avec des aubergines et des mûres sauvages de la région et sont encadrés par une sauce maffé incroyablement onctueuse, liée par du fumet de poisson et mixée. Avec une maestria de diplomate, Georgiana réussit à réunir harmonieusement dans ses plats le meilleur du Bénin et du sud de la France.

Dans son restaurant, à Nîmes, dans le Sud de la France © Helene Jayet pour JA

Dans son restaurant, à Nîmes, dans le Sud de la France © Helene Jayet pour JA

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Un milieu réputé pour sa dureté

Enfin, les assiettes sont posées sur les tables. L’établissement se déploie dans la cour intérieure noyée de soleil d’un ancien hôtel particulier du centre-ville. Le jasmin grimpe sur de hauts murs couleur sable tandis que les chanceux du jour se régalent à l’ombre des platanes. La cheffe au crâne rasé sort de sa cuisine pour jeter un coup d’œil discret et inquiet sur ses hôtes. Elle semble à peine rassurée par leurs soupirs d’aise et les assiettes étincelantes où chaque millimètre carré de sauce à été soigneusement « nettoyé » à la mie de pain.

Son parcours n’a rien d’académique. Et lorsqu’elle égraine les étapes de son ascension, en sirotant une menthe à l’eau chargée en sirop (« mettez-m’en plus que ça »), on comprend qu’elle a dû batailler pour se faire accepter par un milieu réputé pour sa dureté. « Je n’ai pas ressenti d’exclusion parce que j’étais noire ou que j’étais une femme, pose Georgiana Viou. Mais j’étais la “vieille” de la brigade quand j’ai commencé, et on me chambrait aussi parce que j’ai participé à une émission de télé amateur. » En 2010, elle se classe parmi les finalistes de Masterchef. C’est à peu près au même moment qu’elle professionnalise son activité après avoir définitivement lâché ses études de langues étrangères. Elle a 33 ans, ce qui est jeune dans la plupart des professions, mais pas celle de cuistot, un métier où les débutants, en France, sont à peine majeurs.

Chez nous, on apprenait la cuisine aux garçons comme aux filles, mais de façon orale

« J’ai compris que j’avais de sérieuses lacunes, souffle-t-elle. J’ai dégoté des contrats en cuisine, notamment chez Itinéraires et La Maison Kaiseki, à Paris, avant de proposer mes premiers repas dans mon “atelier” puis dans un vrai restaurant à Marseille. Le bouche-à-oreille a fonctionné… mes menus sont passés de 10 euros… à 19 euros et 25 euros ! » La cheffe arbore une humilité rigolarde : « On me prend plus souvent pour Claudia Tagbo que pour moi ! » Mais elle fait déjà partie des chefs qui comptent dans le sud de la France. Copine de quelques pontes de la cité phocéenne, comme Alexandre Mazzia (un chef triplement étoilé né à Pointe-Noire, au Congo), elle a déjà décroché de multiples récompenses, dont 2 toques au Gault & Millau.

Le Bénin à la carte

Surtout, elle a mis le Bénin sur la carte de la gastronomie. D’abord parce que sa cuisine métissée permet à sa clientèle de découvrir en douceur les spécialités de son pays d’origine. Malicieusement, elle conjugue ainsi les panisses (des spécialités provençales à base de farine de pois chiches) avec le « dja », l’indétrônable sauce tomate béninoise. Mais aussi parce qu’elle a publié il y a quelques semaines Le goût de Cotonou, un ouvrage de référence, mélange d’histoire, de sociologie et (quand même) de recettes, aux éditions d’Alain Ducasse. Ce maître de la gastronomie française salue en préambule un travail de « dévoilement » : comme il le rappelle, il n’y a pas une cuisine africaine, comme on le pense généralement hors du continent, mais bien des cuisines africaines qui ont chacune leur singularité.

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« C’est ma grand-mère Georgette et ma mère Romaine qui m’ont transmis la cuisine, explique la cheffe. Chez nous, on l’apprenait aux garçons comme aux filles, mais de façon orale. Lorsque ma grand-mère est décédée, je me suis dit qu’il fallait que j’écrive ses recettes, sinon elles disparaîtraient. » Rapidement, le projet dépasse le simple livre de cuisine. Entamé avec l’auteure Sophie Brissaud, il entend raconter la cuisine du Bénin à travers son histoire.

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Influence des colonisateurs

Marie-Cécile Zinsou, présidente de la fondation Zinsou, explique ainsi dans un chapitre introductif passionnant l’influence des colonisateurs sur la cuisine du royaume du Dahomey, dont Ouidah, la ville d’origine de Georgiana, est le premier port. Ce sont ainsi les Portugais qui importent le maïs et le manioc dans la région au XVIIIe siècle. Les Français y cultivent les agrumes (citron, orange) pour lutter contre le scorbut qui sévit sur les navires de la traite négrière. Les Agoudas, descendants d’esclaves revenus du Brésil au XIXe siècle, importent leurs propres spécialités, qui donneront par exemple la fechouada, à base de haricots rouges, cousine de la feijoada brésilienne.

Le peuple, les soldats et les souverains consomment au XIXe siècle des plats différents. Les plus modestes achètent leur nourriture auprès de marchands ambulants, dans la rue. Ils mangent de l’akassa agrémenté de sauce feuille, des rôtis pimentés, beaucoup de fritures. Les Amazones partent au combat avec des sachets de boulettes d’ignames frites censées leur permettre de tenir plusieurs jours (avant de se servir dans les réserves des ennemis défaits). Le roi est un surhomme qui n’est pas censé manger… Il « blague » cependant régulièrement, et l’on sait que lui sont convoyés des fruits, de la bouillie épicée, du poulet rôti, des fritures…

Ceux qui disent que c’est trop gras, trop pimenté, n’ont jamais mangé en Afrique

Le résultat, sur place, est une cuisine d’une grande variété et complexité. « Et certaines influences ont perduré, sourit Georgiana Viou. Ma grand-mère nous préparait parfois des entrées très françaises : de la chair de capitaine cuite mélangée à de la mayonnaise qu’elle reconstituait en forme de poisson, couvert « d’écailles » de concombre. »

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