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Un pro-Gbagbo pose à côté d’un portrait de l’ancien président ivoirien, au siège du FPI, le 17 juin 2021. © REUTERS/Luc Gnago

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Laurent Gbagbo : l’heure du retour

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Côte d’Ivoire – Laurent Gbagbo : l’heure des « GOR » est-elle venue ?

Ragaillardi par l’annonce du retour de Laurent Gbagbo, le FPI compte bien regagner du terrain. D’autant qu’après dix ans de boycott des élections législatives, les partisans de l’ex-président ont fait leur grand retour à l’Assemblée nationale.

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Mis à jour le 15 juin 2021 à 10:06

© Montage JA : Issam Zejlu pour JA; SIA KAMBOU/AFP; Issam Zejly pour JA; DR

Voilà plus de dix ans qu’ils n’avaient pas participé à une élection. Le 6 mars dernier, les GOR (les partisans restés sur la ligne « Gbagbo ou rien ») au sein du Front populaire ivoirien (FPI) effectuaient leur grand retour sur la scène politique à l’occasion des législatives. Cette stratégie mûrement réfléchie avait été décidée en 2018, lors du congrès du FPI pro-Gbagbo à Moossou. Pour les fidèles de l’ancien président, il n’était plus possible de rester en dehors du jeu électoral. Trop coûteux politiquement et financièrement. « Ce n’était plus tenable. Si nous étions restés dans cette logique de boycott, nous serions morts à petit feu », confie l’un d’entre eux.

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Le FPI légalement reconnu étant toujours présidé par Pascal Affi N’Guessan, avec lequel la réconciliation est au point mort, les candidats de l’ex-chef de l’État ne pouvaient pas battre campagne avec le sigle et le logo du parti que leur leader a fondé en 1982. Pour ce retour aux urnes, les GOR se sont donc regroupés sous la bannière d’Ensemble pour la démocratie et la souveraineté (EDS). Fort d’une alliance avec le Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI) dans la plupart des 205 circonscriptions du pays, EDS est parvenu à obtenir 17 sièges de députés – dont seulement deux femmes – sur les 255 que compte l’Assemblée nationale. De quoi en faire le deuxième groupe parlementaire d’opposition derrière celui du PDCI, qui compte 65 élus.

Obtenir 17 députés dans ces conditions est tout à fait honorable

Même si ce résultat n’est pas tout à fait à la hauteur de ce qu’ils espéraient, les pro-Gbagbo le jugent satisfaisant. « Il faut être réaliste. Nous n’avons participé à aucune élection depuis dix ans et nous avions très peu de moyens par rapport à nos concurrents. Obtenir 17 députés dans ces conditions est donc tout à fait honorable », estime une figure des GOR.

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Pour eux, l’essentiel est ailleurs : ils sont de retour sur l’échiquier politique ivoirien et disposent désormais d’une tribune à l’Assemblée nationale. Tout un symbole, alors que Laurent Gbagbo doit lui-même rentrer à Abidjan le 17 juin, plus de dix ans après son arrestation et un procès à rallonge devant la Cour pénale internationale (CPI) à l’issue duquel il a finalement été définitivement acquitté le 31 mars. Toujours déterminé à jouer un rôle de premier plan, il pourra s’appuyer sur « ses députés », dont voici les principales figures.

Georges-Armand Ouégnin, le patron d’EDS

Georges-Armand Ouégnin, président d'Ensemble pour la démocratie et la souveraineté, à Abidjan le 11 mai 2017. © Issam Zejly pour JA

Georges-Armand Ouégnin, président d'Ensemble pour la démocratie et la souveraineté, à Abidjan le 11 mai 2017. © Issam Zejly pour JA

Quand il évoque Laurent Gbagbo, il le décrit souvent comme son « référent politique ». S’il n’est pas l’un des compagnons de la première heure de l’ancien président, Georges-Armand Ouégnin n’en est pas moins devenu l’un de ses principaux lieutenants. Ces derniers mois, le président d’EDS n’a cessé de défendre la cause de l’ex-chef de l’État. Après avoir soutenu sa candidature infructueuse à la présidentielle puis boycotté le scrutin qui a abouti à un troisième mandat d’Alassane Ouattara, ce chirurgien urologue de formation a mobilisé les GOR en vue des législatives du 6 mars. Lui-même a été élu à Yopougon, fief historique de Laurent Gbagbo et du FPI. Une victoire acquise, notamment, grâce à la liste commune que les GOR y ont présentée avec le PDCI.

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Cette alliance entre les pro-Gbagbo et le parti d’Henri Konan Bédié, Ouégnin, 69 ans, en a été l’un des grands artisans. Et pour cause. Comme il s’amuse à le dire, il est « issu d’une famille 100 % PDCI ». Son père a été député de Grand-Bassam de 1960 à 1980 et était proche de Félix Houphouët-Boigny. Son frère aîné, Georges Ouégnin, en a été l’emblématique directeur du protocole.

Membre du bureau politique de 1991 à 2001, Georges-Armand Ouégnin prend ses distances avec le parti puis rejoint le Rassemblement pour la paix (RPP), de Laurent Dona Fologo, en 2008. En 2010, il soutient la candidature présidentielle de Laurent Gbagbo, qui le nomme secrétaire d’État chargé de la Sécurité sociale dans son gouvernement. Après la chute de l’ex-président, le 11 avril 2011, il est lui aussi arrêté et envoyé en prison à Boundiali. À sa sortie, il se rapproche d’Aboudramane Sangaré et des pro-Gbagbo.

Nous allons continuer à travailler ensemble, dans la droite ligne des bonnes relations entre les présidents Gbagbo et Bédié

Progressivement, il s’impose au sein du dispositif piloté depuis Bruxelles par Gbagbo.  En 2017, la plateforme EDS est créée. Ouégnin en prend la tête. Avec le retour de son mentor à Abidjan se pose désormais la question de la réunification du FPI et donc celle de l’avenir d’EDS, sorte de vitrine légale du FPI pro-Gbagbo. « Ce sera à lui de décider ce qu’il veut faire d’EDS. Nous, nous sommes à sa disposition », tranche celui qui a été élu vice-président de l’Assemblée nationale.

En attendant d’y voir plus clair, une chose est certaine : les députés d’EDS entendent maintenir leur alliance avec les élus du PDCI. « Nous allons continuer à travailler ensemble, dans la droite ligne des bonnes relations entre les présidents Gbagbo et Bédié », assure-t-il.

Michel Gbagbo, les liens du sang

Michel Gbagbo en septembre 2017. © Issam Zejly pour JA

Michel Gbagbo en septembre 2017. © Issam Zejly pour JA

Il occupe forcément une place à part. Le fils de l’ancien président Michel Gbagbo était à ses côtés dans son bunker quand celui-ci a été arrêté par les forces d’Alassane Ouattara, le 11 avril 2011. Tandis que son père est envoyé en détention à Korhogo, lui est transféré à Bouna, dans le nord-est du pays. Il y reste deux ans, durant lesquels il subit les mauvais traitements et les humiliations de la part de ses geôliers. Une fois libéré, il reprend son métier de professeur de psychologie à la faculté d’Abidjan. Il continue aussi à s’investir au sein du parti de son père, dont il devient secrétaire général adjoint. Après y avoir songé pendant plusieurs années, il se lance en quête de son premier mandat de député lors des dernières législatives. Avec Georges-Armand Ouégnin, il apparaît comme la tête d’affiche de la liste commune présentée par le FPI et le PDCI à Yopougon.  

C’est une sorte de retour à la normale

Désormais auréolé du titre d’« honorable », Michel Gbagbo, 51 ans, se félicite du retour des GOR dans le jeu électoral. « Les trois grands partis du pays [Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix – RHDP, le PDCI et le FPI pro-Gbagbo) ont participé à ces législatives, qui se sont globalement bien déroulées. Et aujourd’hui, ils sont tous présents à l’Assemblée nationale, ce qui n’était plus arrivé depuis plus de dix ans. C’est une sorte de retour à la normale », analyse-t-il. À ses yeux, ce retour d’un groupe parlementaire pro-Gbagbo dans l’hémicycle, combiné à celui de son père à Abidjan, représente un nouveau départ pour leur famille politique. « Nous allons pouvoir davantage faire entendre notre voix dans le débat public. Cela va aussi nous permettre de poser des jalons pour l’avenir », affirme-t-il.

Hubert Oulaye, le fidèle

L'ancien ministre ivoirien du Travail Hubert Oulaye à Abidjan, le 26 décembre 2017. © SIA KAMBOU/AFP

L'ancien ministre ivoirien du Travail Hubert Oulaye à Abidjan, le 26 décembre 2017. © SIA KAMBOU/AFP

Il est l’un des vieux camarades de Laurent Gbagbo et l’une des personnalités emblématiques des GOR. Hubert Oulaye, 67 ans, a adhéré au FPI en 1990 après avoir dirigé le Syndicat national de la recherche et de l’enseignement supérieur (Synares) dans les années 1980. Ce professeur de droit et de sciences politiques à l’Université Félix-Houphouët-Boigny, à Cocody, a été le directeur de cabinet de l’ancien président de 1996 à 1999, avant que ce dernier accède à la magistrature suprême en 2000. Une fois son patron au pouvoir, Oulaye occupe, sans surprise, plusieurs postes de ministre jusqu’en 2010 : de la Fonction publique, du Travail, de la Communication…

Le retour de Laurent Gbagbo à Abidjan devrait permettre de réunir enfin les différentes branches du FPI

Connu à Guiglo, dont il a déjà été député en 2000, il est réélu dans sa circonscription natale lors des législatives du 6 mars. Ce politique expérimenté est alors choisi pour être président du groupe parlementaire EDS. S’il tient à l’autonomie de ses troupes, lui aussi affirme qu’elles « entretiendront des relations très proches » avec celles du PDCI et de l’Union pour la démocratie et la paix en Côte d’Ivoire (UDPCI), l’autre groupe parlementaire d’opposition à l’Assemblée nationale.

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Il se réjouit surtout du retour de Laurent Gbagbo à Abidjan qui, selon lui, devrait permettre de réunir enfin les différentes branches du FPI. « Ce parti représente beaucoup, tant d’un point de vue politique qu’historique. Beaucoup de nos militants y sont très attachés. Laurent Gbagbo est le fondateur et le président du FPI. Il faut régler nos divisions internes. Et sa présence permettra que tout le monde se retrouve », estime-t-il, en évoquant notamment le cas de Pascal Affi N’Guessan. Selon lui, ce retour n’est « pas une revanche mais une victoire » sur « tous ceux qui pensaient qu’il ne reviendrait pas ». Se contentera-t-il d’une posture de vieux sage ou jouera-t-il un rôle plus politique ? « Il revient avec l’intention de faire de la politique. Et pourquoi pas imaginer qu’il se présente à une élection s’il le souhaite ? » conclut-il, sourire en coin.

Auguste Dago Kouassi, un « pur fruit » du FPI

Auguste Dago Kouassi. © DR

Auguste Dago Kouassi. © DR

À 46 ans, il est le cadet du groupe parlementaire EDS. Et l’une des jeunes pousses du FPI, dont il estime être un « pur fruit ». Auguste Dago Kouassi milite dans le parti de Gbagbo depuis la fin des années 1990. Il prépare alors une licence de droit public. Après une maîtrise et l’École nationale d’administration (ENA), il devient administrateur des affaires maritimes et portuaires.

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Lors des législatives du 6 mars, il se présente pour la première fois à une élection dans la circonscription d’Hiré. Il parvient à battre le député-maire RHDP sortant, Gilbert Francis Kacou. Désigné secrétaire du groupe parlementaire EDS, le néophyte ne tarit pas d’éloges sur Laurent Gbagbo. « C’est une icône. Il s’est battu pour la démocratie et la souveraineté de notre pays. Je n’ai jamais eu la chance de le rencontrer mais j’ai épousé son idéologie. Nous sommes nombreux à nous être engagés à ses côtés sans le connaître personnellement », explique-t-il.

Affichant trente ans de moins que son idole, Auguste Dago Kouassi incarne la nouvelle génération du FPI, dans un pays où les doyens continuent à tenir les premiers rôles. « Dans les instances du parti, les jeunes sont présents. Le renouvellement se fera avec le temps, de façon subtile, assure-t-il tout aussi subtilement, en prenant soin de ne froisser personne. Je suis jeune et j’ai été élu. Même s’ils n’ont pas été élus, nous avions beaucoup d’autres jeunes candidats. C’est la preuve que nous avons un vivier. »