Politique

Et si le Maroc sortait plus fort de la crise du Covid-19 ?

Campagne de vaccination exemplaire, réformes de fond, nouveau modèle de développement… Le royaume se relève doucement, mais sûrement, de la crise sanitaire, dont il pourrait bien sortir renforcé et plus solidaire.

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Par - À Casablanca
Mis à jour le 7 juillet 2021 à 11:42

À la terrasse du Cozy café, dans le centre-ville de Rabat. © FADEL SENNA/AFP

Un indice boursier qui frôle les 10 % de performance depuis le début de l’année 2021, des baromètres socio-économiques qui affichent meilleure mine, une campagne agricole qui commence sous les meilleurs auspices… Il souffle sur le royaume comme un vent de relance, de changement et d’optimisme. Même dans la rue, le décor change progressivement depuis la fin du ramadan. La vie « normale » reprend petit à petit ses droits, au rythme de l’allègement des restrictions.

Bien que les mesures de l’état d’urgence sanitaire aient été maintenues jusqu’au 10 juillet prochain, l’espace public a regagné en activité dès la fin du mois de mai. Les Marocains peuvent aller à la mosquée, au hammam, au cinéma, célébrer des mariages… « L’année dernière, les gens se demandaient les uns aux autres “depuis quand tu n’es pas sorti ?”, aujourd’hui ils se disent “Et le vaccin, c’était comment ?” », résume un quadragénaire à la sortie de l’un des 3 000 centres de vaccination du royaume.

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Bientôt l’immunité

La politique proactive de gestion de la pandémie a permis au Maroc de maîtriser autant que faire se peut la propagation du virus, d’atténuer son impact socio-économique et, très tôt, de se positionner sur le marché d’acquisition des vaccins. Les premiers accords avec les fournisseurs ont, en effet, été signés en août 2020 et les préparatifs pour la campagne de vaccination ont démarré dès le mois de septembre, sur instructions du roi Mohammed VI. Un déploiement efficace a ainsi pu s’organiser dès le lancement officiel de ladite campagne, fin janvier 2021, avec la livraison de cinq millions de premières doses.

La situation sanitaire devient de moins en moins préoccupante. « Le nombre de cas actifs atteints du Covid-19 représente à peine 10 % de la capacité hospitalière en lits de réanimation. Surtout, la campagne de vaccination, menée au pas de charge, touche désormais la population des trentenaires, laissant espérer une immunité collective d’ici à l’automne », explique un membre du comité scientifique et technique national. Cette organisation consultative indépendante, chargée d’éclairer la décision publique sur la pertinence des mesures de lutte contre la pandémie, a été sollicitée dès l’apparition du premier cas. La bonne gestion de la crise et la conduite de la campagne de vaccination – qui ont même fait des jaloux parmi les pays occidentaux –, se confirment, jour après jour, et renforcent l’espoir de voir le pays bientôt immunisé.

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« Le rythme soutenu, exemplaire [de la campagne de vaccination], a apporté un grand bol d’air au climat des affaires », confirme le Centre marocain de conjoncture (CMC). Il n’est pas le seul à véhiculer l’espoir d’une nouvelle dynamique économique. L’indice de confiance des ménages, élaboré par le Haut-commissariat au plan (HCP), a déjà gagné sept points au cours du premier trimestre 2021. Et le meilleur reste à venir. Selon le HCP, 35 % des foyers s’attendent à voir leurs revenus s’améliorer au cours des douze prochains mois.

Centre de vaccination à Salé, fin janvier.
Shereen Talaat/REUTERS

Économie résiliente

Autre signe de retour progressif à la normale : les meetings politiques se tiennent désormais en présentiel, tout en respectant les gestes barrières. Le Rassemblement national des indépendants (RNI) a été le premier à ouvrir le bal, début juin, en présentant les grandes lignes de son programme pour les scrutins (législatives, régionales et communales) prévus le 8 septembre prochain.

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De même qu’ils attendent que ces futures élections fassent souffler un vent de changement dans la vie politique, beaucoup espèrent que le pays va tourner définitivement la page de la pandémie de Covid-19. Et qu’il va capitaliser sur l’expérience à laquelle cette dernière l’a contraint, et s’en sortir plus fort. L’économie marocaine a d’ailleurs pu démontrer sa capacité de résilience durant la crise. La demande intérieure, l’endettement public et la rigidité du marché de l’emploi ont permis d’amortir le choc. Les autorités financières et monétaires ont quant à elles réussi la prouesse de stabiliser les taux d’emprunt de l’État, alors même que le besoin de financement du Trésor a doublé en 2020.

Relance à crédit

Le pays a dû déployer des efforts considérables pour s’assurer un matelas financier à même de couvrir ses besoins. Outre l’appel aux dons lancé par le roi dès les premiers jours de la crise – qui a permis de collecter plus de 32 milliards de dirhams [près de 3 milliards d’euros] –, le grand argentier du royaume a ouvert les vannes de crédits, aussi bien intérieurs qu’extérieurs. « Jamais le Maroc n’a poussé le bouchon de l’endettement extérieur aussi loin, avec deux sorties sur le marché international, la mobilisation de crédits bilatéraux, ainsi que l’utilisation de sa “ligne de précaution et de liquidité” contractée auprès du FMI, explique un banquier d’affaires. Cela nous a valu une dégradation de la note du pays, mais cela en valait la peine. »

Désormais, les regards sont tournés vers le plan de relance 2021-2023, dont plusieurs volets commencent à se concrétiser. Le gouvernement a fait preuve de célérité pour faciliter la mise en place du Fonds Mohammed-VI pour l’investissement, qui a été institué en février dernier et auquel une enveloppe de 15 milliards de dirhams a été allouée sur le budget général de l’État.

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Cependant, sur les 120 milliards prévus par le plan de relance, seule la partie monétaire est active avec, notamment, le déblocage de crédits de relance. Selon le ministre de l’Économie et des Finances, Mohamed Benchaâboun, « au total, 96 000 prêts ont été garantis par l’État, pour un montant de près de 67 milliards de dirhams, dans le cadre des programmes Damane Oxygène et de la garantie auto-entrepreneurs Covid-19 ». Néanmoins, si doper la trésorerie des entreprises permet de ne pas engager leur pronostic vital, l’approche reste insuffisante pour les remettre véritablement sur pied.

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« Il faudra des capitaux durables et à faibles coûts, tels que ceux que devrait injecter le vecteur d’investissement qu’est le Fonds Mohammed-VI, reconnaît un banquier. Mais il faut aussi de la commande publique qui profite aux entreprises nationales. » Dans ce cadre, le Conseil de gouvernement a adopté un décret remaniant le code des marchés publics. « Nous avons travaillé avec le ministère des Finances de façon à ce que le texte passe et que nous puissions adresser la commande publique aux entreprises marocaines », a souligné le ministre de l’Industrie et du Commerce, Moulay Hafid Elalamy.

Réformes de fond

Force est de constater que le royaume a bien retenu des leçons de cette crise sanitaire qui a mis à genoux les économies les plus performantes de la planète. La préférence nationale est devenue un motto dans la commande publique, considérée comme un important levier pour la relance économique.

Autre dossier stratégique, sur lequel la pandémie a eu un effet accélérateur, la généralisation de la protection sociale, dans tous ses paramètres : généralisation de l’assurance maladie obligatoire (pour couvrir 85 % de la population), puis des allocations familiales, extension des régimes de retraite aux indépendants et de l’indemnité de perte d’emploi aux non-salariés. Le roi Mohammed VI a voulu que cette réforme structurelle destinée à l’ensemble de la population, en particulier aux plus vulnérables, soit engagée dès cette année, sans attendre que le pays soit définitivement sorti de la pandémie.

Ce chantier gigantesque, qui devrait coûter environ 51 milliards de dirhams (dont 23 milliards seront mobilisés par l’État), converge avec une autre réforme de taille : la mise en place du registre social unique (RSU), dont l’objectif est de mieux « cibler » les populations les plus vulnérables, afin de rendre les instruments publics d’action sociale plus efficaces. L’architecture de cette infrastructure uniformisée est censée se déployer au lendemain de la nouvelle législature, mais, déjà, le pays a réussi à faire des avancées considérables en la matière dans le cadre de son plan de riposte au Covid-19.

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L’ensemble de ces mesures est en cohérence avec le nouveau modèle de développement voulu par Mohammed VI, sur lequel la commission Benmoussa a présenté son rapport au roi le 25 mai dernier – cette instance avait été constituée quelques mois seulement avant le déclenchement de la crise sanitaire. « La commission a fait un travail d’analyse et d’articulation de propositions venant des acteurs de divers horizons afin de concevoir un référentiel de développement à même de créer les conditions de prospérité pour le pays et de les répartir équitablement », explique Chakib Benmoussa, qui a mené une série de rencontres pour sensibiliser les politiques et les mobiliser autour d’un « pacte de développement ». Une sorte de socle commun pour les partis, avant qu’ils ne s’affrontent au cours des scrutins de septembre, pour s’assurer d’une vision partagée menant à un Maroc doté d’un État fort et d’une société solide et solidaire.