Économie

Afrique-France : « Paris se distingue par sa volonté d’investir sur le long terme »

Maintien des investissements malgré la crise, changement climatique et actions symboliques au Rwanda et en Algérie… Depuis Abidjan, le ministre français délégué au Commerce extérieur Franck Riester, et Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance, défendent la place de Paris sur le continent.

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Par - à Abidjan
Mis à jour le 9 juin 2021 à 17:24

Franck Riester à Paris. © Bruno Levy for TAR

Lors d’un déplacement début juin au Sénégal et en Côte d’Ivoire, Franck Riester, le ministre français délégué au Commerce extérieur et à l’Attractivité, et Nicolas Dufourcq, le directeur général de Bpifrance, ont décliné la nouvelle stratégie de Paris sur le continent pour redorer une image écornée de la France. Rencontre.

Jeune Afrique : Vous étiez au Nigeria en avril et en Côte d’Ivoire. Une illustration de la stratégie française qui semble hésitante entre exploration de nouveaux marchés et préservation du pré-carré ?

Franck Riester : Il est clair que nous avons une relation particulière avec l’Afrique francophone parce que nous avons une langue en commun, une histoire, des liens particuliers. Mais nous voulons aussi renforcer nos relations avec les autres pays du continent, dans tous les domaines.

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Quand j’étais ministre de la Culture, je suis par exemple allé en Éthiopie pour parler des églises rupestres de Lalibela, ou en Égypte pour parler d’archéologie. Nous avons aussi une stratégie autour du sport qui nous a conduits, avec le président Macron, à suivre un match de basket avec le président rwandais, et bien évidement des ambitions pour l’enjeu colossal que constituent l’éducation et la formation des jeunes. Et il y a bien sûr la question économique.

Nous ne voulons pas oublier un territoire au profit d’un autre, qu’il soit francophone ou anglophone. Notre objectif est clair : avec son immense potentiel et sa proximité géographique avec l’Europe, l’Afrique est une priorité et nous souhaitons renforcer nos liens avec toutes les régions du continent.

Si l’on considère que les Chinois permettent des financements abordables, que les Allemands sont garants de qualité et les Américains incontournables sur les questions technologiques, quel serait l’atout de la France pour les acteurs africains ?

Franck Riester : Si nous n’avons à rougir ni de nos financements, ni de nos talents, ni de nos capacités technologiques,  c’est notre volonté d’être présents sur le long terme, pour le meilleur comme face aux difficultés, que je mettrais en avant. Même pendant la crise du Covid, nous étions là, aux côtés de nos amis africains, quand des collaborateurs d’entreprises chinois ou d’autres pays ont déserté le continent.

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Les Français ont la particularité de s’implanter réellement, durablement et de porter une vision de partenariat de long terme.

Par ailleurs la France était en 2019 et en 2020 le pays le plus attractif d’Europe en termes d’investissements étrangers sur son sol, notamment grâce à sa capacité d’innover, à ses universités. Paris Saclay est ainsi en tête du classement Shanghai en termes de formation. Ce sont des atouts majeurs que nous voulons partager sur du long terme avec l’Afrique, parce qu’on pense que c’est notre intérêt partagé.

Une différence avec la Chine et les États-Unis, c’est la proportion importante de la société française d’origine subsaharienne

Nicolas Dufourcq : Une autre grosse différence avec la Chine et les États-Unis, c’est le fait qu’il y a une proportion importante de la société française qui est d’origine subsaharienne, et ce phénomène va encore s’accentuer au fil des ans. Des Français d’origine ivoirienne, sénégalaise, ghanéenne, nigériane, béninoise, togolaise… C’est une partie de notre pays. L’ancien président sud-africain Thabo Mbeki disait que la France est en quelque sorte citoyenne de l’Afrique. C’est vrai, et on ne pourrait pas dire la même chose des Américains ou des Chinois !

Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. © HAMILTON/REA

Nicolas Dufourcq, directeur général de Bpifrance. © HAMILTON/REA

C’est une relation de patience, de long terme, de mariage, de partenariat qui est unique à la France et qui se traduit ensuite dans les comportements. C’est ce qu’on montré des études faites, par exemple, sur le métro d’Abidjan, selon lesquelles la manière dont les populations sont traitées par les entreprises françaises n’a rien à avoir la manière dont elles sont traitées par les entreprises chinoises. Parce que nous sommes là pour longtemps.

La France est depuis longtemps l’un des premiers investisseurs étrangers en Afrique, avec 34,8 milliards d’euros investis entre 2014 et 2018. Pourtant cela passe inaperçu. Comment l’expliquez-vous ?

Franck Riester : Il y a eu, en dix ans, une croissance très importante en Afrique, avec l’arrivée de nouveaux investisseurs étrangers : des Chinois, des Turcs, des Coréens… Parfois simplement avec l’objectif de court terme d’importer dans leurs pays les produits agricoles primaires africains sans s’intéresser au long terme.

Cette compétition exacerbée est venue compliquer l’investissement français. Mais la France continuera d’investir beaucoup, et ne se contentera pas d’y exporter ses produits… même si ce serait bon pour nos chiffres du commerce extérieur !

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Nous voulons contribuer au développement de l’Afrique, par exemple en Côte d’Ivoire, avec plus de transformation, plus de valeurs ajoutée sur place, dans le secteur agricole et agroalimentaire notamment. Cela implique des investissements avec des entreprises privées et des financements adaptés, mais aussi d’amener de l’expertise.

La France est associée à certains secteurs clés, comme l’agro-industrie, l’agrobusiness, les hydrocarbures, l’électricité et le BTP. Vise-t-elle d’autres domaines ? Dans l’économie verte par exemple ?

Franck Riester : La question des villes durables ne concerne pas seulement la construction,  mais aussi toute la mobilité notamment le transport ferroviaire, l’énergie, l’économie bleue… En Côte d’Ivoire ou au Sénégal, la mer est un enjeu absolument considérable. On a des savoir-faire dans ce domaine, des entreprises qui ont envie de partager leurs expériences.

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Nicolas Dufourcq : Bpifrance suit de près le secteur de l’éducation privée. Nous avons beaucoup investi dans des entreprises privées et des fonds d’investissements africains qui injectent à leur tour des capitaux dans des universités et des écoles africaines. Nous sommes dans Africinvest, Mediterranea… Notre plus gros investissement est l’entrée au tour de table de Galileo, propriétaire de l’ISM au Sénégal. Cet investissement s’inscrit dans un grand projet panafricain.

Franck Riester : Il y a également une dynamique importante sur la fintech.

Pourtant, on a l’impression que la French Tech est peu présente en Afrique.

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Nicolas Dufourcq : Cela peut effectivement être la vision depuis Abidjan, car la Côte d’Ivoire a un petit peu de retard dans ce domaine. Mais par contraste, la France est est très impliquée en Tunisie, au Maroc ou encore au Sénégal. Nous pensons qu’il y a un gros travail à faire sur l’écosystème de la tech en Côte d’Ivoire.

Le métier bancaire est collectif, une banque n’est jamais seule

Franck Riester : La French Tech à Abidjan a été la première sur le continent africain. Je les ai rencontrés et j’ai pu mesurer la robustesse de leurs projets pour les entreprises locales. La French Tech fonctionne comme un pont entre les entreprises ivoiriennes et françaises. C’est la même chose en Afrique du Sud, ou en Tunisie et au Maroc comme le dit Nicolas.

Nous travaillons depuis un moment sur un autre concept, l’image de marque de la France, la French Fab. Nous lancerons une campagne de communication autour de la marque française comme d’autres pays l’ont fait, comme l’Espagne ou Singapour… Cela permettra de relancer le nombre d’entreprises qui investissent à l’international.

Les investissements français en Afrique sont souvent le fruit d’initiatives publiques ou de grands groupes, mais on compte peu de PME ou même d’entreprises intermédiaires. Comptez-vous y remédier ?

Nicolas Dufourcq : L’accompagnement les entreprises en Afrique, et notamment des PME, sera dans le cœur de notre stratégie africaine. Cela passe par l’accès à l’information, qui leur permet  de répondre de façon plus pertinente aux besoins des marchés. Nous avons donc mis en place des plateformes d’information secteur par secteur et pays par pays. Nous investissons aussi pour réduire le coût de la prospection internationale, de manière physique aussi bien que digitale.

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Comment se fait la coordination entre action publique directe (AFD), indirecte (BPI) et privée (Medef et autres) en Afrique ?

Nicolas Dufourcq : Le métier bancaire est collectif, une banque n’agit jamais seule. Nous constituons des pools, dans lesquels il y a l’AFD, BPI, le Trésor et généralement deux banques privées, l’une française et l’autre étrangère. C’est assez coordonné avec une équipe basée à Paris pour le crédit export, qui est un métier très technique.

Les banques françaises sont toutes en retrait en Afrique, à l’exception de Société générale. S’agit-il d’un phénomène ponctuel ou est-il irréversible ?

Nicolas Dufourcq : Il est vrai que parmi les françaises, il y a guère plus que Société générale qui consolide son empreinte sur le continent. C’est son choix, quand BNP a une stratégie plus asiatique. C’est pourquoi nous avons de plus en plus de partenariats avec Société générale sur le continent.

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Quel a été le volume global des engagements français de BPIfrance sur le continent en 2020, et quelles sont les projections pour 2021 ?

Nicolas Dufourcq : En 2020, nous avons accordé une garantie de 2 milliards d’euros à l’Afrique, dont la Côte d’Ivoire a capté moins de 10 %. S’il est très difficile de se prononcer pour 2021 – les chiffres vont être très dépendants des contrats -, on sait déjà que ce sera une très bonne année pour l’assurance-crédit, avec beaucoup d’opérations, notamment sur le continent africain.

Nous abordons toute notre histoire commune avec l’Afrique en responsabilité et avec beaucoup d’humilité

Sous la présidence de François Hollande, la volonté de « sortir du pré-carré » a eu peu de résultats. En quoi cette mandature est-elle différente ?

Franck Riester : Nous sommes dans l’action. Nous agissons de façon très pragmatique pour changer l’environnement, la vie des gens et augmenter nos échanges avec les pays africains.

Nous abordons toute notre histoire commune avec l’Afrique en responsabilité et avec beaucoup d’humilité. Cela a été le cas au Rwanda et aussi avec l’Algérie. C’est le cas aussi avec des actions très concrètes comme la restitution d’œuvres d’art au Bénin et au Sénégal par exemple.

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Ce sont à la fois des discours, des signaux et des actes symboliques qui montreront que nous sommes déterminés à bâtir une relation renouvelée avec le continent africain. Cela passe aussi par le sommet de financement des économies africaines, les programmes de formation ou les moyens financiers que nous mettons de plus en plus à la disposition de l’Afrique dans les travaux d’infrastructures publiques, ainsi que par le soutien aux sociétés civiles dans toutes leurs diversités, avec une attention particulière donnée à la jeunesse, principale richesse de l’Afrique, qui a besoin d’être appuyée pour se projeter dans l’avenir avec confiance.

Le sommet Afrique-France du mois d’octobre à Montpellier reposera sur les échanges entre nos sociétés civiles. Nous pensons qu’au-delà des actions du président Macron et du gouvernement, des actions doivent être menées de la base.