Les bonnes relations affichées entre Alpha Condé et Mamadou Sylla auront été de courte durée. Pourtant, beaucoup avaient parié sur une opposition plus accommodante de ce dernier, désigné pour occuper un poste qui semblait taillé sur mesure pour faire de l’ombre à l’aile dure de l’opposition incarnée par Cellou Dalein Diallo, le président de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). Mamadou Sylla lui a succédé en tant que chef de file de l’opposition à l’issue des législatives de mars 2020, boycottées par l’UFDG. Cellou Dalein Diallo, qui continue de remettre en cause l’ensemble du processus électoral – y compris la présidentielle à laquelle il a finalement accepté de participer – a d’ailleurs refusé de lui reconnaître ce statut.
Après la réélection d’Alpha Condé pour un troisième mandat placé sous le signe de la « gouvernance autrement », le leader de l’Union démocratique de Guinée (UDG) avait annoncé sa volonté de « s’opposer autrement », de manière « civilisée », selon ses propres termes. Dans le cabinet qu’il a constitué – pas moins de quinze conseillers spécialisés sur des sujets allant des affaires économiques et sociales à l’environnement en passant par les questions minières –, Mamadou Sylla a même pris le soin de choisir plusieurs personnalités en rupture de ban avec Cellou Dalein Diallo. C’est en particulier le cas de Mouminy Sylla, son chef de cabinet, qui fut un ancien allié du président de l’UFDG. Mais si Mamadou Sylla est reçu à la présidence et à la primature, ni Cellou Dalein Diallo ni Sidya Touré, le leader de l’Union des forces républicaines, n’ont pour l’instant accepté de le recevoir.
Cette posture d’opposant « constructif », prêt au dialogue avec le pouvoir, et qui prend ses distances avec l’opposition dite radicale, aura finalement fait long feu. « Avec Alpha Condé, on s’appelait régulièrement jusqu’à la fin mars, confie Mamadou Sylla à Jeune Afrique. Mais désormais, ce n’est plus cas. » À l’en croire, ce subit changement de relation avec le chef de l’État remonte au point presse de l’opposant tenu le 10 avril dernier, au cours duquel il a sévèrement critiqué la gestion du pays par le président.
Le « manque d’expérience » d’Alpha Condé
Ce jour-là, l’opposant est interrogé par un journaliste sur les moyens mis à sa disposition en tant que chef de file de l’opposition – notamment un budget d’installation et de fonctionnement, deux véhicules et des gardes du corps. « J’ai répondu que je n’avais rien reçu et que je ne pouvais m’en prendre qu’au président, affirme Mamadou Sylla. À chaque fois, il dit qu’il a donné instruction à l’Assemblée nationale de faire son travail. Mais c’est une manœuvre dilatoire. »
Je perçois un manque d’expérience dans sa gestion du pays
L’opposant a également saisi l’occasion pour critiquer sévèrement la méthode Condé dans la gestion de l’État qui se trouve entre les mains du seul président de la République. Selon lui, celui-ci a accédé à la tête du pays alors « qu’il n’a même jamais administré un quartier ». « Je perçois un manque d’expérience dans sa gestion du pays », insiste-t-il. Et de dénoncer une centralisation de la gestion des affaires de l’État « entre les mains de quelques-uns ». « Il doit avoir confiance en ses hommes et leur donner les moyens de travailler et de produire des résultats », plaide le chef de l’UDG.
Omission involontaire ?
Depuis cette sortie, Mamadou Sylla n’est plus invité à certaines rencontres officielles, où sa présence est pourtant légalement prévue. Ce fut notamment le cas lors de la visite d’État du président gambien Adama Barrow à Conakry, le 4 juin dernier. « Normalement, les corps constitués sont présents. On ne m’a pas appelé. On assure pourtant que j’ai répondu en disant que j’étais malade et que je ne pouvais pas me rendre à l’aéroport, mais c’est faux ! D’abord, on ne téléphone pas, on n’écrit pas, explique l’opposant. On communique officiellement, à travers le protocole d’État, la liste des personnalités invitées. »
Un conseiller d’Alpha Condé évoque, sous couvert d’anonymat, une possible « omission involontaire ». Mais il concède et confirme la thèse de l’opposant : « Ce n’est un secret pour personne que les rapports entre Mamadou Sylla et le président de la République se sont distendus ces derniers temps en raison des sorties médiatiques de Sylla. »
Ce dernier va-t-il radicaliser ses positions vis-à-vis du pouvoir ? S’il critique désormais ouvertement le chef de l’État, il assure rester fidèle à sa philosophie politique de départ : « S’opposer autrement ne veut pas dire que je vais me lier les mains. Ce qui est mauvais, nous le dénoncerons, et ce qui est positif, nous en prendrons acte », assure-t-il.
« C’est un faux slogan », assène Saïkou Yaya Barry, secrétaire exécutif de l’UFR. « Il a mal été élu en tant que député. Il sait dans quelles conditions les élections se sont déroulées, sans les leaders les plus importants, écartés pour lui permettre d’arriver à l’Assemblée nationale. S’opposer autrement, cela veut simplement dire aider Alpha Condé à asseoir son pouvoir. La vraie opposition est incarnée par Sidya Touré et Cellou Dalein Diallo, non par Mamadou Sylla qui n’a que quatre députés. »
Si Mamadou Sylla affiche sa volonté de prendre ses distances avec Alpha Condé, il ne parvient donc pas à s’attirer les bonnes grâces de l’aile dure de l’opposition. Il ne les cherche d’ailleurs pas, affirme-t-il. Son but ? Faire émerger une « troisième voie » au sein de la Convergence pour la renaissance de la démocratie en Guinée (Corede), une coalition d’une quinzaine de partis politiques dont l’acte de naissance a été signé mercredi 9 juin 2021. En s’alliant ainsi avec d’autres formations, Mamadou Sylla espère parvenir à construire une légitimité manquante, dans la perspective d’un futur dialogue national.
En attendant, il n’est toujours pas dans les petits papiers de la présidence. Le chef de file de l’opposition n’a en effet pas été convié à la cérémonie d’accueil du président ghanéen Nana Akufo-Addo, jeudi 10 juin 2021. Et cette fois, difficile de considérer qu’il s’agit d’une malheureuse omission.