Politique

Reconversion de la dette, UFTAM, École 42… Les ratés de la coopération franco-tunisienne

La visite du Premier ministre français Jean Castex à Tunis s’est achevée le 3 juin, sans annonces fracassantes. Au-delà de la bonne entente affichée entre les deux pays, plusieurs projets franco-tunisiens ont échoué.

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Par - à Tunis
Mis à jour le 4 juin 2021 à 15:56

Les délégations tunisienne et française conduites par le Premier ministre tunisien Hichem Mechichi et son homologue français Jean Castex se rencontrent à Tunis, le 3 juin 2021. © Ons Abid

Le Premier ministre français Jean Castex vient de boucler, à l’occasion du troisième Haut conseil de coopération franco-tunisien, son premier déplacement officiel hors de l’Hexagone. Du 2 au 3 juin, ces 24 heures d’un voyage d’État en Tunisie ont scellé, par des accords, l’ensemble des entretiens tenus au préalable ces derniers mois entre les présidents tunisien et français.

Détresse économique

Trois conventions de prêts, pour plus de 80 millions d’euros, ont été signées, portant sur la résilience aux catastrophes naturelles, l’achat de remorqueurs pour la marine et l’amélioration des performances industrielles et environnementales de deux stations de dessalement à Djerba. Trois lettres d’intention ancrent par ailleurs la coopération technique bilatérale dans les domaines du commerce, de l’agriculture et de l’agro-alimentaire, du développement du secteur rural, du numérique et des exportations.

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Covid-19 et crise économique obligent, la France a revu sa copie, ou plutôt réduit sa « to do list » en Tunisie. Lors du deuxième Haut conseil de coopération en 2019, il avait été question de sécurité, de défense, de justice, de développement économique, d’éducation, d’enseignement supérieur, de recherche et formation professionnelle, de culture et de francophonie. La pandémie de Covid-19 et la détresse économique que subit la Tunisie ont toutefois réduit les ambitions initiales.

Plusieurs initiatives, qui semblaient être des passerelles entre les deux pays, ont fait long feu

Pourtant, les projets lancés avec euphorie par le président français Emmanuel Macron lors de sa visite officielle, en janvier 2018, semblaient être partis sur les chapeaux de roue. À cette occasion, le locataire de l’Élysée avait dégainé, en plus des accords convenus, des projets de coopération innovants, dont celui d’une université franco-tunisienne pour l’Afrique et la Méditerranée (UFTAM), l’installation d’une antenne de l’École 42 de Xavier Niel et de stations T [incubateurs de start-up], ainsi qu’une éventuelle reconversion de la dette.

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De quoi séduire les chefs d’entreprise, l’enseignement et les jeunes pour qui se déployaient de nouveaux horizons avec « un fonds de soutien au développement, à l’entreprise et aux initiatives de la jeunesse en Tunisie, doté de 50 millions d’euros sur trois ans par la France ». Mais trois ans plus tard, ces initiatives, qui semblaient être des passerelles entre les deux pays, ont fait long feu.

Cafouillages

L’École 42 aurait dû, comme les stations T, être réalisée en partenariat entre le groupe de Xavier Niel et Badreddine Ouali, patron du groupe Vermeg et président de la Fondation Tunisie pour le développement et du Réseau entreprendre Tunisie. L’Élysée précisait que « des professeurs de l’École 42 viendront donner des cours en Tunisie pour former de futurs développeurs informatiques ». Or personne n’est jamais venu.

Le projet cafouille, achoppe sur des réglementations et tout indique qu’il n’a pas été réellement étudié en aval

Restait l’université franco-tunisienne (UFTAM), un temple du savoir ouvert sur l’Afrique qui devait permettre à la Tunisie de devenir un pôle de l’enseignement supérieur sur le continent. Mais là encore, le projet cafouille, achoppe sur des réglementations, et tout indique qu’il n’a pas été réellement étudié en aval. Selon les lois tunisiennes, la structure de l’UFTAM ne peut être à capitaux mixtes et ne peut avoir le statut de société anonyme.

Les délégations tunisienne et française conduites par le Premier ministre tunisien Hichem Mechichi et son homologue français Jean Castex se rencontrent à Tunis, le 3 juin 2021. © Ons Abid

Les délégations tunisienne et française conduites par le Premier ministre tunisien Hichem Mechichi et son homologue français Jean Castex se rencontrent à Tunis, le 3 juin 2021. © Ons Abid

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Un imbroglio juridique tel qu’il n’a pu être résolu. Après la signature d’un protocole préalable en février 2019, l’établissement a démarré son programme sous couvert de l’Association de l’UFTAM avec une cinquantaine d’étudiants qui ne sont pas même certains que leurs diplômes seront reconnus. À moins qu’elle n’ait été abordée officieusement, la situation de l’UFTAM ne semble pas avoir été à l’ordre du jour du Haut conseil de coopération, malgré la présence de Frédérique Vidal, ministre française de l’Enseignement supérieur, de la Recherche et de l’Innovation.

« Reconversion d’une partie de la dette »

À l’issue de cette visite marathon, où réunions de travail ont alterné avec entretiens officiels, évaluation des chantiers en cours – dont celui du Réseau ferroviaire rapide (RFR) – et entractes touristiques, le chef du gouvernement tunisien Hichem Mechichi a annoncé qu’« une reconversion d’une partie de la dette – de l’ordre de 831 millions d’euros en 2018 – envers la France, est en discussion ». La question est récurrente lors des rencontres bilatérales avec la France. En 2012, la président François Hollande avait déjà donné le ton en convertissant 60 millions de la dette tunisienne en investissements.

« Il faudra toujours mettre la main à la poche et régler des prestations au lieu d’une dette »

Une manière de financer des projets réalisés par des entreprises françaises dans le cadre du développement de la Tunisie. « C’est une bonne initiative, mais il faudra toujours mettre la main à la poche et régler des prestations au lieu d’une dette », souffle un chef d’entreprise tunisien. Le sénateur français Michel Billout (Parti communiste) s’était même étonné que la Tunisie n’ait pas été parmi les pays prioritaires, dont la France a annulé la dette en 2013.

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Mais dans ses relations avec la Tunisie, Paris préfère puiser de temps à autre dans un panier de créances pour faire d’une pierre deux coups : contribuer à l’investissement étranger et la création d’emploi en allégeant en parallèle le service de la dette. La Tunisie n’en est plus là et compte sur ses partenaires pour la soutenir au moment où son économie est au bord du précipice. Nul ne sait si la France donnera suite aux demandes d’aides, mais l’Hexagone a déclenché le mécanisme de protection civile de l’Union européenne (MPCU) pour fournir un don en équipements médicaux et sanitaires d’une valeur de trois millions d’euros.

Une solidarité bienvenue alors qu’une quatrième vague de la pandémie s’abat sur la Tunisie, en attendant de meilleures conditions pour parler relance et avenir. Certains y pensent déjà. En marge du Haut conseil, des patrons du Medef regardaient du côté de Tripoli et évoquaient la création d’une plateforme franco-tuniso-libyenne d’entreprises.