À Tunis, l’été s’annonce étouffant. Les bulletins de la météo économique et financière sont tous plus pessimistes les uns que les autres, avec un climat social tendu, une gestion de la crise sanitaire très contestée et des ressources toujours réduites, du fait de la crise du tourisme et des phosphates. La Tunisie cherche à sortir la tête de l’eau, car la situation s’annonce périlleuse, et ce, à très court terme.
Le gouvernement Mechichi doit faire face au remboursement d’un crédit d’un milliard de dollars en juillet et en août
Une étude publiée en avril 2021 par l’Institut tunisien des études stratégiques (ITES) conclut en effet à l’obsolescence de la loi de finances initiale (LFI) de 2021. Votée le 10 décembre 2020, elle est basée sur des hypothèses dépassées avant même le début de l’année fiscale 2021.
Ces projections tablaient sur une récession économique de l’ordre de 7,3 % en 2020 – elle fut en réalité de – 8,8% -, et sur un prix du baril de pétrole à 45 dollars, alors que celui-ci s’est stabilisé entre 60 et 70 dollars depuis mars 2021. La LFI compte par ailleurs sur une reprise de 4 % de croissance du PIB réel en 2021, ajustée sur les estimations du Fonds monétaire international (FMI).
Le gouvernement Mechichi doit par ailleurs aussi bien faire face à la pression mensuelle des salaires et des pensions de retraites qu’au remboursement d’un crédit d’un milliard de dollars en juillet et en août, qui a bénéficié d’une garantie américaine. Alors face à la situation explosive, Tunis se tourne vers ses amis et voisins.
L’espoir libyen
La chute historique des échanges commerciaux entre la Tunisie et la Libye lors de la dernière décennie a sans doute été l’un des facteurs cruciaux de la crise économique que vit la Tunisie. Durant la décennie 2000-2010, le flux commercial entre les deux voisins était le plus important d’Afrique du Nord. À la fin de l’année 2009, la valeur totale des échanges s’élevait à 1,25 milliards de dollars. La Libye était alors le second partenaire commercial de la Tunisie, après l’Union Européenne. Aujourd’hui, le volume des échanges entre les deux pays est passé sous la barre du milliard de dinars, selon les chiffres du Conseil d’affaires tuniso-africain (TABC).
Avec le relatif retour au calme côté libyen après une décennie d’instabilité et plusieurs guerres civiles, le président Kaïs Saïed s’est rendu à Tripoli en mars dernier. Cette première visite d’un chef d’État tunisien depuis 2012 a ouvert la voie à celle du chef du gouvernement, Hichem Mechichi, qui s’est rendu à son tour à Tripoli le 22 mai avec une délégation de plus de 1 200 investisseurs et hommes d’affaires tunisiens et quelques ministres de son gouvernement, sans oublier le gouverneur de la Banque centrale, Marouane Abassi.
Rien n’a filtré sur un hypothétique dépôt libyen lors de la visite à Tunis d’El Menfi
Pour consolider ces échanges, le président du Conseil présidentiel libyen, Mohamed El Menfi, s’est en retour rendu en Tunisie du 29 au 31 mai, à l’invitation de Kaïs Saïed. Au cœur des discussions, une question lancinante : la Tunisie obtiendra-t-elle un financement libyen sous forme de dépôt ?
Cette interrogation suscite de nombreuses spéculations depuis la visite de Mechichi à Tripoli, le 22 mai dernier. À cette occasion, le Premier ministre libyen, Abdulhamid al-Dabaiba, avait promis de soutenir la Tunisie : « Aujourd’hui et plus que jamais, nos deux pays ont besoin l’un de l’autre, d’autant que la Tunisie a toujours été d’un grand soutien pour la Libye dans sa crise politique et a servi de terre d’accueil pour de nombreux Libyens. » Selon plusieurs sources, le dépôt libyen avoisinerait un milliard de dollars. Pour autant, rien n’a filtré sur le sujet lors de la visite à Tunis d’El Menfi.
D’après nos sources, les pourparlers ont lieu entre le gouverneur de la Banque centrale tunisienne, Marouane Abassi, et son homologue libyen, Al Seddik Omar al-Kabir, avec la participation du ministre tunisien de l’Économie, des Finances et de l’Appui à l’investissement, Ali Kooli.
Chassé-croisé Tunis-Doha
Outre la Libye, la Tunisie se tourne aussi vers le Qatar. Le pays du Golfe, proche du parti majoritaire Ennahdha, a quant à lui posé des conditions avant d’apporter une aide financière aux Tunisiens. Les visites répétées d’Ali Kooli à Doha, mais aussi celle du président du Parlement et du parti islamiste, Rached Ghannouchi, ainsi que celle de Hichem Mechichi ne sont pas le signe de négociations faciles.
Un conseiller d’Ennahdha annonce que le Qatar accordera 2 milliards de dollars à la Tunisie
En mars dernier, Ali Kooli s’était envolé pour le Qatar, où il avait rencontré le Premier ministre et ministre de l’Intérieur, Khalifa bin Abdulaziz Al Thani, son homologue qatari d’alors, Ali Shareef Al Emadi, et le ministre du Commerce et de l’Industrie, Ali Ahmed Al-Kuwari. N’ayant pas pu retarder le paiement d’un crédit qatari de 500 millions de dollars et en l’absence d’accords concrets, la visite de Kooli avait été jugée comme un échec pour la diplomatie économique tunisienne.
Cependant, des rumeurs autour d’un dépôt crédit qatari de deux milliards de dollars en faveur de la Tunisie ont émergé lors de la visite, en catimini à Doha, de Rached Ghannouchi début mai. Ce voyage, controversé car il n’a pas été annoncé officiellement, a été suivi par la visite de Mechichi à Doha, le 28 mai.
Dans un post publié sur Facebook, Riad Chaibi, le conseiller politique du parti Ennahdha, a indiqué que le Qatar accordera deux milliards de dollars à la Tunisie sous forme de prêt, avec un taux d’intérêt extrêmement faible. Riad Chaibi évoque aussi deux millions de doses de vaccin anti-Covid qui devraient parvenir à la Tunisie, ainsi qu’un accord d’investissement entre les deux pays. Le conseiller de Ghannouchi ne s’arrête pas là, et ajoute que le Qatar se chargera d’organiser un congrès international d’investissement en Tunisie, qui devrait garantir 25 milliards de dollars sur cinq ans.
Mais, comme pour la Libye, le chef du gouvernement est rentré le 1er juin à Tunis sans qu’aucun chiffre officiel ne soit annoncé. Pour l’heure, les efforts du gouvernement pour mobiliser des ressources comme pour ajourner des échéances semblent donc rester vains.