Société

Côte d’Ivoire – Procès Guillaume Soro : « Moi, je ne suis qu’un exécutant »

Le procès des proches de Guillaume Soro, soupçonnés d’être impliqués à des degrés divers dans un « complot » dirigé contre l’État ivoirien, se poursuit à Abidjan. Une partie de sa garde rapprochée, dont son chef, a été entendue jeudi.

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Par - à Abidjan
Mis à jour le 28 mai 2021 à 14:51

Alain Lobognon, Souleymane Kamagate alias « Soul to Soul », et les coaccusés lors de l’ouverture du procès de Guillaume Soro (absent) et de ses proches, le 19 mai 2021. © REUTERS/Luc Gnago

À la barre, l’ancien chef de la garde rapprochée de Guillaume Soro, le commandant Jean-Baptiste Kouamé Kassé, l’assure, il a cédé à la panique ce 23 décembre 2019, marqué par un assaut des forces de l’ordre et une série d’arrestations dans les locaux de Générations et peuple solidaires (GPS, mouvement politique de l’ancien président de l’Assemblée).

– « La présence des armes [au siège du GPS] était-elle régulière selon vous ? » lui demande le président du tribunal criminel, ce jeudi 27 mai.
– « C’était régulier », confirme-t-il.
– « Dans ce cas, pourquoi les avoir prises pour les jeter dans la lagune ? Que craigniez-vous ? ».
– « C’est après que je me suis rendu compte que j’avais fait une bêtise », admet Jean-Baptiste Kouamé Kassé, qui affirme avoir agi « à titre privé » pour éviter « que d’autres les prennent ».

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Le président cherche à sa savoir si le but de la manœuvre n’était pas de les récupérer plus tard.
– « L’eau détruit les armes », assure Jean-Baptiste Kouamé Kassé.
– « Pourquoi les avoir jeté en cachette ? ».
– « Je ne les ai pas jetées en cachette ».
– « Alors pourquoi être allé si loin, à Assinie, alors qu’il y a de l’eau à Abidjan, il y a la mer à Port-Bouët ».
– « C’est pas venu comme ça dans ma tête d’aller à Port-Bouët, j’avais l’habitude d’aller à Assinie-Mafia », se défend l’accusé.

14 accusés dans le box

La découverte de ces armes immergées devant la résidence de Guillaume Soro dans cette station balnéaire chic à une heure et demie de route d’Abidjan constitue un des principaux piliers de l’accusation pour appuyer la thèse d’une volonté de déstabilisation des institutions ivoiriennes fin 2019. L’ancien président de l’Assemblée et dix-neuf de ses proches, dont deux de ses frères, Rigobert et Simon Soro, l’ancien député et ancien ministre Alain Lobognon et son ancien chef du protocole, Souleymane Kamagaté Koné, dit Soul to Soul, sont poursuivis pour « atteinte à la sureté de l’État »,  « complot » et « diffusion de fausses informations ». Sur ces dix-neuf accusés, seuls quatorze, actuellement détenus à la Maison d’arrêt d’Abidjan (Maca), comparaissent depuis la semaine dernière devant le tribunal criminel d’Abidjan. Les autres sont en exil.

Guillaume Soro ne savait même pas qu’il y avait des armes au siège »

– « Guillaume Soro ne vous a donné aucune instruction ? », veut savoir un avocat de la défense.
– « Négatif, il ne savait même pas qu’il y avait des armes au siège », rétorque le commandant.

Ces armes, une trentaine de kalachnikov d’après lui, seraient celles d’anciens éléments de la garde républicaine chargé de la sécurité de Soro jusqu’à son départ de l’Assemblée. « Nous étions cinquante et nous sommes restés seulement vingt [après sa démission], mais nous ne touchions pas à ces armes », assure-t-il.

« C’est le chef qui sait »

Le sergent-chef Lamine Traoré est interrogé à son tour. Ce militaire, membre de la garde rapprochée, était sous les ordres du commandant Kouamé Kassé.
– « Avez-vous reçu l’ordre d’aller prendre des armes au siège du GPS et d’aller les jeter à l’eau à Assinie Mafia ? ».
– « Le commandant nous a donné ordre de prendre les armes au bureau annexe [au siège] et d’aller les jeter dans l’eau à la résidence d’Assinie ».
– « Est-ce un ordre qui vous paraissait légal ? »
– « Moi, je ne suis qu’un exécutant, je reçois l’ordre, j’exécute », affirme calmement Lamine Traoré.

Il le rappellera à plusieurs reprises. Il précise ensuite avoir chargé huit kalachnikovs dans le coffre d’un véhicule d’escorte, une Pajero noire, aux alentours de 16 h 30, alors que le siège du GPS était assailli. « Je ne sais pas si d’autres personnes sont parties après [à Assinie, jeter d’autres armes] », ajoute le militaire. Il affirme ne pas avoir connaissance de la provenance des armes et avoir découvert leur existence ce 23 décembre. « C’est le chef qui sait », soutient-il.

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Au tour du sergent-chef Emmanuel Silué, détaché lui aussi à la garde rapprochée de Soro. Visiblement très mal à l’aise face aux questions en rafale du président, il hésite, n’ose pas répondre, même aux interrogations les plus évidentes.
– « Connaissez-vous le GPS ? »
– « Je ne fais pas de politique. »
– « Êtes-vous allé déposer des armes dans l’eau dans la résidence ? »
– « Oui. »
– « Pourquoi ? »
– « C’était un ordre de la hiérarchie. »

Emmanuel Silué dit être resté dans la Pajero noire, qu’il conduisait, tandis que les armes étaient chargées dans le coffre.
– « Pourquoi ne pas en avoir pris plus de huit ? », l’interroge le juge.
– « Je ne sais pas », répond le sergent-chef.

Enregistrement sonore

La veille, c’est un autre élément déterminant du dossier qui a agité les débats. Il s’agit du fameux enregistrement sonore de 7 minutes et 27 secondes d’une conversation entre Guillaume Soro et un tiers, dans laquelle l’ancien président de l’Assemblée nationale dit notamment avoir la « télécommande » pour passer à l’action. Un enregistrement de mauvaise qualité diffusée à l’audience sans que le tribunal ne s’attarde plus amplement dessus.

« C’est à partir de cette bande sonore que les services de renseignements ont détecté que quelque chose d’anormal se préparait », a simplement rappelé le procureur de la République, évoquant « une bande historique ». Les avocats de la défense, regroupés en collectif, avaient réclamé en vain la semaine dernière, à l’ouverture du procès, l’obtention d’une copie de cet enregistrement. Ils avaient quitté la salle d’audience mercredi, avant d’y revenir jeudi.

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Entendu mercredi, Félicien Sékongo, le président du Mouvement pour la promotion des valeurs nouvelles en Côte d’Ivoire (MVCI), formation politique un temps proche du GPS, a dû s’expliquer sur sa présence le 23 décembre 2019 au siège du GPS, où Alain Lobognon (ancien secrétaire général du MVCI, il a démissionné avant l’ouverture du procès) animait une conférence de presse pour annoncer que Guillaume Soro, en route pour Abidjan, avait été contraint d’atterrir à Accra « contre sa volonté ». Félicien Sekongo a nettement pris ses distances avec Soro. « Je n’étais pas membre du comité d’organisation », a-t-il affirmé, indiquant ne pas avoir demandé à ses partisans de se mobiliser pour accueillir l’ancien président de l’Assemblée en raison de « désaccords » avec lui.

Selon la présidence, cet atterrissage au Ghana avait été réclamé par Guillaume Soro pour éviter une « arrestation à l’arrivée » compte-tenu d’un mandat d’arrêt international émis ce jour-là contre lui pour « tentative d’atteinte à l’autorité de l’État et à l’intégrité du territoire national ». Le procès de ses quatorze proches emprisonnés depuis à Abidjan reprendra le 2 juin.