Politique

Législatives en Algérie : un boycott ? Quel boycott ?

La campagne électorale pour le scrutin législatif anticipé du 12 juin se déroule dans un climat tendu, marqué par une répression sans précédent contre les partis de l’opposition qui ont décidé de boycotter le rendez-vous.

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Par - à Alger
Mis à jour le 27 mai 2021 à 17:04

Des agents électoraux dans un bureau de vote à Alger, le 1er novembre 2020. © REUTERS/Ramzi Boudina

Au huitième jour de la course parlementaire, la première du genre depuis le soulèvement populaire du 22 février 2019 qui a mis fin à la présidence de Bouteflika, l’opposition est plus occupée à contrer l’offensive judiciaire du pouvoir qu’à faire campagne pour le boycott du scrutin législatif anticipé du 12 juin.

Le secrétaire général du Parti socialiste des travailleurs (PST), Mahmoud Rechidi, a ainsi annoncé dimanche dernier que « le pouvoir a engagé les poursuites judiciaires en référé pour la suspension provisoire du parti ainsi que la fermeture de ses locaux », sans expliquer les motifs de la procédure.

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Le ministère de l’Intérieur a de son côté mis en branle l’appareil judiciaire contre l’Union pour le changement et le progrès (UCP), présidé par l’avocate Zoubida Assoul, très active dans la défense des détenus d’opinion. Le ministère de l’Intérieur motive sa décision par la non-conformité du parti avec la loi organique régissant les partis politiques.

« Malgré cette absence de statut juridique, Zoubida Assoul poursuit ses activités sous couvert de ce parti », soutient le département ministériel dans un communiqué du 22 avril. L’UCP affirme le contraire : un congrès ordinaire s’est tenu le 11 avril et s’est soldé par la désignation d’un nouveau bureau exécutif.

« Atteinte au déroulement du scrutin »

Dès le lendemain, le parti annonce sa décision de boycotter les législatives, estimant que « les prochaines élections ne sont qu’une manœuvre du pouvoir pour se recycler avec les mêmes pratiques et mécanismes et les mêmes visages responsables de la crise actuelle ».

Ces deux formations politiques, membres du Pacte pour une alternative démocratique (PAD) — regroupant le Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD), le parti des travailleurs (PT) et le Mouvement démocratique et social (MDS) ainsi que plusieurs personnalités politiques —  sont régulièrement accusées de menacer la stabilité du pays par leur soutien aux manifestations du Hirak et leur rejet du processus électoral.

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Le PAD s’estime victime d’ »un règlement de compte lié aux positions politiques des partis le composant ». Est-ce « une remise en cause du multipartisme et (de) l’ensemble des acquis démocratiques d’octobre 1988 ? », s’interroge de son côté la secrétaire générale du PT, Louisa Hanoune, qui dénonce « une tentative de putsch » contre l’actuelle direction de son parti « en vue de le transformer en une machine électorale » en contradiction avec « ses idéaux et principes ».

Le Front des forces socialistes (FFS), qui a pourtant participé en février à une rencontre avec le président Tebboune, contrairement aux formations politiques composant le PAD, plaide aussi en faveur du boycott et de « l’ouverture d’un dialogue sans exclusive pour convenir d’un programme politique, économique et social consensuel, avec un calendrier et un contrôle d’exécution, répondant aux revendications populaires ».

Le régime électoral des peines allant jusqu’à 20 ans de prison pour, notamment, atteinte au déroulement du scrutin

Mais il est presque impossible de sortir du cadre étroit des communiqués et de mener sur le terrain une campagne contre le scrutin législatif sans tomber sous le  coup de la loi organique sur le régime électoral. Ce dernier prévoit, depuis son amendement en janvier, des peines allant jusqu’à 20 ans de prison pour atteinte au déroulement du scrutin, troubles aux opérations de vote et acte de destruction ou d’enlèvement d’urnes.

« Nous continuons nos déplacements sur le terrain pour maintenir le contact avec la base mais il est difficile, dans le contexte actuel caractérisé par de lourdes pressions sur le parti, de mener une campagne de boycott », confie un cadre du PT.

« Votez pour moi, plaisir garanti »

À la veille de l’entame de la campagne électorale qui prendra fin le 9 juin, la pression s’est accentuée sur les partis politiques, les étudiants, les journalistes, les avocats, les professeurs d’université, et même les simples manifestants. Ces élections anticipées, qui auraient dû se tenir en 2022, apparaissent dès lors comme une tentative du régime de mater l’opposition et d’en finir avec le Hirak. Le président du RCD, Mohcine Bellabas, a ainsi été interpellé le 14 mai alors qu’il s’apprêtait à rejoindre la marche du Hirak au centre d’Alger.

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Le secrétaire national chargé de la communication du RCD, Athmane Azzouz a été arrêté en même temps que lui afin d’être interrogé sur les « relations présumées entre le RCD et les grandes puissances étrangères et organisations internationales.(…) Ce sont des pratiques courantes de la police politique que [le parti] dénonce », écrit le président du parti dans une déclaration publiée sur son compte Facebook.

Dérogeant à ses habitudes, le gouvernement n’a pas lancé, cette fois-ci, une campagne de lutte contre l’abstention, convaincu de son inéluctabilité. L’enjeu est d’obtenir une Assemblée nationale majoritairement composée de députés indépendants, de manière à éviter au président Tebboune une majorité « encombrante » pour le gouvernement. « Qu’elle soit issue des partis islamistes ou de ceux qui composaient l’alliance du président déchu Bouteflika », précise un ancien ministre.

Certains anciens cadres du FLN ou du RND ont trouvé « la planque parfaite » au sein de ces listes indépendantes

Près de 1 500 listes, dont plus de la moitié s’affichent comme indépendantes, sont en lice pour le prochain scrutin, selon l’autorité nationale indépendante des élections (ANIE). Ce n’est donc pas un hasard si les amendements de la loi électorale donnent des avantages aux candidats indépendants en matière financière (aide de 300 000 dinars) et logistiques, comme l’accès gratuit aux salles pour la campagne électorale.

Certains anciens cadres du Front de libération national (FLN) ou du Rassemblement national démocratique (RND) ont trouvé « la planque parfaite » au sein de ces listes indépendantes pour échapper au « filtre des autorités » et « leurrer » les votants, ironise cet ancien ministre.

À défaut de campagne sur le terrain pour le boycott, la contestation gagne les réseaux sociaux. Comme souvent, l’humour permet de distiller des messages politiques pour contourner les interdictions de s’exprimer dans les espaces publics « Votez pour moi, ca ne va peut-être pas changer votre vie, mais ça changera la mienne » ou « Votez pour moi, plaisir garanti », peut-on ainsi lire sur les affiches de candidats indépendants, dont les messages initiaux ont été détournés.