Une nuit de violences et de terreur pendant laquelle elles ont cru ne jamais sortir vivantes. Dans la nuit du lundi au mardi 17 mai, neuf jeunes enseignantes, dont l’une est mère d’un enfant de deux ans, ont subi des actes de violences alors qu’elles dormaient dans le logement de fonction d’une école de Bordj Badji Mokhtar, une commune située à la frontière du Mali, à 2200 kilomètres au sud d’Alger.
Aussitôt rendue publique, cette agression est relayée sur les réseaux sociaux dont l’effet amplificateur provoque l’indignation de l’opinion. Procès sans appel, châtiments exemplaires allant même jusqu’à la peine capitale, les demandes pour que justice soit faite pour ces femmes témoignent de la colère qui saisit bon nombre de leurs compatriotes.
Aussitôt rendue publique, cette agression est relayée sur les réseaux sociaux dont l’effet amplificateur provoque l’indignation de l’opinion
Les répliques sismiques de ce drame à Bordj Badji Mokhtar ravivent le souvenir d’une autre tragédie aussi barbare dont sont victimes, en juillet 2001, une trentaine de femmes dans un bidonville de Hassi Messaoud, à 850 km au sud d’Alger.
Précédents
À l’époque, ces femmes, d’extraction pauvre, ont été battues, torturées et violées par un groupe d’assaillants fanatisés par les prêches d’un imam, qui a dressé d’elles le portrait de dévergondées impies, bonnes à être passées sous la lame d’un couteau. Certaines des suppliciées ont d’ailleurs été laissées pour mortes dans cette favela de Hassi Messaoud.
En 2004, trois ans après ce déchainement de violences dont l’onde de choc s’est propagée jusqu’en Europe, trois de leurs agresseurs sont condamnés à des peines allant de trois à huit ans de prison tandis que vingt-cinq autres membres de cet escadron punitif sont condamnés par contumace.
Le choc provoqué par l’agression de ces neuf enseignantes de Bordj fait réagir la justice. Le 19 mai, le parquet d’Adrar, à 950 km au nord de Bordj Badji Mokhtar, annonce l’ouverture d’une enquête ainsi que l’arrestation de deux auteurs présumés de ces violences.
Evacuées par avion spécial, les neuf enseignantes ont été hospitalisées à Adrar dans une aile à l’écart des autres patients. Deux psychologues sont dépêchés à leurs chevets et un médecin légiste a pu effectuer les premières consultations. Une de leur collègues , qui a pu leur rendre visite, évoque des victimes sous le choc, dans un état de sidération, profondément traumatisées.
Insécurité
« Elles sont bien traitées par le personnel médical, mais restent quasiment muettes sur les circonstances du drame, confie-t-elle à Jeune Afrique. Les médecins nous interdisent d’évoquer avec elles les agressions à caractère sexuel qu’elles ont vraisemblablement subies cette nuit-là. » Une des deux psychologues présentent à l’hôpital d’Adrar estime que ces victimes ont besoin de temps, de sérénité et d’écoute avant de pouvoir mettre des mots sur leurs maux.
Une de leurs collègues, qui a pu leur rendre visite, évoque des victimes sous le choc, dans un état de sidération
Que s’est-il donc passé durant cette nuit de terreur ? Toutes originaires d’Adrar, les neuf enseignantes sont âgées entre 25 et 30 ans. De conditions très modestes, six sont célibataires et trois autres mariées. À neuf, elles s’entassent dans un logement de fonction de 90 mètres carrées, avec trois chambres sans climatisation, situé à l’intérieur de leur école. Les nuits où les températures avoisinent 50 degrés, comme il arrive souvent dans cette région de l’extrême Sahara, elles dorment dans la cour à la belle étoile, les matelas étalés par terre.
Depuis plusieurs semaines, ces enseignantes endurent des agressions verbales et physiques ainsi que des menaces de la part d’individus dont il est difficile, à ce stade, de cerner les motivations. Leur résidence a fait l’objet de cambriolages et d’actes de vandalisme, à telle enseigne qu’elles ont fini par protester auprès de leur hiérarchie sans que celle-ci ne réagisse.
Le climat de stress dans lequel ces enseignantes vivent et travaillent est d’autant plus pesant que divers témoignages font état de l’absence de sécurité autour de cette école. Dans les douze écoles que compte la commune de Bordj Badji Mokhtar, on ne dénombre pas un seul gardien. Fatalement, cette insécurité est annonciatrice de ce drame.
Cette nuit du lundi 17 mai donc, les neuf enseignantes dormaient dans leur logement lorsqu’un groupe d’assaillants, âgés entre 25 et 50 ans, fait irruption chez elles avec des couteaux et des sabres. Certains ont le visage dissimulé à l’aide d’un chèche, ce foulard que les hommes du désert portent autour du cou pour se protéger du sable et de la poussière.
Nuit d’horreur
Selon le témoignage d’un syndicaliste à Bordj Badji Mokhtar, quatre autres membres de cet escadron faisaient le guet à l’extérieur de l’enceinte scolaire. A l’intérieur de l’appartement, les supplices commencent.
Regroupées dans le salon, les victimes sont insultées et rouées de coups. Deux femmes qui tentent de résister sont tailladées aux bras et au visage. Un assaillant arrache alors le bébé des bras de sa mère avant de mettre un couteau sous la gorge du nourrisson. Menaçant d’égorger l’enfant, il ordonne aux femmes de passer une par une dans une chambre où se trouvent ses trois complices
Le supplice des malheureuses dure deux heures interminables
Le supplice des malheureuses dure deux heures interminables. Entre deux heures et quatre heures du matin, les agresseurs prennent tout leur temps pour accomplir leur forfait. Avant de quitter les lieux, ils dérobent les ordinateurs et les téléphones de leurs victimes ainsi que de l’argent et disparaissent dans la nature, à l’aube naissante.
Ces femmes ont-elles subi des attouchements sexuels, des viols ou autres sévices physiques dans cette chambre ? Elles n’osent en parler. Pour les rares personnes auxquelles elles se sont confiées avec peu de mots, le doute n’est pas permis : des choses innommables se sont passées dans cet appartement. Saura-t-on un jour précisément quoi ? L’omerta est d’autant plus pesante dans ces régions où le poids des tabous et de la honte peut être écrasant.
Dans la soirée du mardi 18 mai, les neuf victimes et le bébé sont évacués vers un hôpital d’Adrar par avion spécial à bord duquel prennent place d’autres enseignantes. Le lendemain, une nouvelle desserte aérienne est organisée pour exfiltrer d’autres enseignantes qui ne veulent plus continuer à exercer à Bordj Badji Mokhtar de peur de vivre la même nuit de terreur et d’effroi que leurs collègues.
Dans une conférence de presse tenue jeudi 20 mai, le procureur général près la cour d’Adrar évoque un cas de viol ainsi que le vol d’une somme d’argent. Le Code pénal algérien prévoit des peines de cinq à dix ans de prison pour viol. Si le coupable a été aidé dans son crime par une ou plusieurs personnes, il risque de dix à vingt ans de prison. Dans le cas d’un viol en réunion la réclusion à perpétuité est requise.