Politique

Tiken Jah Fakoly : « Le jour où j’ai été interdit de séjour au Sénégal »

En 2007, le reggaeman sommait Karim Wade de s’expliquer sur l’utilisation de fonds publics et essuyait les foudres de son président de père. Un épisode qui contribua à bâtir la notoriété du chanteur hors de sa Côte d’Ivoire natale. Témoignage.

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Mis à jour le 26 mai 2021 à 17:15

Tiken Jah Fakoly, le 3 mai 2021, à Clichy, vainqueur des Victoires de la musique en 2003 dans la catégorie reggae. © François Grivelet pour JA

 J’étais au Sénégal en 2007. Je jouais à l’Institut français de Dakar dans le cadre d’un festival de rap. Nous étions en pleine polémique sur Karim Wade, le fils du président Abdoulaye Wade. Il avait été convoqué par l’Assemblée nationale pour s’expliquer sur des travaux qu’il avait faits à Dakar pour le sommet de l’Organisation de la coopération islamique (OCI), qui devait se tenir l’année suivante, mais il refusait de s’y rendre. 

Comme Karim Wade était ministre et qu’il gérait des fonds publics, il me semblait important qu’il rende des comptes. J’ai donc prononcé un petit discours sur scène et j’ai dit qu’il devait s’expliquer devant les députés. Puis j’ai ajouté que si Abdoulaye Wade ne voulait pas que son fils aille à l’Assemblée nationale, qui était à l’époque dirigée par Macky Sall, il aurait fallu le laisser dans son berceau, à la maison, et ne pas le mêler à la politique. J’ai enchainé avec mon titre Quitte le pouvoir et le concert s’est terminé sans encombre.

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Rencontre avec Abdoulaye Wade

Ce discours aurait pu rester dans les travées de l’Institut français mais le lendemain, alors que je me préparais à monter dans l’avion pour quitter Dakar, un policier est venu me chercher après le passage des formalités. Il a pris ma carte d’embarquement et mon passeport. Il venait pour m’interpeller, mais il a reçu un coup de fil lui disant qu’il fallait finalement me laisser partir. Je suis donc rentré à Abidjan. Le soir, au journal télévisé de la RTS, il a été annoncé que j’étais désormais interdit de séjour au Sénégal. Cela a duré trois ans.

Wade faisait mine de ne pas être au courant de cette affaire, mais c’était impossible qu’il l’ignore

L’interdiction a finalement été levée en 2010, et j’ai été invité pour un concert par un promoteur de spectacle. Quand je suis arrivé à Dakar, il avait organisé une rencontre avec Abdoulaye Wade. Le président m’a reçu au palais en présence de sa fille Sindiély et de l’un de ses ministres. Sa fille lui a dit que j’avais été interdit de séjour au Sénégal pendant trois ans et que j’étais de retour pour un concert.

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« Mais pourquoi a-t-il été interdit de séjour ?, a alors demandé Wade. Le Sénégal est le pays de la Téranga, tous les Africains sont chez eux ici ! » Il faisait mine de ne pas être au courant de cette affaire, mais c’était impossible qu’il l’ignore. Je ne le croyais pas et j’ai été surpris par sa réaction. Je lui ai rappelé que cette histoire avait fait beaucoup de bruit sur le plan médiatique et que paradoxalement, elle avait contribué à me faire connaitre au Sénégal. Il y avait eu des émissions en wolof à ce sujet sur toutes les radios et télévisions du pays. Wade a maintenu qu’il n’était pas au courant, mais nous nous sommes quittés en bons termes. Au final, alors que tout était prêt pour faire de ce concert un moment fort après trois années d’absence, nous avons été contraints d’annuler à la dernière minute… à cause d’une grosse pluie !