Politique

Algérie : pourquoi Ferhat Mehenni, chef du MAK, a été entendu par la police française

Le leader du Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie a été entendu le 18 mai par la police française dans le cadre d’une enquête pour blanchiment en bande organisée en relation avec les paris sportifs. Le même jour, Alger a décidé de classer le mouvement séparatiste comme organisation terroriste.

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Mis à jour le 19 mai 2021 à 17:53

Ferhat Mehenni, président du mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie. © Samir Maouche/Hans Lucas

Ferhat Mehenni, ancien chanteur et leader du mouvement séparatiste MAK (Mouvement pour l’autodétermination de la Kabylie), qui prône l’indépendance de cette région d’Algérie, a été placé mardi en garde-à-vue au commissariat de Clichy, en banlieue parisienne.

Il a été entendu pendant plusieurs heures au motif de « blanchiment en bande organisée en relation avec les paris sportifs » dans le cadre d’une enquête sur un trafic présumé de tickets de PMU. Huit personnes ont été également entendues au même moment dans le cadre de cette enquête. La garde-à-vue de Ferhat Mehenni, qui a été invité par le vice-préfet à se rendre au commissariat, a été levée dans la soirée sans que des poursuites ne soient engagées contre lui.

« Dossier vide »

De quoi s’agit-il exactement ? Entre mars et avril dernier, les services de sécurité ont démantelé un réseau spécialisé dans le trafic de paris sportif pour un montant total de 450 000 euros. Dans le cadre de cette enquête, le nom de Ferhat Mehenni ainsi que les cordonnées de sa carte bancaire sont apparus. Son audition portait donc sur son implication présumée dans ce dossier et sur des présumés paiements qu’il aurait perçus dans le cadre de ce trafic.

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L’avocat de Mehenni, Gérald Pandelon, précise que son client est plutôt une victime dans cette affaire dès lors que sa carte bancaire lui a été subtilisée pour un usage frauduleux. Devant les policiers, le chef du MAK a indiqué connaitre certains prévenus, placés en garde-à-vue comme lui, avec lesquels il a eu à prendre un café dans le bistrot en lien avec le trafic présumé. « Je n’ai jamais vu un dossier aussi vide, plaide l’avocat. La preuve est que la garde-à-vue n’a pas été prolongée et qu’il en est ressorti libre sans aucune inculpation. »

La garde-à-vue de Ferhat Mehenni a été levée dans la soirée sans que des poursuites ne soient engagées contre lui

Lors d’un point de presse organisé à Paris le 19 mai, Ferhat Mehenni indique être totalement étranger à cette affaire et dit se réserver le droit de déposer plainte pour usage frauduleux de sa carte bancaire. « Je ne peux pas ne pas faire le lien entre l’ensemble des faits qui me concernent ces derniers temps et cette affaire pour laquelle j’ai été interrogé », affirme-t-il. Le chef du MAK a par ailleurs récusé les accusations des autorités algériennes qui ont décidé de classer son mouvement comme organisation terroriste le jour même de sa garde à vue.

Le jour même de l’audition de Ferhat Mehenni, le Haut conseil de sécurité (HCS), sous la présidence de Abdelmadjid Tebboune, a ainsi décidé de classer le MAK ainsi que le mouvement Rachad (dirigée par d’anciens responsables du Front islamique du Salut ) comme organisations terroristes. Le HCS s’est « penché sur les actes hostiles et subversifs commis par les mouvements dits (Rachad) et (MAK) pour déstabiliser le pays et attenter à sa sécurité, et décidé, dans ce cadre, de les classer sur la liste des organisations terroristes et de les traiter comme telles », indique le communiqué de la présidence.

Terrorisme

Réfugié en France depuis deux décennies, Ferhat Mehenni a fondé en 2002 le MAK dans la foulée du printemps noir en Kabylie, qui a fait 126 victimes entre 2001 et 2003.  Le mouvement a d’abord prôné l’autonomie de la Kabylie avant de se transformer en une organisation séparatiste. En juin 2010, Ferhat Mehenni a mis en place un gouvernement kabyle provisoire en exil.

Ancien chanteur engagé, militant de la cause berbère depuis les années 1970, Ferhat Mehenni était un membre actif du parti laïc d’opposition RCD (Rassemblement pour la Culture et la Démocratie), fondée en 1989. En raison de divergences politiques avec Saïd Sadi, fondateur du RCD, il quitte cette formation au milieu des années 1995 pour poursuivre sa carrière de chanteur et de militant indépendantiste. En 2006, un mandat d’arrêt international avait été lancé contre lui par la justice algérienne.

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Présents principalement en Kabylie, les militants du MAK organisent chaque année des marches et des manifestations pour commémorer le printemps berbère de 1980 ou encore la révolte du printemps noir de 2001. Régulièrement, ils font l’objet d’interpellations, de menaces et d’intimidations de la part des services de sécurité. A l’étranger, ces militants sont particulièrement actifs en Europe et au Canada.

Les autorités algériennes ont changé d’attitude vis-à-vis du MAK, dont les activités ont été jusque-là tolérées

Depuis la reprise des manifestations de rue en février 2021, les autorités algériennes ont changé d’attitude vis-à-vis du MAK dont les activités ont été jusque-là tolérées. Désormais ce mouvement est accusé de terrorisme, de tentative de déstabilisation et de complot contre la sureté de l’Etat. Son leader est par ailleurs accusé d’être financé par le Maroc ou encore par Israël.

En avril dernier, le ministère algérien de la Défense annonçait le démantèlement d’une cellule de militants séparatistes du MAK qui projetaient, selon le MDN, des attentats contre les marches du mouvement de protestation populaire du Hirak.

Liens avec Israël

La veille de sa convocation, la télévision algérienne a diffusé un reportage accusant de vouloir semer le chaos et la destruction en Algérie. L’émission est également revenue sur les supposés liens politiques et financiers entre Ferhat Mehenni, le Maroc et Israël.

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De son côté, Ferhat, qui qualifie le pouvoir algérien de régime « colonial », ne cache pas ses liens avec Israël, où il s’est rendu en mai 2012. Ce voyage de cinq jours a été organisé par Jacques Kupfer, en charge des relations extérieures du Likoud – le parti de Benyamin Netanyahou –, et réputé proche de l’extrême-droite israélienne. Depuis son installation en France, Ferhat Mehenni a obtenu l’asile politique et renoncé à la nationalité algérienne. Il affirme toutefois avoir renoncé à ce statut de réfugié et à se contenter de sa « nationalité kabyle ».