Politique

Mali : jusqu’où ira Choguel Maïga, figure centrale de l’opposition ?

Figure controversée, ancien ministre devenu le fer de lance de l’opposition aux autorités de la transition après avoir combattu Ibrahim Boubacar Keïta, Choguel Maïga, l’un des leaders du M5-RFP, ne laisse personne indifférent. Portrait d’un trublion devenu l’un des acteurs centraux de la scène politique malienne.

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Mis à jour le 24 mai 2021 à 17:25

Choguel Maïga, Premier ministre du Mali, en août 2020. © ANNIE RISEMBERG/AFP

Toujours paré d’un large boubou, son kufi sur la tête, Choguel Kokalla Maïga a le sourire rare, ces derniers mois. S’il apparaît régulièrement sur les estrades, dans les manifestations ou devant les caméras de télévision, c’est toujours avec la mine grave et, dans le regard, une forme de colère rentrée, une sorte de défiance, même. Posture de circonstance ou trait de caractère ? « En public, il est froid, et très méfiant vis-à-vis de ses interlocuteurs, reconnaît l’un de ses proches. C’est une réserve qu’il a sans doute développée au cours de ses années passées en ex-URSS. »

À 19 ans, celui qui est aujourd’hui une figure incontournable de l’opposition malienne avait en effet pris le chemin de la Biélorussie d’abord, puis de Moscou. Dix ans d’une « aventure russe » pour l’étudiant malien, dont il ressortira ingénieur, diplômé de l’Institut des télécommunications de Moscou.

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Ce n’est qu’à son retour à Bamako, à la fin des années 1980, que Choguel Maïga devient « docteur » Choguel Maïga, après avoir soutenu sa thèse sur le désenclavement du nord du Mali grâce aux réseaux hertziens et satellitaires. Ses premiers pas dans l’arène politique, Maïga les fera en tant que soutien déclaré à Moussa Traoré – il fonde le Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR) en 1997 –, avant de devenir plusieurs fois ministre, de l’Industrie et du Commerce sous Amadou Toumani Touré (ATT), puis de l’Économie numérique et de la Communication sous IBK.

Face aux autorités de transition

Candidat malheureux à la présidentielle de 2002, et plus récemment à celle de 2018, il est revenu sur le devant de la scène de manière tonitruante, à la faveur des manifestations hostiles à Ibrahim Boubacar Keïta (IBK). En quelques mois, Maïga s’est fait le chantre infatigable de la contestation, y compris après le coup d’État militaire du 18 août 2020 et la mise en place d’une transition dont il fait une virulente critique en toute occasion.

Face à ses rivaux, Choguel Maïga se veut « sans concession ». Quand Bah N’Daw, le président de la transition, et le colonel Assimi Goïta, son vice-président, décident de procéder à un remaniement ministériel, reconduisant le Premier ministre Moctar Ouane dans ses fonctions et lui donnant la mission de constituer un gouvernement plus « inclusif », Choguel Maïga donne de la voix pour prévenir que cette main tendue des autorités de la transition n’est pas à la hauteur des enjeux et des revendications de la société civile.

Des manifestants anti-IBK à Bamako le 5 juin 2020. © Baba Ahmed/AP/SIPA

Des manifestants anti-IBK à Bamako le 5 juin 2020. © Baba Ahmed/AP/SIPA

Choguel et quelques politiciens sont arrivés et ont pris en otage le mouvement à des fins politiques

« Pour le M5-RFP, ces mesures énoncées resteront lettre morte aussi longtemps que la réalité du pouvoir sera détenue par la junte militaire », a-t-il martelé. Selon lui, quel que soit le visage du futur gouvernement, le problème d’un Conseil national de transition (CNT) « illégitime et illégal, restera entier jusqu’à sa dissolution ». Dès la mise en place de l’organe législatif de la transition, le M5-RFP n’a en effet pas eu de mots assez durs pour en dénoncer les prérogatives et la composition.

Ses prises de position tranchées lui valent de nombreuses critiques. Y compris au sein même du M5-RFP, hétéroclite coalition de circonstance formée dans l’opposition à IBK, qui est régulièrement déchirée par des tiraillements internes. « Quand nous avons créé le mouvement, nous étions obligés de faire alliance avec de grandes figures politiques. Notre unique but était d’atteindre une masse critique, d’avoir le poids suffisant pour renverser IBK, rappelle Clément Dembélé, président de la Plateforme contre la corruption et le chômage au Mali (PCC-Mali). Choguel et quelques politiciens sont arrivés et ont pris en otage le mouvement à des fins politiques. Cela a fini par faire éclater le M5. »

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Ceux que l’on considère comme « l’aile gauche » du M5-RFP reprochent à Choguel Maïga de s’accaparer le combat pour régler ses comptes personnels avec IBK. À travers le M5, l’ancien porte-parole du gouvernement voulait-il prendre sa revanche contre un président qui ne l’a pas reconduit à son poste lors du remaniement de 2016 ? Un ancien ministre d’IBK en est persuadé : « Entre Choguel et IBK, les relations s’étaient fortement dégradées. Si la rupture a été officialisée lors du remaniement, officieusement, il a en fait été débarqué parce qu’il y avait de nombreux soupçons de corruption au sein de l’Autorité malienne de régulation des télécommunications et postes [AMRTP] », affirme notre source.

L’un de ses proches juge à l’inverse qu’il a été victime d’une cabale et a payé la dégradation de ses relations avec IBK, mais aussi la défiance qu’éprouvait à son égard le Premier ministre d’alors, Modibo Keïta. « Dès sa sortie du gouvernement, des services de contrôle ont été envoyés dans les locaux de l’AMRTP, où Choguel Maïga a été directeur général. Toute une machine politique s’est mise en branle pour le faire tomber », glisse notre source.

Ce dernier a très mal vécu ces accusations. « Il se laissait aller, ne se rasait plus », rapporte notre source. Pour sortir de l’ornière, Maïga prend la plume. Il se lance dans la rédaction des Rébellions au nord du Mali : des origines à nos jours, qu’il cosigne avec l’universitaire Issiaka Ahmadou Singaré et qui paraîtra aux éditions Edis en 2016. Il y trace une ligne devenue depuis la colonne vertébrale de son combat : la remise en question de l’accord d’Alger de 2015.

Rivalité de longue date avec IBK

Choguel Maïga, leader du Front pour © Emmanuel Daou Bakary pour JA

Choguel Maïga, leader du Front pour © Emmanuel Daou Bakary pour JA

Si 2016 peut être considérée comme l’année du point de rupture entre Choguel Maïga et IBK, les premières rivalités entre ces deux anciens compagnons politiques ont commencé à se faire jour dès le début des années 2000. En 2002 plus précisément, lors du premier tour de l’élection présidentielle contestée à l’issue duquel IBK est arrivé troisième, talonnant de près Soumaïla Cissé. Tous les candidats – Maïga compris – avaient alors crié à la fraude, réclamant de rejouer le scrutin. Tandis que Choguel Maïga faisait alors le choix de recourir à la « stratégie de la rue », IBK avait surpris tout le monde après plusieurs jours de tergiversations en acceptant de reconnaître sa défaite, allant même jusqu’à appeler à voter pour ATT au second tour.

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Deux mois plus tard, 17 partis, dont ceux d’IBK et de Choguel, avaient finalement décidé de mettre leurs rancœurs de côté et de constituer une alliance de circonstance, Espoir 2002, en vue des législatives, considérées par l’opposition comme le « second tour de la présidentielle ». Mais là encore, alors que l’opposition avait remis en question les résultats dans un premier temps, IBK, tout en dénonçant des « irrégularités », avait refusé de recourir à la rue.

Pour Choguel et certains de ses alliés d’alors, IBK a en réalité « abdiqué ». Et l’élection d’IBK à la présidence de l’Assemblée nationale quelques semaines plus tard n’a fait qu’alimenter les soupçons d’arrangements politiciens. « Ils ont estimé à l’époque qu’IBK avait sacrifié leur lutte au profit de son poste », confie le cadre de l’une des formations membres d’Espoir 2002.

Cependant, fort du bon score aux législatives de la coalition, Choguel Maïga obtient une fonction au sein du bureau de l’Assemblée nationale, où il devient questeur. Une manière de « garder un œil sur IBK », veut croire un proche. Avec Mountaga Tall, qui deviendra l’un de ses principaux alliés au sein du M5, ils se rapprochent  de l’Adema-PASJ dans un objectif clair : affaiblir Ibrahim Boubacar Keïta. Le Rassemblement pour le Mali (RPM) perd tous ses postes au sein du bureau de l’Assemblée, et IBK, sur son perchoir, se retrouve isolé, et confronté à un climat pour le moins hostile à son égard.

Un personnage clivant

Vieux routier de la politique, adepte des « coups » et renversements d’alliances, Choguel Maïga, du haut de ses 63 ans, est aujourd’hui tout sauf un « sage ». Le natif de Tabango, dans la région de Gao, « est un personnage clivant », selon l’euphémisme d’un ancien ministre pourtant proche de lui. C’est même sa marque de fabrique depuis que, au lendemain du coup d’État militaire de 1991 contre Moussa Traoré, Choguel Maïga décide de défendre l’héritage de celui que beaucoup de Maliens voulaient classer dans le registre des mauvais souvenirs à oublier.

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« Choguel était perçu comme un fou. Au moment où les Maliens voulaient faire table rase du passé, en finir avec les années Traoré, il avait lui l’ambition de le faire renaître de ses cendres », se souvient l’un de ses compagnons. Sans surprise, « cela lui a valu de nombreux ennemis ».

Il poussera le mimétisme avec celui qui avait déposé Modibo Keïta, le père de l’indépendance du Mali, jusqu’à faire du lion l’emblème du Mouvement patriotique pour le renouveau (MPR), le parti qu’il porte sur les fonts baptismaux. Ce même lion qui ornait auparavant les affiches de l’Union démocratique du peuple malien (UDPM), le parti unique sous Moussa Traoré.

Opposées à ce qu’il reprenne cet emblématique félin pour symbole, les autorités lui refuseront le récépissé reconnaissant l’existence légale du parti. Choguel Maïga ne se démontera pas et fera du tigre l’animal fétiche de sa formation.

Mais Choguel Maïga a aussi prouvé à de nombreuses reprises sa capacité à composer avec ses adversaires d’hier. Ce fut le cas avec Mountaga Tall, fervent opposant à Moussa Traoré avec lequel il trouvera cependant un terrain d’entente. Le cas aussi avec ATT, et même, plus tard, avec IBK. « Choguel n’appartient à aucune école de pensée, il n’a pas d’identité politique propre », l’accuse Clément Dembélé. Pour lui, Maïga est un « opportuniste », qui « travaille avec la majorité présidentielle ou avec l’opposition en fonction de ses intérêts personnels ».

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Dernier exemple de cette capacité d’adaptation, son alliance de fait avec l’imam Mahmoud Dicko. S’il est considéré comme proche de l’ancienne « autorité morale » du M5, il ne bénéficierait que d’une confiance mesurée de la part de Dicko. « L’imam le considère comme un homme politique intelligent, mais il sait que Choguel, tout en essayant de préserver leurs bonnes relations, serre la main de ses détracteurs », concède un proche du patron du M5-RFP, qui rappelle que, dans le marigot politique malien, l’imam Dicko, lui aussi, est loin d’être tombé de la dernière pluie. « Entre les deux, c’est un bal masqué. Chacun joue sa partition. »

Alors que Bamako bruisse de rumeurs sur les tractations en cours pour former un futur gouvernement « inclusif », Choguel Maïga peut-il créer la surprise en intégrant l’équipe de Moctar Ouane ? Et, si oui, à quelle place ? « Impossible », selon un membre de son entourage… « À moins qu’on lui propose la primature. »