Tout Institut d’études politiques devrait inscrire la République démocratique du Congo contemporaine à son programme éducatif, tant l’histoire postcoloniale congolaise semble contenir tous les cas de figure historiques. Dans ce concentré de politique africaine, on trouve le culte d’un martyr panafricain – Lumumba comme le Burkinabè Sankara –, l’épisode autocratique fantasque – Mobutu comme le Centrafricain Bokassa –, la succession filiale d’un père assassiné – Kabila comme le Tchadien Déby Itno –, l’accession tardive à la présidence par les urnes – Tshisekedi comme le Guinéen Condé –, les ingérences transfrontalières – ougandaises ou rwandaises en RDC comme érythréennes en Éthiopie –, ou encore la gestion inégalitaire d’un trop vaste territoire – l’est de la RDC comme le nord du Mali.
L’accès à une sérénité politique souveraine et efficiente n’est jamais un long fleuve tranquille. Comme l’horizon, la stabilité semble s’éloigner à mesure qu’on s’en approche, y compris quand les clefs du pouvoir sont remises à un chef d’État au nom d’une expression populaire formalisée par des élections validées.
Le « Tshisekedi nouveau »
Ce n’est que deux ans après l’accession de Félix Tshisekedi à la magistrature suprême que le « fils d’Étienne » semble émancipé du « fils de Laurent-Désiré ». L’inattendue Union sacrée proclamée et le gouvernement de Sama Lukonde Kyenge enfin investi, les Congolais longtemps sceptiques peuvent-ils croire aux fruits économiques prochains du « scandale géologique » congolais et à une paix inespérée sur l’ensemble du territoire ?
Comme l’horizon, la stabilité semble s’éloigner à mesure qu’on s’en approche
Même échaudé par la sempiternelle sarabande d’élus à l’idéologie nomade, le citoyen aura à juger sur pièces, lors d’élections prochaines qui s’insinuent déjà dans les esprits. Le régime actuel aborde la deuxième moitié d’un mandat qui semblait patiner sur les jeux d’appareils politiciens. Le quinquennat de « Fatshi » va-t-il enfin commencer « pour de vrai » ? Volontariste et radical, le chef de l’État a choisi le test qui permettra d’évaluer le « Tshisekedi nouveau » : la sécurité dans l’est du pays, l’une de ses promesses de campagne devenue arlésienne, au fil des mois.
Rancœurs idéologiques et appétits miniers
Depuis le 6 mai 2021, un état de siège décidé par ordonnance présidentielle permet aux militaires et à la police nationale congolaise de gérer les provinces du Nord-Kivu et de l’Ituri, véritables zones de non-droits où les autorités civiles semblaient impuissantes. Le Kivu n’a jamais retrouvé de stabilité durable depuis les deux guerres de 1996-1997 et de 1998-2003. Après une accalmie d’une quinzaine d’années, l’Ituri, elle, basculait de nouveau dans la violence fin 2017. Dans ce nid d’une centaine de groupes armés – 122 d’après un groupe d’experts du Baromètre sécuritaire du Kivu (KST) –, essaiment notamment les Forces démocratiques alliées (FDA), affiliées à l’État islamique, et les Forces démocratiques de libération du Rwanda (FDLR), réfugiées dans les forêts. Carburant de ce programme tragique : rancœurs idéologiques et appétit minier.
Quelques jours après le début de l’état de siège dans la région, l’opinion s’émouvait de nouvelles violences, notamment les meurtres d’une caporale des Casques bleus de 28 ans, lors de l’attaque d’une base de l’ONU près de Beni, et d’un animateur d’une radio locale, journaliste âgé de 23 ans.
Poigne républicaine
Le chef de l’État est manifestement disposé à rendre des comptes rapidement, puisqu’il a prévu un état de siège d’une période de trente jours. Période qui s’achève déjà en ce début juin… Si le régime venait à s’enliser dans une reconduction de cet état de fait au parfum d’état d’exception ou s’il venait à faillir dans sa politique de poigne républicaine, il pourrait compter sur un aiguillon aussi persévérant qu’indépendant : le docteur Denis Mukwege. Enfant du Kivu, le prix Nobel de la paix n’a de cesse de réclamer la pacification de l’Est de la RDC et la poursuite des auteurs de violations des droits de l’homme.