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Investi le 26 avril, plus de deux mois après la nomination du Premier ministre Sama Lukonde Kyenge, le gouvernement de l’Union sacrée est enfin en fonction. Journaliste de formation, député national et désormais, ministre de la Communication et des Médias, porte–parole du gouvernement, Patrick Muyaya Katembwe, 38 ans, revient sur les défis que cette nouvelle équipe « des guerriers » entend relever d’ici à la fin du quinquennat, en 2023.
Jeune Afrique : Le gouvernement a présenté un budget de 36 milliards de dollars d’ici à 2023. Comment mobiliser un tel montant dans le contexte actuel ?
Patrick Muyaya : Ces 36 milliards doivent être compris comme une ambition. L’essentiel est que nous ayons la volonté de mobiliser toutes les ressources supplémentaires qui peuvent l’être pour les mettre au service du développement du pays, et que les efforts pour y parvenir soient fournis.
L’État étant contraint de réduire ses dépenses, un gouvernement de 57 membres, n’est-ce pas encore trop ?
Vous avez vu le temps qu’il a fallu pour le former… Il est important de rappeler que la coalition que nous avons constituée est la plus grande qui a jamais existé dans ce pays, avec une majorité de près 400 députés [l’informateur en a recensé 392 en début d’année, mais de nouvelles adhésions ont suivi]. Il fallait s’assurer de la représentativité de chacune des 26 provinces, de ménager un certain nombre de nécessités politiques et de choses indispensables à l’équilibre du pays. Mais la taille du gouvernement a tout de même été réduite de 15 %.
Mais restreindre le train de vie des institutions, c’est aussi voir où et comment serrer les vis pour être sûr que les ressources disponibles servent bien à gérer les problèmes sociaux. Le Premier ministre l’a dit dans son discours [de politique générale], il n’y aura de majoration ni de salaires ni d’avantages. La tendance sera à la baisse des dépenses.
Certains demandent la suppression d’institutions, telles que le Sénat et les assemblées provinciales…
Cela impliquerait de changer totalement la structure institutionnelle et la Constitution. Ce sont des mesures radicales que certains évoquent peut-être pour générer du buzz… Il y a cependant une réelle volonté politique de réduire le train de vie des institutions et les dépenses publiques. Et, surtout, d’améliorer la production et l’efficacité.
En revanche, concernant les assemblées provinciales, il y a un vrai débat. Le découpage territorial a changé. Nous sommes passés de 11 à 26 provinces [en 2015], il y a plus de 770 députés et 260 ministres provinciaux, et la plupart des provinces ne sont pas en mesure de produire de services et d’assurer la gestion de leurs compétences exclusives. C’est un problème qui demande réflexion.
On dit que la formation du gouvernement a été retardée par des divergences dans le partage des postes. Est-ce que cela ne risque pas de bloquer l’action de l’exécutif ?
Non ! J’ai un petit souci avec cette manière réductrice de décrire ce qui s’est passé comme un partage de gâteau. Pour nous, créer l’Union sacrée a été un combat. Quand on fait de la politique, on n’est pas dans l’humanitaire. Au-delà de la volonté de conquérir le pouvoir, l’ambition de départ est de réussir à mettre en œuvre des politiques et de gérer le pays. Lorsque vous avez constitué une coalition, vous n’allez pas reprocher à ses membres de dire qu’ils pensent, eux aussi, pouvoir être utiles au pays, à tel ou tel autre niveau.
Désormais, le gouvernement est celui de la République. Ceux qui ont choisi d’en être sont partis de positions A pour évoluer vers une position B, plus fédératrice, constituée autour d’agendas et de priorités connues, qu’on appelle l’Union sacrée de la nation. Vous avez vu Moïse Katumbi et Jean-Pierre Bemba venus soutenir le gouvernement après son investiture devant le Parlement, où nous avons vécu quelque chose d’inédit : 410 députés sur 412 présents ont validé sa composition. Et ce n’est pas un chèque en blanc !
Début mai, l’exécutif a décrété l’état de siège dans le Nord-Kivu et l’Ituri. Plusieurs observateurs s’inquiètent de ce que cette mesure donne trop de pouvoir aux militaires, dont certains sont accusés de contribuer à l’insécurité. Que leur répondez-vous ?
Vous ne pouvez pas partir de deux ou trois cas pour jeter l’opprobre sur 150 000 militaires. Dans l’armée comme dans tous les corps, il y a des dérapages, mais je m’insurge contre cette généralisation abusive qui voudrait faire croire que notre armée n’est composée que de violeurs et de gens qui ne respectent pas les droits de l’homme. Cela étant dit, il y a eu des interpellations, des rappels et des procès. Si, aujourd’hui, nous avons, par exemple, été reclassés sur la liste des pays qui peuvent collaborer avec le gouvernement américain en matière militaire, c’est que des efforts ont été faits.
Devant une situation d’insécurité qui perdure, qui plombe le développement, qui endeuille nos familles, qui empêche nos enfants d’aller à l’école dans la sérénité, qui engendre des massacres quotidiens, du terrorisme, du banditisme, etc., vous ne pouvez pas refuser à un État responsable de prendre une initiative comme celle-là – qui est par ailleurs prévue par la Constitution.
À deux ans et demi des prochains scrutins, les réformes relatives au processus électoral avancent-elles ?
Je suis du G13 [groupe des députés qui militent pour les réformes électorales] et c’est justement le débat autour du processus électoral – qui commençait dans la contestation – qui a conduit à l’avènement de l’Union sacrée. À l’époque, la démarche unilatérale ne permettait pas d’avoir la sérénité nécessaire pour aller vers un système électoral corrigé.
La première des réformes concerne la Ceni, le reste suivra
Désormais, le premier point est de restaurer la confiance entre les différents acteurs. Et c’est ce qui a été exprimé dès la création de l’Union sacrée : le président Mboso est allé voir les confessions religieuses, les discussions se sont engagées, le projet de loi Lutundula a été examiné, et on a enfin eu le débat sur le rapport de la Ceni [Commission électorale nationale indépendante], plus de deux ans après sa remise.
Auparavant, le processus était plombé par un manque de volonté politique, aujourd’hui, le désir de le faire avancer est claire. Le Premier ministre l’a dit sans ambages : le gouvernement va travailler pour que nous puissions tenir les prochains scrutins dans les délais, en trouvant un consensus sur les différentes questions. La première des réformes concerne la Ceni, le reste suivra.
Le chef de l’État a indiqué qu’il souhaitait que le Parlement examine de nouveau la question de la double nationalité…
C’est aussi une question qui requiert un consensus. Il y a une volonté politique claire de mettre fin à l’hypocrisie. Pour nous, c’est aussi important sur le plan économique, pour que tous les Congolais qui sont à l’extérieur soient en mesure de revenir au pays et de contribuer à son développement.