Tariq Ramadan : « Les Frères musulmans, le Hirak algérien, le PJD et moi » (2/2)

Printemps arabe, le Qatar, al-Sissi, Ennahdha, le PJD, Erdogan… Dans ce deuxième et dernier volet de l’interview donnée à JA, le professeur d’études islamiques décrypte, sans concessions, l’actualité des pays arabo-musulmans.

Tariq Ramadan est professeur d’études islamiques à l’université d’Oxford. © Vincent Fournier pour JA

Tariq Ramadan est professeur d’études islamiques à l’université d’Oxford. © Vincent Fournier pour JA

FADWA-ISLA_2024

Publié le 14 mai 2021 Lecture : 20 minutes.

Après avoir répondu, dans un premier volet, aux questions sur ses démêlés avec la justice, son slam ou encore l’anticolonisame, l’intellectuel suisse décrypte dans cette deuxième et dernière partie de l’interview donnée à Jeune Afrique l’actualité politique au Maghreb et au Moyen-Orient ces dernières années.

Du Hirak algérien à la cohabitation entre le PJD et le pouvoir au Maroc, en passant par les Frères musulmans en Égypte et le Qatar… le professeur d’études islamiques livre sans détours son analyse. Entretien.

Vous êtes le petit-fils de Hassan el-Banna, le fondateur des Frères musulmans. Quels sont, concrètement, vos liens avec cette confrérie ?

Si vous voulez tuer votre chien, dites qu’il a la rage. Si vous voulez tuer Tariq Ramadan, ne prenez pas en compte ses quarante années de travail sur le terrain, parlez de son héritage familial, dites que c’est le petit-fils de…, et l’affaire est entendue.

Je ne nie pas mon héritage, je revendique même d’être le petit-fils de Hassan el-Banna. C’est une figure historique, qui est décédée à l’âge de 42 ans, avec laquelle je partage certaines idées, mais avec laquelle je ne peux partager certains projets politiques, à contextualiser par ailleurs.

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Quand, avant d’être assassiné, il dit aux colons britanniques au pouvoir en Égypte : « Sortez de ce pays, vous n’êtes pas chez vous. Sinon, nous soulèverons le peuple », je dis : « chapeau », je ne peux qu’adhérer. Quand il crée deux mille écoles, dont la moitié destinées aux femmes, je dis « bravo ». Quand le cheikh d’al-Azhar, une institution qui s’est souvent compromise avec les dictateurs et les pouvoirs américain, britannique et français, déclare, en 1933, que la scolarisation des filles est contraire à l’islam et qu’el-Banna s’y oppose, puis continue à fonder des écoles pour filles, je redis : « bravo ».

Quant à son projet politique, la création d’un État islamique, j’ai déjà écrit là-dessus il y a trente ans. J’en ai questionné le fondement et critiqué les limites tout en prenant garde à définir clairement les noms et les appartenances : les Frères musulmans ne sont pas Daesh, dont les membres ne sont pas les salafi-wahhabites, lesquels ne sont pas les talibans. Il règne aujourd’hui une confusion terminologique, au point que l’on ne sait plus de qui et de quoi l’on parle quand on emploie les mots « islam politique » ou « islamisme ».

J’assume mon ascendance, mais je suis un homme autonome. Ceux qui croient que l’on pense « par son sang » devraient évoluer

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Il est d’ailleurs cocasse de voir que les États du Golfe, qui administrent leur pays au nom de l’islam et affirment que la démocratie est anti-islamique, ne font pas partie des «  islamistes » que l’on diabolise… sans doute parce qu’un « islamiste » qui a du pétrole et qui achète nos armes n’est plus un « islamiste ». Les intérêts économiques ont toujours eu raison de la sémantique.

J’ai été mentionné dans deux vidéos de Daech et dans différentes fatwas, qui disaient que m’éliminer étaient « islamiquement » nécessaire et juste. Le gouvernement britannique et l’université d’Oxford, où j’enseigne, m’avaient prévenu et avaient pris des mesures de sécurité. Ma dénonciation de l’extrémisme et de la violence est claire, et ce depuis quarante ans.

Encore une fois, j’assume totalement mon ascendance. Mais je suis un homme qui pense, qui est autonome, qui est né et vit en Europe, qui vit et pense avec son temps.

L’Égypte des années 1940 n’a rien à voir avec l’Europe des années 2000. Ceux qui croient que l’on pense « par son sang », « généalogiquement », et qu’on n’évolue pas, devraient commencer par évoluer eux-mêmes. Et il serait bienvenu qu’ils se mettent à penser.

Le Qatar compte parmi les principaux soutiens des Frères musulmans. C’est aussi l’un des seuls pays du Moyen-Orient où vous pouvez vous rendre. Quels sont vos liens avec lui ?

Ma position par rapport au Qatar, comme par rapport à l’Arabie saoudite et aux Émirats arabes unis a toujours été claire. J’avais effectivement un Centre de formation à l’éthique au Qatar, mais j’ai toujours exprimé et prouvé mon indépendance politique vis-à-vis de ce pays.

D’ailleurs, je n’ai jamais cessé de le critiquer. Dans de nombreux articles et dans mon livre L’islam et le réveil arabe, je donne ma position sur le rôle que joue le Qatar dans le conflit libyen.

L’Arabie saoudite et le Qatar sont deux jouets des États-Unis

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