Politique

Ouganda : comment Bobi Wine mobilise son réseau pour contrer l’influence de Yoweri Museveni

Arrivé deuxième à la présidentielle de 2021, l’opposant compte bien capitaliser sur sa notoriété pour continuer à peser face au chef de l’État, investi le 12 mai. 

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Mis à jour le 19 octobre 2021 à 15:22

Bobi Wine et ses fidèles. © Infographie JA

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« Notre meilleure garantie de sécurité, ce sont les caméras qui nous entourent. Si je n’avais pas été filmé, peut-être que quelque chose de pire me serait arrivé. » Ce 7 janvier 2021, Robert Kyagulanyi, alias Bobi Wine, peine à reprendre ses esprits. Chahuté par la police et violemment extrait de son véhicule alors qu’il se trouve en pleine conférence de presse virtuelle, l’opposant de 39 ans resserre le nœud de sa cravate rouge qui dépasse de son gilet pare-balles et réajuste son casque en kevlar, avant de finalement reprendre le jeu des questions-réponses.

La scène lui est sans doute familière. Elle est en tout cas à l’image de cette campagne présidentielle au cours de laquelle le chanteur devenu opposant en 2017 aura été au centre de toutes les attentions. Battu sans surprise par Yoweri Museveni, qui briguait son sixième mandat depuis son arrivée au pouvoir en 1986, le leader de la National Unity Platform (NUP) a néanmoins occupé le devant de la scène politique et médiatique.

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Proches collaborateurs, premier cercle familial, avocats internationaux, influent « lobbyiste » ou encore membres du club des opposants africains… Quatre ans après son élection en tant que député, Bobi Wine peut compter sur un vaste réseau pour étendre son influence bien au-delà de l’Ouganda.

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Lewis Davis Rubongoya

Diplômé de la Harvard Law School, il est le secrétaire général de la NUP et donc le numéro deux de facto de ce parti. Lewis Davis Rubongoya côtoie quotidiennement Bobi Wine. Il rédige les déclarations de l’opposant, qui se tourne également en priorité vers lui pour échanger sur les questions de stratégie.

Ce duo a noué des liens en 2016. À l’époque, Bobi Wine terminait des études de droit à l’Université Cavendish (Ouganda). Son professeur, à l’époque, n’était autre que Rubongoya.

Ce dernier est aussi directeur financier du parti, une casquette à propos de laquelle l’homme se montre plus discret, même si le NUP a reçu des dons financiers importants de l’étranger.

Joel Ssenyonyi

Porte-parole de la NUP, Joel Ssenyonyi est aussi député de la ville de Kampala. Il a quitté ses fonctions de journaliste à la NTV début 2019 pour devenir porte-parole du People Power, le mouvement de Bobi Wine.

Visage du parti dans les médias, il est l’un de ceux qui pilotent le plan de communication de Bobi Wine sur la scène locale.

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Fred Nyanzi Ssentamu, dit Chairman

Le frère aîné de Bobi Wine est aussi le secrétaire chargé de la mobilisation du NUP. Lorsque le chanteur s’est lancé en politique, en 2017, Fred Nyanzi Ssentamu est devenu l’un de ses principaux conseillers. Lui et Rubongoya sont les deux seules personnes qui étaient impliquées aux côtés de Bobi Wine, alors leader du People Power Movement, lorsqu’il négociait l’acquisition d’une formation politique – le National Unity, Reconciliation and Development Party – qui a ensuite été rebaptisée National Unity Platform début 2020.

Très puissant dans l’entourage de l’opposant, Fred Nyanzi Ssentamu bénéficie d’une grande influence

Bobi Wine a choisi de procéder à ce type d’achat après que l’État a fait échouer sa tentative d’enregistrer son slogan « People Power » en tant que parti politique. Très puissant dans l’entourage de l’opposant, Fred Nyanzi Ssentamu bénéficie d’une grande influence dans le choix des candidats pour les postes de députés.

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Barbara Itungo Kyagulanyi

C’est l’épouse de Bobi Wine. En couple depuis plus de deux décennies, ils ont quatre enfants. Déjà à ses côtés au début de sa carrière dans l’industrie musicale, elle est l’un de ses principaux soutiens depuis qu’il est entré en politique en 2017. Elle a d’ailleurs été en première ligne pendant la campagne présidentielle, accompagnant souvent son mari sur la route malgré la tension quasi permanente qui régnait en amont du scrutin.

Barbara Itungo Kyagulanyi, alias « Barbie », est originaire de l’ouest de l’Ouganda alors que Bobi Wine est issu du Buganda, ce qui est un atout électoral. Selon un proche de l’opposant, même si elle ne joue aucun rôle officiel aux côtés de ce dernier, elle le conseille souvent dans l’ombre sur ses choix politiques et dispose d’une réelle influence au sein du parti. Selon cette même source, elle l’a « aidé à bâtir sa stature d’opposant ». Elle peut aussi servir d’intermédiaire pour accéder à Bobi Wine.

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Jeffrey Smith

Il est l’un des atouts de l’opposant à l’international. Patron de Vanguard Africa, une organisation à but non lucratif fondée en 2016 qui se concentre sur les questions de bonne gouvernance et soutient de nombreux opposants sur le continent (Tundu Lissu en Tanzanie ou Maurice Kamto au Cameroun), Jeffrey Smith a fait la connaissance de Bobi Wine en 2017, en échangeant avec lui sur Twitter.

Les deux hommes se sont ensuite rapprochés à l’occasion de la convalescence que Bobi Wine a passée aux États-Unis en septembre 2018 après avoir été torturé en détention. L’opposant avait, à cette occasion, multiplié les interviews dans les médias américains.

Selon le contrat de représentation pro bono signé quelques mois plus tard, en décembre 2018, entre Vanguard Africa et l’opposant ougandais, la mission de l’organisation consiste à mettre Bobi Wine en lien « avec des responsables et des décideurs du gouvernement américain » et à « assurer les opportunités médiatiques nécessaires ». Au cours de la dernière présidentielle, Jeffrey Smith a organisé à ce titre plusieurs conférences virtuelles de Bobi Wine devant la presse internationale afin de dénoncer la répression du régime.

Alors que Yoweri Museveni et Bobi Wine se livrent une lutte d’influence outre-Atlantique, les États-Unis, l’un des principaux bailleurs de l’Ouganda, ont annoncé le 16 avril la mise en place de sanctions contre certains officiels accusés d’avoir « porté atteinte au processus démocratique lors de la dernière élection ». Museveni n’a pas tardé à riposter. Le 26 avril, le gouvernement ougandais a signé un contrat de lobbying avec la firme Mercury Public Affairs.

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Bruce Afran

Professeur de droit et avocat américain, il a été très présent aux côtés de Bobi Wine lors de la dernière campagne présidentielle, participant virtuellement à certaines conférences de presse.

C’est aussi lui qui a été chargé de déposer en janvier la plainte de l’opposant auprès de la Cour pénale internationale (CPI) à l’encontre de Museveni, de son ministre de la Sécurité, Elly Tumwine, et de huit autres officiels ougandais pour violation des droits de l’homme. Cette plainte est toujours en cours d’examen.

Le 26 avril, Bruce Afran a déposé une seconde plainte, cette fois contre le général Muhoozi Kainerugaba, commandant des forces spéciales de l’armée ougandaise et fils de Yoweri Museveni.

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Robert Amsterdam

S’il est moins impliqué dans les procédures lancées par Bobi Wine, l’avocat canadien de 65 ans, n’en reste pas moins un atout pour ce dernier. Basé à Washington, l’expérimenté Robert Amsterdam, engagé depuis 2018 aux côtés du député ougandais avec lequel il s’est affiché pendant sa convalescence aux États-Unis, il communique régulièrement sur la situation de l’opposant.

Il est par ailleurs le conseil de Maurice Kamto, leader du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun, et de Tundu Lissu, leader du parti Chadema, en Tanzanie.

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Mmusi Maimane

À 40 ans, l’ancien patron du premier parti d’opposition sud-africain, l’Alliance démocratique, est aussi un interlocuteur régulier de Bobi Wine. Les deux opposants se sont rencontrés en décembre 2019, lors de la tournée du député ougandais en Afrique du Sud. Ils se sont parlé à l’occasion d’une conférence de la Fondation Friedrich-Naumann pour la liberté, une structure allemande qui remet chaque année un « prix africain de la liberté ».

Bobi Wine et Mmusi Maimane ont respectivement reçu ce prix en 2018 et 2019. La fondation dirigée par l’ancien ministre fédéral allemand Karl-Heinz Paqué a facilité la rencontre des deux opposants.

Nelson Chamisa

Patron de la MDC-Alliance, l’opposant zimbabwéen, arrivé deuxième à la présidentielle de 2018 derrière Emmerson Mnangagwa, est aussi une figure du réseau de Bobi Wine sur le continent. En mai 2019, sur invitation de l’ancien candidat à la magistrature suprême, Bobi Wine avait fait le déplacement à Gweru, au centre du Zimbabwe, pour soutenir Nelson Chamisa dans sa quête de réélection à la tête de son parti.

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Julius Malema

Les deux hommes ont fait connaissance à l’occasion d’une visite de Bobi Wine en Afrique du Sud en décembre 2019. Pendant la dernière élection présidentielle en Ouganda, le patron de l’Economic Freedom Fighter a apporté un soutien public au chanteur.

Avec d’autres opposants comme le Sud-Africain Mmusi Maimane ou encore le Tanzanien Zito Kabwe, ils se sont réunis au sein d’une plateforme informelle baptisée « Young African Leaders » dont les membres échangent principalement sur Whatsapp.

Babu Owino

Le député kényan et secrétaire général du réseau des jeunes parlementaires kényans (Kenya Young Parliamentarians Association) de 31 ans soutient l’opposant ougandais depuis plusieurs années. Les deux hommes ont commencé à se parler après leurs élections respectives, en 2017.

Leur première rencontre en personne a eu lieu un an plus tard, en octobre 2018. Tout juste rentré de sa convalescence aux États-Unis, Bobi Wine s’était rendu au Kenya sur invitation de Babu Owino, avec lequel il avait tenu deux meetings.

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Tundu Lissu

Opposant au président John Magufuli et candidat malheureux à la dernière présidentielle en Tanzanie, en octobre 2020, Tundu Lissu est, comme Bobi Wine, lié à l’organisation Vanguard Africa, dirigée par Jeffrey Smith. Il est également défendu par l’avocat canadien Robert Amsterdam.

Reparti en exil après sa défaite à l’élection, Tundu Lissu réside désormais en Belgique d’où il participe régulièrement aux webinaires du Resistance Bureau, un forum de discussion qui réunit plusieurs opposants africains, dont Bobi Wine.