Avec un chiffre d’affaires pouvant atteindre celui de quatre mois « normaux », la période du Ramadan connait traditionnellement une intensification importante des investissements publicitaires. Au point d’être assimilée, toutes proportions gardées, au Super Bowl américain.
« Le mois de Ramadan est synonyme de haute saison pour la publicité et les annonceurs », explique Mounir Jazouli, spécialiste du secteur et ancien président du Groupement des annonceurs marocains (GAM), selon lequel le phénomène « s’est renforcé au cours de la dernière décennie ». Un mouvement dont l’industrie du secteur s’est emparé, « mettant tout en œuvre pour faire de ce mois le moment décisif », ajoute-t-il.
Malgré le contexte, 2021 semble suivre la tendance : au cours de la première moitié de ce mois sacré, l’investissement s’élève déjà à plus de 536,5 millions de dirhams (49,8 millions d’euros), soit une hausse de 45 % par rapport à la même période de l’année dernière.
Retour à la normale
« Il convient cependant de nuancer cette forte hausse, car elle est évaluée par rapport à une période de crise exceptionnelle » précise le cabinet Impérium, qui livre les chiffres du marché de la publicité tous médias confondus (télévision, radio, affichage, presse, cinéma et digital), et conseille de « les interpréter davantage comme un retour à la normale ». Pour rappel, les investissements publicitaires avaient atteint 6,6 milliards de dirhams en 2020, et plus de 7,2 milliards de dirhams en 2019.
La télévision qui est toujours le médias le plus sollicité par le secteur, s’accapare à elle seule 64 % du total, soit plus de 343 millions de dirhams, en hausse de 51 % en comparaison avec le dernier mois de ramadan. « La tendance actuelle, qui dénote une nette reprise de l’économie nationale, se traduit par des recettes publicitaires majorées pour l’ensemble des médias durant les quinze premiers jours du mois de ramadan », commente le cabinet Imperium.
Cette évolution très significative des investissements publicitaires s’explique par le rythme de vie de la majorité des Marocains durant ce mois, avec des horaires de travail et d’école qui changent et plus de temps passé à la maison, les familles souvent regroupées autour d’une table et en face d’une télé au moment du Ftour (repas de rupture du jeûne).
Des tarifs plus que doublés
« La consommation de médias s’envole durant ce mois sacré, et les gens sont plus réceptifs. C’est ce qui attire les annonceurs », assure Mounir Jazouli. Un phénomène accompagné par une production importante de contenus spécifiques pour le ramadan.
Pour ne rien laisser au hasard, les chaines de télé orchestrent en outre une grande campagne de lobbying durant les semaines qui précédent le Ramadan, à coup de soirées et de dîners à l’attention des annonceurs, pour mettre en avant leur production et vendre leur espace publicitaire.
Une approche qui porte ses fruits : 29 nouveaux annonceurs ont ainsi rejoint le portefeuille de clients des deux chaines publiques marocaines, 2M et Al Aoula, portant le nombre total d’annonceurs à 90 pour cette année. Selon nos informations, pour l’heure du Ftour, il faut compter autour de 400 000 dirhams bruts pour un spot de 30 secondes sur l’une de ces deux chaines, contre 150 000 dirhams en moyenne les jours « normaux » – des montants toutefois personnalisés en fonction du profil du client (fidélité, volume des campagnes…).
L’immobilier toujours à la peine
Derrière cette embellie temporaire se cache cependant une profonde disparité entre secteurs, dont témoignent les différences de budgets dédiés à la publicité. Ainsi, l’investissement publicitaire du secteur immobilier chute de près de 70 % en comparaison avec l’année dernière, qui elle-même était catastrophique.
Et si les trois promoteurs phares du pays (Addoha, Alliance et Espace Saada) rivalisaient habituellement en termes de guest-stars pour présenter sur leurs spots, cette saison la tendance est bien plus sobre. « La crise, que nous vivons toujours, a imposé une nouvelle façon de voir les choses. Toutes les marques – et la tendance est mondiale – ont changé la façon dont elles s’adressent au public », remarque Mohsine Jazouli.
« De nouveaux concepts ont émergé et le discours a changé. On parle davantage de confiance, de la relation de proximité et d’accompagnement mais aussi de la notion d’utilité qui prend de plus en plus de place », constate-t-il.
Des coûts de production variables
Le secteur des télécommunications, représenté par les trois opérateurs nationaux – Maroc Telecom, Orange et Inwi – est celui qui a investi le plus en campagnes de communication, avec un budget total de 118 millions de dirhams. Il est suivi par l’agro-alimentaire, avec un budget global de 92 millions de dirhams, en hausse de 78,6 % par rapport à l’année précédentes. Les banques et assurances complètent le podium avec 53 millions de dirhams d’investissements, une somme deux fois supérieure à celle de l’année passée.
Côté production, les budgets engagés varient beaucoup, en fonction du casting, du lieu de tournage ou encore de l’identité du réalisateur. Cette année, les spots diffusés pendant le Ramadan ont des coûts de production allant de moins de 100 000 dirhams à produire à 5 millions de dirhams.
Mounir Jazouli salue « l’arrivée massive de jeunes créateurs publicitaires et réalisateurs marocains qui donnent un nouveau souffle au marché ». Un constat partagé par nombre d’observateurs du secteur qui remarquent « une évolution de la qualité créative des publicités, sans que cela entraîne forcément une explosion des coûts ».