Bénin : face à Patrice Talon, Paul Hounkpè prône le dialogue

Désigné chef de file de l’opposition par le président Patrice Talon, l’ancien ministre de Thomas Boni Yayi entend assumer ce rôle avec l’ambition d’apaiser les tensions issues des dernières joutes électorales.

Paul Hounkpè, le nouveau chef de file de l’opposition au Bénin. © Salako/AID

Paul Hounkpè, le nouveau chef de file de l’opposition au Bénin. © Salako/AID

Publié le 9 mai 2021 Lecture : 6 minutes.

C’est un Paul Hounkpè avenant qui nous accueille dans son bureau du premier étage au siège des Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), à Cotonou. Candidat malheureux à la vice-présidence lors de l’élection présidentielle du 11 avril 2021, aux côtés d’Alassane Soumanou, le secrétaire exécutif national des FCBE vient d’être investi d’une mission inédite dans son pays : chef de file de l’opposition. L’ancien maire de Bopa entend imprimer sa marque à cette fonction instituée dans la loi « portant statut de l’opposition en République du Bénin », en 2019.

Paul Hounkpè est critiqué depuis qu’il a engagé les FCBE dans la voie « légaliste » en participant aux élections municipales de mai 2020, puis lors de la présidentielle. Accusé par l’opposition radicale de complaisance, voire de « complicité » avec le pouvoir, il défend, au contraire, avoir fait le choix du « dialogue » et de la « recherche du consensus ». S’il refuse pour l’heure de se prononcer sur la situation judiciaire de Reckya Madougou, poursuivie pour « financement du terrorisme », et sur celle de Joël Aïvo, arrêté le 15 mars dernier, Paul Hounkpè, préoccupé par l’absence de l’opposition au sein d’un Parlement qualifié de « monocolore », veut user de son nouveau statut pour faire entendre une voix alternative à l’Assemblée nationale.

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Malgré les attaques dont il est la cible, il affirme que, dans son nouveau rôle, il ne fermera la porte à aucun des partis se réclamant de l’opposition. Officiellement reconnu comme le « patron » de l’opposition, l’ancien ministre de la Culture ne cache pas sa fierté, mais assure prendre la mesure de cette responsabilité, alors que Patrice Talon entame son second mandat de cinq ans.

Jeune Afrique : Le président Patrice Talon vous a reconnu par décret comme chef de file de l’opposition béninoise en application des dispositions de la loi portant statut de l’opposition. Comment accueillez-vous cette désignation ?

Paul Hounkpè : Assez positivement, d’abord parce que cela correspond à l’application de la loi. Il ne faut pas oublier que la mise en place du statut de chef de file de l’opposition a été une revendication de l’opposition de longue date. Aujourd’hui, c’est une réalité et c’est un pas vers plus de vitalité démocratique dans la quête de l’équilibre de la gestion des affaires du pays.

Ce statut de chef de file de l’opposition est inédit au Bénin. Comment comptez-vous exercer cette mission ?

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C’est un défi qui nous est lancé. Il nous revient de bâtir le contenu, de donner un sens à cette fonction et, surtout, d’œuvrer à rassembler l’opposition. Nous ferons en sorte que cela puisse véritablement être utile pour le pays. Il faut que les acteurs de l’opposition passent par ce canal pour faire des propositions concernant la gestion et la gouvernance du pays.

Ceux qui choisissent la stratégie de la rue, voire de la violence et des armes, le font parce qu’ils n’ont pas réussi à se faire entendre. Il faut que nous parvenions à convaincre tous les acteurs politiques d’utiliser cette possibilité nouvelle de faire des propositions, de déclarer les problèmes. En face, le gouvernement doit prendre en compte ces remarques. C’est ainsi que nous pourront pacifier le pays.

Il faut que nous trouvions une solution pour être présents au Parlement

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Quelles sont vos priorités ? 

Dans un premier temps, il faut que nous trouvions une solution pour être présents au Parlement. Aucun député de l’opposition n’y siège depuis les dernières législatives. C’est pourtant dans l’hémicycle que les dossiers importants sont discutés. Nous devons parler de cela avec le président de l’Assemblée nationale. Il faut trouver une solution pour que nous puissions être saisis sur les lois importantes et exprimer nos positions de façon officielle.

Une fois ce préalable mis en place, il y aura plusieurs sujets qui fâchent à aborder. La précédente crise, qui avait éclaté lors des législatives, a été gérée d’une manière assez habile, à travers le dialogue politique. Malgré cela, nous avons vu surgir une nouvelle situation de crise. Il faut en sortir en trouvant une solution politique. Nous savons que nous sommes très attendus là-dessus, au sein de l’opposition, et nous allons faire des propositions. Il faut instaurer une ambiance de fraternité et de concorde dans le pays, être tournés vers le développement plutôt que d’assister à des scènes de fusillades et déplorer des morts.

On doit s’interroger sur les lois qui ont créé ces tensions, voir dans quelle mesure on peut proposer une relecture de certaines d’entre elles pour insuffler une nouvelle dynamique.

Patrice Talon a affiché une position très ferme vis-à-vis de celles et ceux qui l’accusent d’avoir participé ou fomenter des troubles. Cette position ne risque-t-elle pas d’accentuer les crispations politiques ? 

En tant que chef de l’État, il a des prérogatives. Il doit adopter certaines positions lorsqu’il y a des morts, des destructions de biens publics. C’est dans l’ordre des choses qu’un président réagisse comme cela.

Dans le même temps, Patrice Talon doit être le président de tous les Béninois. Il peut arriver que des citoyens aient des comportements déviants, que des situations nous opposent entre Béninois. Lui, doit se placer au-dessus de la mêlée et tout faire pour rassembler, pour que nous nous tournions vers l’essentiel : le développement. Il y a l’aspect judiciaire sur lequel il dit ne pas vouloir empiéter, mais il y a également un volet politique de la situation que nous allons gérer, ensemble, avec lui.

Vous avez été sévèrement critiqué par plusieurs partis de l’opposition qui vous accusent d’avoir présenté aux côtés d’Alassane Soumanou, une candidature de « faire-valoir », au service de Patrice Talon. Que répondez-vous à cela ?

Il s’agit d’intrigues politiques. Mais personne ne peut dire qui détient la clé de l’opposition. Nous nous connaissons tous, nous avons cheminé ensemble jusqu’en 2020, côte à côte. Nous n’avons pas les mêmes méthodes de lutte. En hommes politiques intelligents, ils devraient aujourd’hui faire le bilan de leurs méthodes. Sont-elles appropriées ou pas ? L’erreur est humaine, tout le monde peut se tromper. Nous leur tendons la main. Nous pensons qu’il faut privilégier le dialogue et le consensus parce que l’essentiel est de préserver le Bénin, les Béninois et notre développement. Nous avons choisi de lutter sans entrer dans l’arène du pouvoir. Nous n’apprécions pas la gouvernance de Patrice Talon et nous le disons. Nous avons des propositions claires à défendre.

Nous allons continuer notre combat avec l’objectif de conquérir le pouvoir

Les Forces cauris pour un Bénin émergent apparaissent très fragilisées. Le duo que vous formiez avec Alassane Soumanou ne s’est pas maintenu au second tour. Comment comptez-vous reconstruire le parti ? 

Nous sommes allés à cette élection et nous l’avons perdue. Nous l’avons reconnus. Ce n’est pas la fin de la vie. Nous allons continuer notre combat avec l’objectif de conquérir le pouvoir. À court terme, nous allons remobiliser notre base, réinsuffler la confiance à nos militants et commencer à préparer les élections législatives de 2023. Lors de ce scrutin, nous espérons obtenir  suffisamment de députés pour reprendre pied dans l’Assemblée nationale et, à partir de là, apporter notre touche aux différentes lois qui seront votées. Ensuite, il y aura les élections générales de 2026. On doit se mettre immédiatement au travail. Notre ligne est claire : œuvrer à l’enracinement de notre démocratie, à la préservation et la sauvegarde des acquis de la Conférence des forces vives de la nation de février 1990. C’est un héritage qu’il faut conserver.

Le parti Les Démocrates, de l’ancien président Thomas Boni Yayi – qui a claqué la porte des FCBE en vous reprochant une ligne trop « pro-Talon » – , dit de votre désignation comme chef de file de l’opposition qu’elle est un « non-événement »

Vous savez, le nihilisme est une doctrine, aussi… Ces gens ont déposé leur dossiers de candidature devant la Commission électorale nationale autonome (Cena) alors qu’ils savaient n’avoir aucun parrainage. Ils nous ont reproché d’avoir accepté le récépissé [donnant droit à une reconnaissance légale du parti, NDLR] et ont fini par accepter le leur avant la présidentielle… Ils comprendront, avec le temps, qu’il faut se mettre ensemble pour que l’opposition soit plus forte. Mais si nous tendons la main et qu’ils la refusent, nous ne pouvons rien faire.

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