Dans ce dossier
La Constitution est on ne peut plus claire dans son article 10 : « La nationalité congolaise est une et exclusive ». Une exclusive que les Congolais défendent officiellement avec vigueur, mais à laquelle beaucoup semblent plus ou moins discrètement déroger. Les partisans de la double nationalité estiment que cette loi est corsetée, anachronique, qu’elle prive inutilement le pays de compétences congolaises dispersées un peu partout dans le monde et qu’elle nécessite un toilettage. S’il n’existe pas de données précises, on estime le nombre de Congolais de la diaspora entre cinq et sept millions, en y incluant ceux qui ont acquis la nationalité de leur pays d’accueil.
Les « contre » rétorquent que la RDC n’est pas encore mûre pour la double nationalité. Leurs arguments reposent, pour l’essentiel, sur le risque d’une « double allégeance ». Le non-dit de cette position vise surtout certains Rwandais qui se font passer pour des Congolais lorsqu’ils sont en RDC, Kinshasa et Kigali entretenant des relations complexes, empreintes de méfiance réciproque, depuis le génocide de 1994 au Rwanda. Une tragédie dont les répercussions sont encore visibles sur le sol congolais.
Secret de polichinelle
Par ailleurs, le doute persiste sur la nationalité de hauts gradés de l’armée. Un dossier explosif, mais qu’il serait temps d’ouvrir, avec lucidité. Pourquoi ne pas mettre en place une équipe ad hoc chargée de passer au crible le parcours de chaque haut responsable militaire et de réformer les procédures de recrutement ? L’Alliance des forces de libération du Congo (mouvement rebelle soutenu par le Rwanda et l’Ouganda et conduit par Laurent-Désiré Kabila, qui a pris le pouvoir en mai 1997) comptait dans ses rangs de nombreux « libérateurs » issus de la diaspora, qui étaient détenteurs d’un passeport étranger. Ces « étrangers » ont exercé des charges publiques et, si leurs nominations n’ont pas soulevé la réprobation générale, elles n’ont pas manqué de susciter nombre de critiques dans des cercles privés de la capitale.
Comme il l’est au sein de la société, ce débat est récurrent dans l’hémicycle. En 2007, l’appel d’un député en faveur d’une commission parlementaire censée débusquer les « binationaux » dans les institutions n’a pas eu de suite. Rien d’étonnant puisque des dizaines de députés détenaient un passeport autre que congolais. Un secret de polichinelle dont tout le monde s’accommodait alors. Les choses ont-elles changé dans ce pays où ceux qui votent les lois sont les premiers à s’en moquer ?
Les Congolais continuent de se complaire dans cette hypocrisie collective. Lors des concertations nationales de 2013, l’idée de l’irrévocabilité de la nationalité congolaise de naissance a été entérinée. Cette disposition pourrait permettre d’apaiser les craintes de nombreux Congolais qui, à tort ou à raison, voient des « traîtres à la nation » un peu partout. Mais pour que cette recommandation soit effective, il faudrait modifier la Constitution.
Pour l’heure, le président Félix Tshisekedi évite soigneusement de prendre position en public sur ce dossier sensible. Il a longtemps vécu en Belgique, où il s’est créé des réseaux d’amis. Après son investiture, il s’est entouré de collaborateurs venus de l’étranger et soupçonnés de… double nationalité.