Il fut une époque où les pays du Sud visaient le développement. Concept mal équarri, certes, mais robuste, signifiant plus ou moins vivre à l’occidentale sans les amoralités de l’Occident : l’hôpital sans l’apartheid…
C’est à l’analyse pratique de ce qu’on nommait alors « voie de développement » que le Saint-Lucien W. Arthur Lewis – seul prix Nobel d’économie d’ascendance africaine – avait consacré sa carrière. Sa plus célèbre contribution à la théorie économique est le modèle « dual », postulant une transition progressive d’une économie agraire vers un mode capitalistique.
Le « tournant de Lewis » marque ce moment où « la réaffectation de la main-d’œuvre [d’un système à l’autre] a dépassé la croissance de la population suffisamment longtemps pour que le dualisme s’atrophie et que l’économie devienne pleinement commercialisée », selon l’économiste Gustav Ranis. Autrement dit : quand l’ancien monde pré-capitaliste a vécu. Les spécialistes s’interrogent : la Chine a-t-elle atteint son point « Lewis » ?
Qu’est-ce donc, une «bonne vie » : le goudron sans Guernica ?
Dans le domaine des croyances
Une autre de ses contributions interpelle davantage à l’approche des trente ans de sa disparition (en juin 1991). Dans The Theory of Economic Growth (La théorie de la croissance économique), W. Arthur Lewis soulève un point fondamental : « Nous devons nous placer dans le domaine des croyances et nous demander ce qui pousse une nation à créer des institutions favorables – plutôt que des institutions défavorables – à la croissance, […] à l’effort, à l’innovation ou à l’investissement. »
Il s’interrogeait déjà sur l’alignement des « valeurs spirituelles et matérielles » d’une nation, la possibilité qu’elles puissent « être en conflit » et les conséquences d’une éventuelle opposition sur ces institutions et comment ces dernières « reflètent des idées particulières sur la bonne façon de vivre ». C’était en 1955. Efforts, valeurs intrinsèques, qu’est-ce donc, une « bonne vie » ? Le goudron sans Guernica…
Les faiseurs de miracle font de mauvais médecins
Développement vs émergence
Au sortir des « décennies perdues » (1985-2005), un glissement s’est opéré et une impatience a émergé au sein de nos populations. Le développement, processus incertain et multigénérationnel, a cédé le pas à « l’émergence », inchiffrable, invérifiable, émotionnelle in fine.
Le « miracle » des « Dragons d’Asie » (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taïwan) s’est fait cliché : « En 1960, le Congo et la Corée avaient le même… » Les faiseurs de miracle font de mauvais médecins. Les Tigres asiatiques ont bénéficié de massives entrées de capitaux. Depuis cinquante ans (au moins) le continent en effuse comme d’un pus.

En trente ans, le PIB par habitant du Costa Rica a été multiplié par dix. © Source : Banque mondiale/Jeune Afrique
C’est vers l’Ouest, celui des Caraïbes chères à W. Arthur Lewis, qu’il faut se tourner. Une nation ignorée de nos contrées et dépourvue du glamour technologique asiatique est parvenue à décupler son PIB par habitant en trente ans. Il s’agit du Costa Rica.
Cela sans amertume ni crises d’angoisse sur « la sauvegarde de notre dignité » – selon la formule d’un ami panafricaniste, exerçant le malheureux emploi d’avocat d’affaires. Sans plan d’émergence, non plus.