À l’invitation de l’Association des capital-investisseurs et capital-risqueurs africains (AVCA) qui réunit, du 20 au 23 avril, plus de 350 participants du secteur pour sa conférence annuelle, David Rubenstein, cofondateur du géant mondial du capital-investissement The Carlyle Group (près de 250 milliards de dollars d’actifs sous gestion), a partagé lors d’une keynote son retour de près d’un demi-siècle d’expérience sur l’économie mondiale – dont près de trente-cinq ans dans le private equity.
Prêt à signer son grand retour en Afrique, le milliardaire américain de 71 ans brosse un panorama macroéconomique global, se penchant notamment sur l’état du capital-investissement et les opportunités d’investissement dans les différentes régions du monde. Un tableau teinté des effets de la pandémie de Covid-19 sur les économies et les affaires.
Voici les points saillants que Jeune Afrique en a retenus.
Le dynamisme du marché africain en question
Sans le nommer expressément, David Rubenstein a justifié le repli de Carlyle des investissements directs en Afrique, un an plus tôt. Transférant la gestion des 700 millions de dollars d’actifs de son véhicule Carlyle Sub-saharan Africa Fund, à d’anciens managers du fonds réunis au sein du nouvellement créé, Alterra Capital Partners.
le potentiel de l’Afrique, que je considère toujours comme formidable, n’a pas encore répondu aux attentes
« En Afrique, évidemment, il y a de vrais défis. Car beaucoup de capitaux occidentaux se sont redéployés vers les marchés développés lorsque le Covid est arrivé, et avant cela lorsqu’il y a eu des problèmes économiques », explique-t-il. « En outre, le potentiel de l’Afrique, que je considère toujours comme formidable, n’a pas encore répondu aux attentes, les rendements n’ont pas été aussi attrayants que certains le pensaient », précise-t-il, confirmant ainsi les spéculations autour du retrait du géant américain d’Afrique subsaharienne.
Et à ce constat, s’ajoute le frein auquel de nombreux investisseurs sur le continent sont exposés, et avec lequel ils doivent composer : « L’Afrique compte plus de 50 pays. Des monnaies différentes, des réglementations différentes aussi, … Il a donc été plus difficile de mettre sur pied des équipes possédant l’expertise nécessaire et les résultats n’ont pas été aussi solides qu’on l’aurait espéré. »
Retour annoncé ?
Malgré ce constat, David Rubenstein estime que le contexte pourrait changer prochainement. Et il ne cache pas son intention de réinvestir sur le continent, à titre personnel cette fois. « Je suis prêt à investir en Afrique à l’avenir, à placer de l’argent personnel dans le capital-investissement africain », déclare le financier américain.
Il espère que d’ici un an, la crise du Covid-19 sera passée et qu’il lui sera possible de « se rendre en Afrique et rencontrer, en personne, les capital-investisseurs du continent ».
Je crois que le continent sera à la hauteur du potentiel que j’ai vu il y a plus de dix ans
Rubenstein appuie sa décision sur sa conviction que les prix vont augmenter et que le capital-investissement en Afrique va s’améliorer considérablement par rapport à la situation actuelle, d’ici à la fin de la crise sanitaire. « Je crois que le continent sera à la hauteur du potentiel que j’ai vu il y a plus de dix ans, et que je vois toujours : une population très jeune, des taux de croissance du PIB assez élevés, et l’interférence des gouvernements et de la réglementation relativement modeste, et la concurrence moindre », poursuit-t-il.
À la tête d’une fortune personnelle de 3,8 milliards de dollars, selon Forbes, le capital-investisseur américain a quitté la gestion au quotidien de Carlyle, confiée depuis 2018 à Glenn Youngkin et Kewsong Lee. Sa société d’investissement familiale (family office), Declaration Partners LP, gère ses actifs et diligentes ses investissements.
Grande forme du capital-investissement aux États-Unis
Durant son intervention devant un auditoire majoritairement composé de capital-investisseurs africains, David Rubenstein a également longuement évoqué le climat aux États-Unis, où l’économie « se porte raisonnablement bien », selon l’ancien avocat passé notamment par le Capitole en tant que conseiller principal à la commission judiciaire du Sénat américain.
le secteur du capital-investissement est aujourd’hui plus fort que je ne l’ai jamais vu
« Grâce aux énormes mesures de relance [un plan de relance de 1 900 milliards de dollars a été voté en mars par l’administration Biden, ndlr] que le Congrès américain et le président des États-Unis ont mises en place, l’économie américaine devrait connaître cette année une croissance de 5 à 6 %, ce qui est une croissance très élevée », estime-t-il. Il évoque également un chômage limité, en-deçà des 6 %, et une inflation maîtrisée (en dessous de 1,5 %).
Dans tout cela, « l’industrie du capital-investissement, l’industrie des services financiers et technologiques gagnent autant d’argent qu’elles en ont toujours gagné et s’en sortent » cette année, précise le président non exécutif de Carlyle.
Le financier croit beaucoup au potentiel « transformateur » sur l’économie du pays du nouveau président américain « qui, à 78 ans, ne craint pas de ne pas être réélu ». Du capital-investissement, à proprement parler, il dit que : « le secteur est aujourd’hui plus fort qu’[il] ne l’ai jamais vu. »
Lever de nouveaux fonds en période de Covid-19 « n’a pas été difficile pour ceux qui ont des antécédents, mais seulement pour ceux qui n’ont pas de track-records à plus de 20 milliards de dollars. À distance ou non, les investisseurs vous connaissent déjà et savent que vous avez de bons antécédents. »
Et de conclure, au vu de la flexibilité des sorties potentielles, de leur diversité, avec par exemple « le phénomène des SPAC » : « le secteur du capital-investissement se porte également assez bien dans le monde développé, comme dans une grande partie du marché émergent. »
Hétérogénéité en Europe et dans les BRICS
Sorti des États-Unis, le secteur du private equity dans les autres zones matures du globe a également réussi à tirer son épingle du jeu. Autant de fonds et de sociétés de capital-risque qui pourront s’intéresser entre autres au continent africain à terme – ou qui le regardent déjà.
Selon David Rubenstein, l’Europe en particulier s’en est plutôt bien sortie. « Le capital-investissement européen n’est probablement pas aussi robuste que le capital-investissement américain, mais il s’en sort plutôt bien. Je dirais même que les rendements sont bien meilleurs que je ne l’aurais pensé à ce stade, étant donné la situation du Covid en Europe. »
En revanche, l’enthousiasme du cofondateur de Carlyle ralentit quand il évoque les quatre plus grands marchés émergents qui forment les BRICS (hors Afrique du Sud). Si la Chine et l’Inde sont « des endroits gigantesques où investir », le Brésil n’a pas été « aussi robuste qu’on le pensait », constate-t-il. Quant à la Russie, elle « ne s’est pas avérée être un pays pour le capital-investissement occidental, mais est maintenant très robuste et cherche vraiment à investir. »
Les family offices s’intéressent aux marchés émergents de manière plus agressive qu’auparavant
Dans le même sac, l’Amérique latine et le Moyen-Orient n’ont pas été à la hauteur des attentes du secteur de l’industrie du capital-investissement, et les opportunités ne sont pas légion, tranche Rubenstein.
Qui prévient : « Les family offices s’intéressent aux marchés émergents de manière plus agressive qu’auparavant. Car les prix sont très élevés à présent aux États-Unis et sur les marchés matures ». À bon entendeur…