Ingouvernable, la Belgique ? Le royaume est, en tous cas, à nouveau gouverné depuis le 1er octobre 2020 et la nomination du libéral Alexander De Croo au poste de Premier ministre. Le pays aura dû patienter près de 500 jours – 493 exactement –, après les résultats des élections législatives du 26 mai 2019, pour disposer d’un gouvernement fédéral de plein exercice.
C’est moins que durant la crise de 2010-2011 durant laquelle le pays était resté sans exécutif pendant 541 jours, mais le plus dur commence peut-être pour le premier chef de gouvernement d’origine flamande depuis dix ans, obligé de composer avec une coalition de sept partis représentative de l’état de morcellement du paysage politique belge depuis l’éclatement de la précédente équipe gouvernementale de centre-droit fin 2018.
Les « Quatre saisons » en action
Pour contrecarrer la poussée de l’extrême droite et récompenser celle des environnementalistes lors du dernier scrutin fédéral, les partis traditionnels en perte de vitesse ont réussi à s’entendre – sous la pression constante du palais royal –, autour d’une équipe gouvernementale composée de quatre couleurs politiques : libérale, socialiste, écologiste, auxquelles vient s’ajouter la démocratie-chrétienne flamande. Alexander de Croo a donc la lourde tâche de mettre en musique les actions de cette mosaïque baptisée « Vivaldi » par la presse belge. Pour le seconder, l’ancien ministre des Finances du gouvernement précédent pourra s’appuyer sur celle à qui il a succédé.
Également d’aspiration libérale, Sophie Wilmès est désormais Vice-Première ministre et a récupéré le portefeuille bien garni des Affaires étrangères et européennes, du Commerce extérieur et des Institutions culturelles fédérales. « Une reconnaissance de son travail très apprécié pendant l’année qu’elle a passé à la tête du gouvernement d’affaires courantes », estime un fin connaisseur du sérail belge. Notamment pour sa gestion d’un Covid-19, qui s’est vite imposé dans l’agenda de son successeur.
Communication éludée
Comme le pays, la diplomatie belge n’est donc pas vraiment sortie du confinement dans lequel elle est maintenue depuis le départ de Didier Reynders, aujourd’hui commissaire européen à la justice, et habitué des chancelleries après avoir été en charge des Affaires étrangères de son pays pendant huit ans. Après l’inexpérimenté Philippe Goffin, c’est au tour de Sylvie Wilmès de découvrir une fonction occupée pour la première fois par une femme dans le royaume. Aussi jeune que son Premier ministre – elle a eu 45 ans en janvier, lui les aura en novembre, « elle ne s’est pas montrée très agissante jusqu’à présent », persifle un observateur européen depuis Bruxelles. Pas plus que ses services, qui préfèrent communiquer par médias sociaux interposés sur les tourments causés par le sofagate à l’ancien Premier ministre Charles Michel, « que de s’exprimer sur les derniers événements en RDC ou sur les conclusions du rapport publié en France sur le Rwanda », constate un journaliste belge.
La Belgique semble avoir essentiellement concentré son attention sur le Sahel, où son armée est présente aux côtés des Français depuis l’opération Serval de 2013
L’Afrique fait d’ailleurs figure aujourd’hui de parent pauvre, « au regard de ce qu’a pu être l’implication passée de la Belgique sur le continent », reprend notre observateur. Fidèle à sa doctrine tridimensionnelle (diplomatie, défense, développement) en matière de relations extérieures, la Belgique semble avoir essentiellement concentré son attention sur le Sahel, où son armée est présente aux côtés des Français depuis l’opération Serval de 2013. Sur le reste du continent, « Bruxelles délègue beaucoup à Bruxelles », sourit notre diplomate européen. Peut-être plus encore depuis ces derniers mois et la nomination de Bernard Quintin, ancien directeur de cabinet de Philippe Goffin, au poste de directeur général-adjoint en charge de l’Afrique au Service européen pour l’action extérieure.
« Faire la paix »
Même en RDC, la Belgique ne semble pas vraiment profiter des bonnes relations retrouvées avec son ancienne colonie depuis l’élection à la présidence de Félix Tshisekedi, en janvier 2019. Seul dossier – d’importance –, sur le bureau de la ministre : le rapatriement solennel à Kinshasa des restes de Patrice Lumumba, dans le cadre des festivités du 61e anniversaire de l’indépendance congolaise en juin prochain. Sujet hautement inflammable que la diplomatie belge tente de manier avec précaution. Un temps envisagée, la visite pour l’occasion du roi Philippe, la première d’un souverain belge depuis celle d’Albert II en 2010 pour le cinquantenaire du pays, n’aura au final certainement pas lieu, « pour ne pas prendre le risque d’éclipser l’événement », souffle-t-on dans les couloirs du ministère.
Autre sujet d’actualité tourné vers le passé, la Commission parlementaire vérité et réconciliation, chargée depuis juillet 2020 de « faire la paix avec le passé colonial » du pays, n’a toujours pas rendu ses conclusions, pourtant annoncées pour le 3 mars. De ces dernières dépendront également les décisions à prendre par le gouvernement belge en matière de restitution d’œuvres d’art. Une façon de préparer, à l’aune de ce qu’elles ont pu être, l’avenir des relations entre l’Afrique et le royaume.