Un ministre ne devrait pas dire cela ! La sortie d’El Hachemi Djaâboub, ministre algérien du Travail, de l’Emploi et de la Sécurité sociale, qualifiant la France d’ « ennemie traditionnelle et éternelle » n’a pas du tout été du goût d’Emmanuel Macron. Interrogé par le quotidien Le Figaro dans son édition du 19 avril, le président français a jugé « inacceptable » le commentaire de Djaâboub.
Évoquant la « mémoire fracturée » entre l’Algérie et la France, Macron affirme qu’il n’est « ni dans la repentance ni dans le déni » à propos de cette histoire commune qui pèse lourdement sur les relations entre les deux pays. « Je suis dans une politique de reconnaissance qui rend notre nation plus forte », ajoute-t-il.
France, l’ennemie éternelle
La polémique remonte au 8 avril, lors d’une séance de questions orales tenue au Conseil de la nation (Sénat). El Hachemi Djaâboub répond alors à un sénateur qui l’interpelle sur le déficit de la caisse nationale des retraites, lequel s’élève à 640 milliards de dinars (environ 4 milliards d’euros).
Dans une tentative de justifier le déficit, le ministre dégaine un parallèle inattendu avec la France : « Je voudrais dire que toutes les caisses de retraite dans le monde souffrent, assène-t-il. Je peux donner quelques chiffres qu’on peut vérifier sur internet : notre ennemi traditionnel et éternel, la France, a un déficit de 44,4 milliards d’euros dans sa caisse des retraites. »
Une source algérienne indique que la sortie du ministre n’est pas dictée ou concertée en haut lieu et qu’elle n’engage que sa personne
La sortie du ministre du Travail intervient le jour même où Paris et Alger ont décidé d’un commun accord le report de la visite, prévue le 11 avril en Algérie, du Premier ministre français Jean Castex, dans le cadre du comité interministériel de haut niveau.
Ce report a-t-il un lien avec les propos de Djaâboub ? « Aucun, assure un diplomate algérien à Paris. Les conditions n’étaient pas réunies pour tenir un sommet de ce niveau. Ce ne sont pas les commentaires mal à propos prononcés ici et là qui vont brouiller des relations excellentes. » Une source algérienne juge maladroit le propos de Djaâboub, en indiquant que cette sortie n’est absolument pas dictée ou concertée en haut lieu et qu’elle n’engage que la personne du ministre.
Réputation mitigée
Le commentaire du ministre du Travail sur la France, « éternelle ennemie » de l’Algérie, est d’autant plus inattendu qu’Emmanuel Macron et Abdelmadjid Tebboune affichent d’excellentes relations. Commentant une semaine plus tôt le rapport sur la mémoire et l’histoire réalisé par l’historien Benjamin Stora à la demande de Macron, le président algérien rassure sur la bonne santé de ces relations. « Nous n’avons actuellement aucun problème avec la France », soutient-il ainsi.
El Hachemi Djaâboub, 65 ans, père de cinq enfants, électron aussi libre que gaffeur ? Depuis sa nomination en septembre 2020 à la tête de ce département, cet islamiste portant costume-cravate a fait parler de lui en ordonnant aux organismes relevant de ce son ministère de recourir à l’usage exclusif de la langue arabe dans l’administration et dans les échanges avec les citoyens, en bannissant ainsi la langue française.
Député de 1997 à 2002 du parti islamiste Mouvement de la société pour la paix (MSP), d’où il a été banni après sa nomination au gouvernement de Abdelaziz Djerad, Djaâboub a connu l’apogée de sa carrière sous la présidence de Bouteflika, durant laquelle il a été ministre de l’Industrie entre mai 2003 et mai 2005, puis ministre du Commerce entre mai 2005 et mai 2010, avant d’être remercié.
Son homologue irakien l’avait presque tourné en ridicule
Ceux qui ont connu cet énarque, passé par la direction de deux établissements hospitaliers d’Alger dans les années 1980, ne se montrent pas élogieux à son égard. Un ancien député se souvient d’un ministre pas très au fait des dossiers dont il avait la charge. « Il maîtrisait la langue française, mais il était trop approximatif dans ses chiffres et dans l’appréciation de la situation de son secteur, observe-t-il. Il n’avait pas la maîtrise des règles du commerce extérieur et des marchés des produits de large consommation. »
Un expert algérien garde en mémoire un voyage effectué avec le ministre en Irak en 2002 dans le cadre du programme « Pétrole contre nourriture », à l’époque où Djaâboub est alors ministre de l’Industrie. « Son homologue irakien l’avait presque tourné en ridicule tant il faisait montre de légèreté et d’approximations dans ce dossier », note cet expert, qui n’a pas souhaité été identifié.
Alors qu’il était encore ministre de l’Industrie, le nom d’El Hachemi Djaâboub a été cité en 2008 dans le cadre d’une enquête de la gendarmerie pour des soupçons de détournements de fonds publics de l’Agence de la promotion du commerce extérieur. L’affaire a rapidement été classée et n’a pas eu de conséquence pour sa carrière dans le gouvernement, dont l’exercice s’est achevé en mai 2010.
Haro sur Bouteflika
Depuis son éviction, Djaâboub s’est éclipsé de la scène politique, avant de faire un retour remarqué en mai 2019, un mois après la démission forcée de Bouteflika. À cette occasion, le ministre fait endosser à Bouteflika la responsabilité de l’accord d’association avec l’Union européenne que l’Algérie a ratifié en avril 2002 après plusieurs années de négociations, et qui s’est avéré déséquilibré en faveur de l’Europe.
Qualifiant cet accord de « mensonger » et de « chkara » (argent sale en sacs), Djaâboub juge qu’il a été signé au détriment des intérêts de l’Algérie et qu’il a été ratifié par Bouteflika pour promouvoir son image sur la scène internationale.
Ni le gouvernement ni la présidence n’ont pour le moment désavoué le propos du ministre
El Hachemi Djaâboub va-t-il faire les frais de sa sortie au Sénat ? Ni le gouvernement ni la présidence n’ont pour le moment désavoué son propos, qui n’a pas fait non plus l’objet d’un commentaire officiel. Mais à l’évidence, il a créé des vagues dont Abdelmadjid Tebboune et son homologue français se seraient bien passés. Réponse au prochain remaniement ministériel qui pourrait intervenir à l’issue des élections législatives du 12 juin.
Alors que les deux pays ont initié depuis un an une relance de leurs relations, l’atmosphère entre Alger et Paris s’est soudainement rafraichie avec la sortie du ministre, ainsi que celle d’Abdelmadjid Chikhi – chargé des questions mémorielles auprès du président algérien – qui a accusé le 18 avril la France d’avoir éliminé « tous les Algériens qui lisaient et écrivaient » durant la période coloniale.