« N’eussent été nos sacrifices, le président Tshisekedi n’aurait jamais obtenu la majorité parlementaire et n’aurait pu former un gouvernement sous contrôle total ! » Ce mercredi 14 avril, l’ambiance est agitée devant le bureau de Christophe Mboso N’kodia Pwanga, le président de l’Assemblée nationale. Un groupe de députés, tous membres de l’Union sacrée, est venu exprimer sa colère au sujet de la composition du premier gouvernement du Premier ministre Sama Lukonde Kyenge.
Réunis au sein d’un collectif dit des « révolutionnaires », ces élus – dont une très large majorité sont issus du Front commun pour le Congo (FCC) de Joseph Kabila – avaient tous apposé leur signature au bas de la pétition réclamant la destitution de Jeanine Mabunda, alors présidente de l’Assemblée nationale, puis de celle réclamant le départ de Sylvestre Ilukamba Ilunga de la primature.
Aucun ministère régalien
Aujourd’hui, ils se disent déçus de n’avoir pas été assez remerciés lors de la répartition des portefeuilles ministériels, dévoilée le 12 avril. « Nous avons déshabillé Pierre pour habiller Paul. Ce qu’il vient de se passer est inacceptable », tempête l’un d’entre eux. « L’équilibre géopolitique n’a pas été respecté, il y a une prédominance de certaines provinces par rapport à d’autres », ajoute un autre.
Tshisekedi a confié les maroquins stratégiques à des membres de l’UDPS ou à des personnalités de la société civile
En filigrane, ces anciens du FCC remettent en cause les postes qui leur ont été accordés dans la nouvelle équipe. Si une vingtaine de députés issus du FCC se sont vu confier des responsabilités au sein du gouvernement, aucun n’occupe en effet de poste régalien. L’Intérieur, la Justice, les Mines, les Finances, la Défense ou encore les Affaires étrangères leur échappent complètement. Félix Tshisekedi a préféré confier ces maroquins stratégiques à des membres de l’Union pour la démocratie et le progrès social (UDPS, son parti) ou à des personnalités issues de la société civile.
Les dissidents du FCC se sentent d’autant plus lésés que le chef de l’État a concédé la diplomatie à Christophe Lutundula, d’Ensemble, la plateforme de Moïse Katumbi, qui a obtenu six postes en tout. L’Union pour la nation congolaise (UNC) est aussi parvenue à tirer son épingle du jeu en obtenant cinq maroquins malgré l’incarcération de son leader, Vital Kamerhe, condamné à 20 ans de prison pour détournements de fonds. L’une de ses membres, Nicole Bwatshia Ntumba, a de plus été nommée au poste de directrice de cabinet adjointe du président chargée des questions politiques, juridiques et diplomatiques.
« Révolutionnaires » dépités
Les dissidents du FCC ont toutefois conservé quelques portefeuilles puisque des ministres du gouvernement Ilunga ont été confirmés dans leurs fonctions. C’est notamment le cas de Julien Paluku, maintenu à la tête de l’Industrie, de Pius Mwabilu, qui reste à l’Urbanisme et à l’Habitat, et de José Mpanda, à la Recherche scientifique. Mais Jean-Pierre Lihau Ebua, qui est désormais chargé de la Fonction publique, est le seul à avoir obtenu un poste de vice-Premier ministre.
« Bemba, qui a 17 députés à l’Assemblée, a obtenu trois ministres [dont un vice-Premier ministre], et le regroupement politique de Jean-Claude Baende [membre dissident du FCC], qui compte 12 députés, n’en a obtenu aucun. Comment peut-on expliquer cela ? », dénonce l’un des élus dépités. Et les frustrations s’expriment jusque dans les plus petites formations puisque même Steve Mbikayi, qui fut un ministre de Joseph Kabila, estime que son parti, fort de 5 députés sur les 500 que compte l’Assemblée, aurait dû obtenir un poste.
Les choses ont été négociées entre le président de la République et ses proches
« Deux des vice-Premiers ministres sont par ailleurs originaires du Sankuru, poursuit l’un des frondeurs, dénonçant des déséquilibres régionaux. Trois des cinq ministres de l’UNC viennent du territoire de Walungu, dans le Sud-Kivu. Et dans le même temps, il n’y a aucun ministre issu des provinces du Haut-Lomami ou du Maï-Ndombe, pour ne citer que celles-là. »
Menaces de destitution
Jean-Marc Kabund-a-Kabund, premier vice-président de l’Assemblée nationale et président intérimaire de l’UDPS, avait pourtant tenté de prévenir les frustrations. Le 8 avril, face aux députés dissidents du FCC, il avait même formulé une série de promesses, assurant notamment que ceux qui ne seraient pas « servis » lors de la formation du gouvernement pourraient obtenir des postes à la tête des entreprises publiques congolaises ou au sein des différentes administrations publiques.
Du côté de la primature, on renvoie aux arbitrages réalisés par le chef de l’État. « Les choses ont été négociées entre le président de la République et ses proches, qui ont parrainé certaines personnes pour se retrouver au gouvernement », assure à Jeune Afrique un proche de Sama Lukonde Kyenge, qui n’hésite pas à affirmer que ce dernier n’a pas toujours eu son mot à dire.
Pas de quoi calmer la colère des députés qui ont accepté de quitter Joseph Kabila pour rejoindre Félix Tshisekedi. Ils menacent désormais, « s’il n’y a pas réparation », de bloquer l’investiture du gouvernement et d’engager une procédure de destitution du bureau de l’Assemblée nationale, comparable à celle qui avait conduit à la chute de Jeanine Mabunda.